Membres à part entière du corps préfectoral, les Sous-préfets ont été créés par la même loi que celle ayant institué les Préfets et les secrétaires généraux. Le portrait dessiné par Alphonse Daudet dans sa courte nouvelle le Sous-Préfet aux champs est, comme on peut l’imaginer, loin de l’image que nous avons du corps préfectoral. Derrière les dorures des Préfectures, nous voyons ces agents de l’État d’un œil interrogateur, respectueux, mais parfois méfiant.

 

Les préfets sont, dans une certaine mesure, les héritiers des intendants de l’Ancien Régime. Ces derniers avaient un rôle initial de contrôle et leur charge était temporaire. L’exercice de leurs prérogatives s’étendait sur une circonscription territoriale appelée « généralité ». A partir du XVIIe siècle, ces envoyés du Roi occupèrent un poste fixe davantage tourné vers l’administration. Ils étaient des outils de la centralisation monarchique, hommes du Roi dans la généralité mais aussi défenseurs des provinces auprès de ce dernier. Outre leur fonction d’administrateur, ils encourageaient les nouvelles techniques agricoles, les travaux publics, les nouvelles industries etc. Leur dénomination officielle était alors « intendants de justice, de police et finances ». La Révolution entraîna cependant la disparition des généralités et substitua aux anciens découpages territoriaux un nouveau maillage territorial uniforme, les départements.

« Bonaparte […] reprend un schéma d’administration territoriale qui préexistait à la révolution et qui correspond tout à fait à la construction historique, progressive et différente selon les provinces, de notre pays. Pour créer et maintenir une unité tout en considérant les particularités territoriales, le pouvoir central n’a de meilleure organisation que de désigner un représentant, qui établit une sorte de cohérence entre le tout et la partie dont il a la charge. La révolution avait pensé à des fonctionnaires élus dans les assemblées locales. Le désordre qui en résulta aboutit à un mouvement inverse où le pouvoir central nommait tous ceux qui exerçaient des charges publiques, à commencer par les préfets qui proposaient ensuite les maires, les conseillers municipaux… C’est le système administratif instauré par Bonaparte, ancien proche des Jacobins, très inspiré par ailleurs de ses conceptions militaires et des théories scientifiques de l’époque. Faut-il rappeler que Bonaparte a été élu à l’académie des sciences ! » explique M. Bernard*, haut-fonctionnaire du corps préfectoral.

En 1800, l’État est affaibli et la nécessité de recréer un corps pérenne d’agents représentant le pouvoir central se fait sentir. Bonaparte, alors premier consul, institue le corps préfectoral par la loi du 28 pluviôse an VIII dont l’article 2 dispose : « Il y aura dans chaque département un Préfet, un Conseil de préfecture et un Conseil général de département ». Doté d’une autonomie certaine dans son action, le Préfet « sera chargé seul de l’administration » et, afin de leur venir en aide, leur seront associés un Secrétaire général ayant « la garde des papiers » et s’occupant de la signature des expéditions, et un Sous-préfet par arrondissement. Les Préfets sont voulus par Bonaparte comme des outils de la centralisation, tout comme les intendants d’Ancien Régime l’ont été pour la Monarchie. En ce début de siècle, les priorités étaient au bon recouvrement de l’impôt, à l’application des directives venant de Paris et au ravitaillement des troupes en campagne. En un mot, le retour à l’ordre, à la stabilité et à la paix civile. « Militaire, Bonaparte recherche la rapidité et l’efficacité et conçoit son administration pour manœuvrer. Il commande, transmet des ordres, qui sont exécutés. Le ministre ne connaît que le préfet et le préfet ne connaît que le ministre, comme il en était fait état dans les instructions. Ces courroies de transmission de l’État correspondaient aussi aux recherches savantes sur l’électricité, ce fluide qui circule vite et de façon directe. La rationalité de ce temps devait ainsi produire des institutions frappées d’un esprit scientifique. » continue le fonctionnaire.

Les premiers Préfets sont nommés par Bonaparte, seul, mais à partir d’une liste dressée par son frère Lucien, alors ministre de l’intérieur, et de son secrétaire général, Beugnot.

 

« La Révolution est fixée aux principes qui l’ont commencée ; elle est finie »

Au sortir de la Révolution, il est légitime de se demander si ces hauts fonctionnaires nommés par un homme seul ne l’ont pas été pour des raisons purement politiques. Fallait-il nommer des hommes qui seraient fidèles à un homme, Bonaparte, plus qu’à un régime ? Devaient-ils poursuivre le processus révolutionnaire ? Dans une lettre du 26 avril 1800, Lucien Bonaparte dira aux Préfets qu’ils sont « appelés à seconder le gouvernement dans le noble dessein de restituer à la France son antique splendeur, d’y ranimer ce qu’elle a produit de grand et de généreux, et d’asseoir enfin ce magnifique édifice sur les bases inébranlables de la liberté et de l’égalité ». Puis il tint ces quelques mots, rappelant que la haute fonction de Préfet ne saurait être exercée sans fidélité à l’État : « Dans vos actes publics, et jusque dans votre conduite privée, soyez toujours le premier magistrat du département, jamais l’homme de la Révolution ».

« Les préfets ont tantôt la figure de la loi qui contraint, et leur image peut déplaire, tantôt celle de l’État qui protège, en première ligne des gestions de crises notamment. » commente M. Bernard. « Ils sont alors bien plus appréciés, bien que les préfets ne soient pas nommés pour être populaires ou pour songer à leur image, mais pour agir au service de l’État, dans le respect de la constitution et pour l’intérêt général, notion très prégnante dans le corps préfectoral. »

 

Des « empereurs au petit pied »

Dans l’esprit de Bonaparte, les Préfets sont des hommes de pouvoir, des « empereurs au petit pied » est-il écrit dans le Mémorial de Sainte-Hélène. L’importance de ces hommes est assise par leur préséance dans les cérémonies officielles. Ce sont notamment eux qui ont la charge d’accueillir l’empereur dans le cas d’une visite dans le département.

A la Restauration, l’administration départementale instituée par Bonaparte n’est pas remise en cause. Le rôle des Préfets en matière économique et sociale est cependant accru dans les années 1830, au cours de la Monarchie de juillet. Ils ont été au cœur des développements économiques, sociaux et sociétaux de leur temps. Le Préfet de la Seine, le comte de Rambuteau, par exemple, est à l’origine des premiers grands travaux de modernisation et d’amélioration de la salubrité de la capitale. Dans une lettre adressée à Louis-Philippe il dira « Dans la mission que Votre Majesté m’a confiée, je n’oublierai jamais que mon premier devoir est de donner aux Parisiens de l’eau, de l’air et de l’ombre ». Ces grands travaux d’aménagement ont préfiguré ceux du Baron Haussmann, au cours du Second Empire. Les Préfets eurent également à jouer un rôle essentiel dans le développement du chemin de fer, innovation correspondant pleinement à leurs attributions en matière de développement économique et industriel.

Malgré la multiplicité des régimes, des gouvernements et des aléas de l’Histoire des XIXe et XXe siècles, le corps préfectoral est une institution qui reste stable. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, durant l’occupation allemande, nombreux sont les Préfets à avoir fait preuve d’héroïsme. Si Jean Moulin, Préfet d’Eure-et-Loir, est le plus connu d’entre tous pour le rôle qu’il eût dans la résistance, ce sont 39 Préfets et Sous-préfets qui sont morts pour la France, fusillés, déportés ou morts au combat.

 

Un rôle retrouvé par la crise du Covid-19, dans la réglementation…

Aujourd’hui, le Préfet « est le représentant de tous les membres du gouvernement, et reçoit toutes leurs instructions. Il rend des comptes sur l’action des services dont il a la responsabilité. Sa parole publique est vouée à défendre et expliquer l’action du gouvernement, puisque la constitution qui le cite en son article 72 dispose aussi que l’administration est à la disposition du gouvernement élu. » En outre, ils ont la charge de mettre en œuvre les politiques gouvernementales et de garantir l’ordre public et la sécurité des populations. Cette formule, simple d’apparence, cache une réalité délicate à exprimer et que tous les Français ont courageusement subi : les restrictions sanitaires.

« La mise en œuvre de la loi d’urgence sanitaire et l’application des mesures exceptionnelles (couvre-feu, interdiction de déplacements…) ont été naturellement confiées aux représentants de l’État chargés du respect de l’ordre public. Ce « droit covid », né de la crise sanitaire et qui disparaîtra avec elle est d’une grande complexité et donne lieu à toutes les interrogations » témoigne M. Bernard. « La communication est donc nécessaire, au grand public comme aux filières (hôtellerie restauration ou professionnels du spectacle par exemple). Avec les forces de l’ordre, les préfets ont interdit des rassemblements, mis un terme à des événements de nature à générer des foyers épidémiques, fait sanctionner les entorses aux règles de protection sanitaire. Dans tous les cas, leur seul repère était l’intérêt collectif, pour que des excès commis par quelques-uns ne nuisent pas au plus grand nombre. Ce rôle est celui de la répression des actes et comportements illégaux. Très récemment, les Préfets et les agents des préfectures ont été confrontés, et le sont encore, à une crise sanitaire imprévue et ayant mis à rude épreuve notre système de santé. Cette crise a illustré le rôle plein et entier des préfets. Peu à peu, ils ont été appelés à prendre en charge la collecte puis la distribution des équipements de protection, et désormais des vaccins, pour apporter à l’État leur savoir-faire, celui du ministère de l’Intérieur, qui est la gestion de crise » développe le haut-fonctionnaire. « La stratégie d’ensemble reposait sur le ministère de la santé et les agences régionales de santé, lesquelles ont été vite dépassées, rendant aux préfets leur rôle premier, à la demande même des élus territoriaux, celui de chef de file de l’action de l’État au plan local. »

 

Et dans la sauvegarde de l’économie

Si nous voyons principalement les restrictions endurées, les Préfets ont renoué avec une fonction inhérente à leur position : celle d’encourager, de soutenir et de préserver les acteurs économiques et industriels de leur territoire. « Les préfets et les services de l’État se sont occupés du maintien de l’activité économique et industrielle ou des services publics, essentiels pour fournir les biens de première nécessité (aliments, produits d’équipement, travaux publics) ou des prestations indispensables (retrait des ordures ménagères). En lien avec les chefs d’entreprise et les responsables publics, les maires notamment, car les préfets ne font rien seuls et leur premier savoir-faire est le travail en réseau, les conditions de la continuité de production ou de service ont été examinées, définies, consolidées pour apporter aux citoyens confinés les moyens de la subsistance. Ce travail est largement passé inaperçu, quand bien même il n’aurait échappé à personne qu’il était nécessaire s’il n’avait été effectué avec diligence. »

« Dans le même ordre d’idée, les préfets ont assuré le déploiement des mesures de soutien aux entreprises à l’arrêt avec deux mots d’ordre : limiter la casse économique et préserver les emplois. Ils sont activement engagés en ce moment dans la relance de l’économie, qui nécessite de pouvoir relier des entreprises ayant des projets (c’est la préparation de l’avenir) aux aides du plan de relance, de sorte que l’argent public soit employé utilement. Ils ne sont pas seuls, là encore, et s’appuient sur des analyses expertes. […] Leur contact de terrain avec les entrepreneurs a pour mérite de jauger, dans la réalité, les capacités d’une entreprise à se développer, créer et offrir à notre pays les ressources industrielles dont il a besoin. »

Dans ces moments de crises sanitaires, économiques, sociales, sociétales, il sera toujours bon de rappeler qu’au fond, même si nous sommes éprouvés par les évènements : « ce qui est en jeu est le contrat social, toujours renouvelé, et la vertu que l’on accorde collectivement aux lois librement consenties, car votées par les représentants de la nation. Les préfets n’ont de pouvoirs que dans la limite de la loi et pour son application. » explique M. Bernard.

 

Le fin mot de l’Histoire…

N’allons pas croire que de l’idée originelle de Bonaparte il ne reste rien. Cette idée de rapidité dans la transmission des ordres, gage de l’efficacité de l’action du gouvernement, est toujours présente.
« Ces traits se retrouvent toujours dans la fonction préfectorale et dans [l’esprit] de l’État, entre ses administrations centrales et son administration territoriale. […] Le préfet d’aujourd’hui n’a pas l’autonomie des intendants du roi, et ne peut se détacher d’un lien étroit avec les ministères. En ce sens, l’empreinte de Bonaparte se fait toujours sentir. Pour autant, le mouvement de déconcentration qui accompagne celui de décentralisation est une attente forte des élus locaux comme des préfets qui désirent sans trop l’avouer plus de degrés de liberté dans l’exercice de leurs fonctions et moins de contraintes imposées par un excès d’instructions en tout genre et une gestion administrative encore largement exercée par les entités centrales. »

« Ce désir intime et pudiquement renvoyé au secret des consciences (preuve que Bonaparte n’est pas si loin) semble partagé par les gouvernements successifs. Mais les évolutions sont lentes, comme si les plus bonapartistes n’étaient pas les préfets eux-mêmes mais ceux qui trouvent somme toute confortable de disposer des services qu’ils peuvent rendre, de leur permanence dans les missions qui leur sont données et de leur loyauté. » conclu le fonctionnaire.

Bien que la figure de Bonaparte suscite de nombreuses controverses, il y a une chose que nous ne pouvons pas remettre en cause : plus de deux siècles après sa création, le corps préfectoral reste sans aucun doute l’un des plus importants legs de l’Empereur dans le domaine de l’administration territoriale.

 

* L’identité a été changée.

 


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