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Charles de Broglie : un diplomate espion promoteur de La Fayette

Charles-François de Broglie est un des chefs des services secrets de l'Ancien régime.

Charles de Broglie est un militaire et diplomate français du XVIIIe siècle. Il est connu pour avoir été le chef du cabinet secret de Louis XV.

 

« Le comte Charles de Broglie était d’une petite taille inversement proportionnelle à ses ambitions » : tel était le chef du Secret de la Couronne de France au XVIIIe siècle. Militaire passé diplomate, agent secret promu ministre de l’ombre mais aussi industriel averti, Charles-François de Broglie incarna à sa manière toute une époque.

On connaissait le nom des Broglie tout en omettant parfois de se pencher sur certains des prénoms portés par les membres de cette maison. Avec cette biographie intitulée Charles de Broglie. Un Ruffécois espion de Louis XV et promoteur de La Fayette, Alain Mazère rend un juste hommage à une figure du règne de Louis le quinzième, de la Charente à la Pologne en passant par Versailles… et un rêve d’Amérique.

 

« Pour l’avenir »

Il est des devises taillées pour les ambitieux. Celle de la maison Broglie en est une. Plus qu’un mot, c’est une réalité. On compte déjà des Broglie au service des rois de France au passé et au présent lorsque naît Charles-François le 19 août 1719, dans l’hôtel familial du 4, rue Saint-Dominique. Une lecture efficace de l’ouvrage consacré à ce nom par Jean de La Varende (Les Broglie. Fasquelle, 1950.) donne à cette biographie de Charles-François de Broglie une assise sûre. Famille piémontaise illustre, celle-ci semble avoir été l’un des piliers de la république de Quiers, près de Turin. Les Broglie rejoignirent la France à la suite du cardinal Mazarin (1602-1661), Francesco-Maria (1611-1656), premier comte du nom, commandant un régiment de cavalerie appartenant au conseiller de Louis XIII et parrain de Louis XIV.

On compta ensuite, en la personne du grand-père de Charles-François, le premier maréchal de la famille et héros de la guerre des Camisards, le comte Victor-Maurice de Broglie (1647-1727). En août 1719, à la naissance de Charles-François, son père François-Marie (1671-1745) est un des grands officiers que compte le royaume, déjà remarqué à la bataille de Denain ainsi qu’au siège de Fribourg, durant la guerre de Succession d’Espagne. Une chose semble lier entre eux tous ces personnages : « Les Broglie possèdent un esprit indépendant et caustique, l’âpre franchise du langage, l’austérité des principes poussée jusqu’à la rudesse, et la fermeté des convictions, jusqu’à l’entêtement : c’était, disait-on, leur humeur héréditaire. » (Albert de Broglie, Le Secret du roi. Paris, 1878.).

Gageons que, comme tout enfant de militaire et de gentilhomme de ce temps-là, Charles-François, tout comme son frère aîné Victor-François (1718-1804) ou ses deux autres frères François (1720-1757) et Charles (1733-1777) appris à affirmer son caractère aussi vite qu’à monter à cheval. A ce passé illustre, chacun des frères Broglie devait répondre fidèlement « Pour l’avenir » ! Très vite détaché, bien que cela soit contre son gré, du commandement militaire, le cadet de cette maison allait avoir un destin exceptionnel, au plus proche conseil du roi.

 

De « petits coqs de combat sans cesse dressés sur leurs ergots »

On attribua souvent à la fratrie des Broglie les attributs du coq, comparaison qui se poursuivit jusqu’à dernièrement et les écrits de Gilles Perrault (Le Secret du roi, T.1. La passion polonaise. Fayard, 1996.). Sans doute voulait-on moquer de grands mérites… Goethe, lui, aura l’honnêteté de voir en Victor-François un homme « d’une taille peu élevée, mais bien bâti, vif, prompt et regardant spirituellement autour de lui. ». L’association de l’aîné et du cadet dans la moquerie ainsi qu’une éducation partagée dans les camps lia dès l’enfance les deux premiers frères de Broglie d’un attachement pur et jamais rompu.

Enfant, Victor-François et Charles-François partagèrent tout, dans la suite de leur père, nommé dès 1724 ambassadeur près la Cour de Londres afin de négocier le mariage de Louis XV et de la fille du prince de Galles. Durant trois ans, les deux enfants firent leurs humanités et accompagnèrent sans doute souvent à la chasse leur père et son équipage, reconstitution d’un corps de cavalerie qui lui manquait tant. Dès 1733, le manque fut comblé et les deux garçons, âgés de quatorze et quinze ans accompagnèrent leur père au sein de l’armée des Alpes qui reproduisait la route d’Hannibal, le maréchal de Villars à sa tête.

Cette guerre de Succession de Pologne fut l’occasion pour le comte de Broglie de recevoir, comme son père avant lui, le bâton de maréchal. Il repoussa les Autrichiens devant Parme, laissant douze mille ennemis sur le champ de bataille, et envoya son fils aîné, âgé de seize ans, porter au roi la nouvelle. En 1743, envoyé en Bavière durant la guerre de Succession d’Autriche, le maréchal, jugeant du mauvais état de ses troupes, s’essaya à gagner l’Alsace sans ordre. Louis XV, voulant laver l’affront fait à son allié Frédéric II de Prusse, le condamna à l’exil en ses terres de Normandie. Le maréchal, à qui le roi avait accordé le titre héréditaire de duc, devait s’éteindre en 1745, année de la terrible bataille de Fontenoy, laissant derrière lui trois fils aux destins tracés.

Son fils aîné, Victor-François, continua à servir sous le maréchal de Saxe : il sera gouverneur de Béthune et lieutenant-général du royaume en 1755 et ne cessera jamais de briller, les armes à la main. François, comte de Revel, sera tué à trente-sept ans à Rosbach en 1757. Le benjamin, Charles, sera évêque-comte de Noyon et pair de France. Son second fils, Charles-François, chevalier de Saint-Louis et brigadier en 1747 ne connut pas la même carrière militaire que son aîné. Pourtant, le 11 mars 1752, la vie du désormais comte de Broglie devait basculer, sans qu’il eût pu l’imaginer.

 

Au cœur du Secret du roi

Ce jour de 1752 donc, le comte de Broglie devenait ambassadeur près le roi et la république de Pologne. A cette époque, Louis XV entend appliquer son Pacte de Famille, une politique d’alliance entre tous les trônes occupés par le sang des Bourbons préférée à la guerre. En Pologne, la monarchie est alors élective et la succession du roi Auguste III (1734-1763) est déjà l’objet de spéculations. En France, Louis-François de Conti (1717-1776), cousin du roi et maître du Temple de Paris en sa qualité de Grand prieur pour la France de l’ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem entend peser dans cette succession… qui n’est pas encore ouverte !

Louis XV y voit un bon calcul mais est conscient de la nécessité de jouer un double jeu. Il s’agit de ménager ses relations avec le roi encore en place, tout en favorisant dans l’ombre ce parti français soutien de Conti, contre l’avis de ses propres secrétaires d’Etat aux Affaires étrangères, bien souvent pilotés par les maîtresses de Versailles. Le prince de Conti est donc chargé par Louis XV d’ériger un réseau d’ambassadeurs capables d’appliquer les instructions des Affaires étrangères en surface, tout en favorisant dans l’ombre la politique inverse ! Ainsi naquit le Secret du roi.

Le prince de Conti choisi des hommes parmi les plus fidèles, qui comme Broglie, ont stationné au Temple et ont servi au sein de l’armée du Rhin. Ce Secret devint très vite une organisation d’agents-doubles parmi les plus performantes de l’Histoire, grâce à un cloisonnement total. Ainsi, le comte de Broglie et le célèbre chevalier d’Eon (1728-1810), exerçant auprès de la cour de Russie, restèrent longtemps de parfaits inconnus l’un à l’autre. L’Europe entre alors sous l’égide nouveau du traité de Versailles du 1er mai 1756 : la guerre franco-anglaise en Amérique conduit les Bourbons à se rapprocher des Habsbourg, régnant en Autriche.

Dès le 29 août, l’Europe s’embrasait, le roi de Prusse envahissant la Saxe pour mieux menacer l’Autriche. De ce feu qui dévora l’Europe sortirent, à la pointe des épées françaises, des étincelles de gloires. Pourtant, le traité d’alliance de Westminster conclu avec l’Angleterre favorisait la Prusse : le comte de Broglie fut rappelé 1758 non sans avoir été, preuve de bons services, fait chevalier du Saint-Esprit le 1er janvier 1757.

 

Directeur du Secret

A Versailles, les ambitions de l’ambassadeur élevé au Secret étaient directement menacées par le nouveau ministre des Affaires étrangères le duc de Choiseul (1719-1785), protégé de la marquise de Pompadour (1721-1764). Malheureuse époque que celle-ci, à laquelle le royaume de France était le sein nourricier de tant de glorieux commandants… qui se révélaient incapables de s’entendre ! Les luttes de pouvoir de Versailles qui s’étendaient trop souvent sur les champs de bataille de l’est ne suffirent pas à séparer les frères de Broglie. Après avoir brillés lors du siège de Kassel en mars 1761, ils furent en juillet les victimes politiques de l’échec de Villinghausen et furent condamnés à l’exil sur leurs terres normandes. Depuis l’ombre provinciale, Charles-François de Broglie devait alors tirer les ficelles de la diplomatie du royaume.

Avec le traité de Paris du 10 février 1763 et la fin de la guerre de Sept Ans, la France se devait d’imaginer une revanche. Telle était la charge du comte de Broglie, qui fut alors partout, sans y être. On le verra inventeur d’un plan complet d’invasion de l’Angleterre, qui dû être ardemment protégé des voltes-faces des agents du Secret envoyés à Londres. Il s’imposa aussi en sauveur vis-à-vis de ce cabinet occulte, menacé d’être découvert et de compromettre le roi à la mort de Jean-Pierre Tercier (1704-1767), superviseur du Secret à la Cour.

Bien souvent hélas, le travail important du comte de Broglie fut réduit à néant, par hostilité des ministres et mutisme du roi. En 1764, après la mort de Madame de Pompadour, les Broglie revinrent à Versailles : le comte se surpris à rêver… du poste de ministre des Affaires étrangères. Laissé vacant après l’exil de Choiseul, ce portefeuille devait pourtant aller au duc d’Aiguillon (1720-1788). Après une campagne de calomnies, Broglie parti pour un nouvel exil en Charente, dans son marquisat de Ruffec.

 

Le fermier gentilhomme

Au cours des exils qui marquèrent sa vie, le comte de Broglie fut aussi un aristocrate local, soucieux de la valorisation de son patrimoine et du bien-être de ses gens. Propriétaire depuis 1762 du colossal marquisat de Ruffec, sur les bords de la Charente, il eut un comportement alors rare en France, car uniquement observé à cette époque dans une Angleterre déjà industrielle. Il fit assainir les canaux de la ville, remonter les fortifications abandonnées au frais de ses vassaux, repris sur les habitants ses droits seigneuriaux. Très soucieux du devenir de ces derniers, il développa la culture de la pomme de terre et du riz et se fit accorder doit de foire. Propriétaire d’une forge, il pourvoyait aux besoins des ports de Brest, Toulon et Rochefort et faisait de la Charente une région sidérurgique de premier plan. Arthur Young (1741-1820), dans ses Voyages en France disait du comte de Broglie que « ses entreprises étaient d’un genre national, (…), prouvant qu’il avait des dispositions pour toutes les entreprises qui pouvaient (…) être utiles à sa patrie. ».

 

Rêves d’Amérique

Le 10 mai 1774, la face, sinon du monde, de la monarchie française, changeait : Louis XV expirait. Le comte de Broglie s’empressa d’informer Louis XVI de la diplomatie parallèle établie par son père. Hélas, le nouveau souverain s’y montra peu sensible et, après maintes tentatives de Charles-François pour regagner Versailles durablement, il le nomma commandant en second, auprès de son frère, de la province des Trois-Evêchés. A Metz, ce vieil officier de cinquante-six ans s’entoura de jeunes militaires, dont l’un d’eux, âgé de dix-sept ans, se trouvait être un certain Gilbert du Motier, marquis de La Fayette (1757-1834).

Lors d’une réception à Metz du duc de Gloucester (1743-1805), encombrant frère du roi George III d’Angleterre (1760-1820), le jeune marquis se trouva captivé par un discours extrêmement hostile vis-à-vis des colons britanniques qui, là-bas, au loin, défiaient la toute-puissance de la Couronne. On se figurera la révélation qu’eut alors La Fayette à la lecture de ses Mémoires : « Jamais si belle cause n’avait attiré l’attention des hommes. C’est le combat de la liberté, sa défaite ne lui eût laissé ni asile, ni espérance. Mon cœur fut enrôlé et je ne songeais qu’à joindre mes drapeaux. ». Hélas, les obstacles de l’âge et de la fortune, ainsi qu’un beau-père peu enclin à voir son nom associé à ces luttes faisaient du marquis un être démuni.

La Fayette trouva alors en Charles-François de Broglie un allié, lui déclarant : « Eh bien, vengez-vous ! Soyez le premier qui ira en Amérique ; j’arrangerai cela. ». L’arrangement allait bientôt devenir un bateau, la Victoire, qui devait porter en toute illégalité La Fayette vers son destin, tandis que son armateur recevait à Ruffec le frère du roi, futur Charles X ! Nombreux furent les rêves du comte de Broglie vis-à-vis de l’Amérique et de l’Angleterre. Si aucun ne se réalisa, la littérature qu’il produit à ces fins laisse la marque d’un travailleur acharné, convaincu tant de ses capacités personnelles que de la grandeur du royaume qu’il servait. Mort le 16 août 1781 à Saint-Jean-d’Angély, au milieu des marais qu’il souhaitait assécher et rendre à leurs habitants, il est inhumé dans la cathédrale d’Angoulême.

Alain Mazère est membre de l’Académie d’Angoumois et du Cercle des auteurs charentais de Paris, est l’auteur de neuf monographies et d’une série policière et a collaboré à plusieurs ouvrages historiques. Avec cet ouvrage, qui répond à la visite à Ruffec le 5 novembre 2021 du consul des Etats-Unis Alexander Lipscomb lors d’une cérémonie en l’honneur de celui qui incita le marquis du Motier à devenir La Fayette, Charles de Broglie trouve enfin l’estime des hommes.

 

Charles de broglie – Un ruffecois espion de Louis XV et promoteur de La Fayette – Alain Mazère – 2022 – Editions Douin

 


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