Chantier de la nouvelle gare de Créteil l'Echat, ligne 15 en 2018. © Société du Grand Paris / Cyrus Cornut

Béton bas carbone, matériaux biosourcés, maquettes numériques, nouveaux outils high-tech, mais aussi nouvelles approches contractuelles… La décennie passée a été riche en innovations tous azimuts dans les travaux publics et le génie civil. Tour d’horizon de ces dix années qui ont transformé le BTP.

 

2012 — 2022 : une décennie qui semble marquer un tournant pour le BTP. Il faut dire que ces dernières années ont été rythmées par des évolutions notables à la fois dans la manière de construire en elle-même, mais aussi dans la façon d’aborder les chantiers en général : plus verte, plus responsable, plus attentive à la société. En parallèle, on constate également des transformations importantes du côté des techniques contractuelles et de la commande publique. Loin d’être sans lien avec les nouvelles exigences sociales et environnementales, ces bouleversements sont pensés pour intégrer la RSE aux chantiers et susciter l’innovation chez les entrepreneurs. Coup de projecteurs sur quelques avancées notables.

 

Les outils du BTP font leur révolution

Impossible d’aborder les évolutions du BTP sans évoquer la révolution des nouveaux matériaux ! Sous la pression de l’urgence climatique, ces dix dernières années ont été marquées par un intérêt très fort pour le ciment, principal responsable des émissions de GES du secteur. De nombreux laboratoires ont mis le pied à l’étrier pour créer un ciment plus faible en carbone, voire totalement décarboné. Fruit d’années de recherches et d’essais, beaucoup de cimentiers proposent désormais des gammes de ciment (ultra) bas carbone : Point P, Calcia, Cemex, ainsi que LafargeHolcim, leader mondial du secteur. La gamme bas carbone « ECOPact » du cimentier français a été d’ailleurs utilisée pour la première fois cette année sur un chantier français, à Trémuson, dans les Côtes-d’Armor. Nul doute que ces ciments à faible émission de GES remplaceront définitivement le traditionnel ciment Portland d’ici à quelques années.

À côté du béton, on ne compte plus le nombre de réalisations en bois, qui se sont multipliées dans la dernière décennie : Cartoucherie Wood’Art à Toulouse (Maître Cube), Ecopolis à Dijon (Hydraeco), Casa Jenga à Paris (Dhomino), Hypérion à Bordeaux (Eiffage)… Avec sa capacité à absorber le CO2, le bois émerge progressivement comme un matériau privilégié, y compris pour les immeubles d’habitation, alors qu’il était auparavant plutôt réservé aux maisons individuelles en France.

Enfin, côté conception et architecture, l’utilisation d’outils numériques se démocratise elle aussi. Le BIM, pour Building Information Modelling, est une maquette numérique « unifiée », que toutes les parties prenantes peuvent consulter, modifier et adapter. Initialement créé par l’architecte, le BIM « sert à produire les plans d’exécution qui seront diffusés au chantier », comme l’explique Clément Valente, expert en construction numérique et auteur d’un ouvrage sur le sujet. Véritable révolution industrielle, son usage s’est fortement répandu dans l’Hexagone depuis 2017 et le Gouvernement a prévu dans son « Plan BIM 2022 » de généraliser son utilisation à toutes les constructions.

La Société du Grand Paris (SGP) a d’ailleurs décidé de l’utiliser pour les chantiers du Grand Paris Express (GPE). « Le BIM a été jusqu’ici peu utilisé dans le secteur des transports », analyse Claude Laborie, directeur de la mission Proxemys chez Assystem. « Nous allons apporter notre expertise aux différentes directions et accompagner les équipes de la SGP par des modules de formation sur mesure ».

 

Une nouvelle approche dans le recyclage des déchets

Les acteurs du bâtiment prennent tous davantage en compte, ces dernières années, l’environnement autour des chantiers. La question des déchets et de leur recyclage concentre un grand nombre de problématiques sociales et environnementales : émissions de GES des camions transportant les déblais, nuisances (retombées de poussières, bruit…), valorisation des déchets en eux-mêmes…

Le BTP distingue plusieurs types de déchets : les déchets du gros œuvre (béton…), du second œuvre (verre, plâtre, carrelage…), les déblais d’origine naturelle et souterrains… Concernant ces derniers par exemple, la Société du Grand Paris a prévu l’extraction de 45 millions de tonnes de terres au total pour le GPE. Un tel volume pose évidemment problème en termes de transport, de stockage, de recyclage, d’émissions de GES, de nuisances… D’autant que la Société du Grand Paris a mis la barre haut, exigeant de valoriser ces déblais à hauteur de 70 %. Plusieurs innovations ont ainsi vu le jour pour relever ce défi, à l’image de Carasol, un nouveau dispositif mis au point par les ingénieurs d’Eiffage en partenariat avec le CEA, qui permet d’analyser en moins de deux heures (contre une semaine normalement) la composition des déblais, et d’en déduire la destination finale. L’outil a notamment été utilisé sur le chantier de la ligne 16 du Grand Paris Express.

Pour justement transporter ces déblais, sur le GPE comme ailleurs, les entreprises favorisent aujourd’hui plutôt les bandes transporteuses (ou convoyeurs) pour évacuer les déchets à la place des camions, lorsque l’utilisation de la voie fluviale ou ferroviaire est impossible. Ces convoyeurs ont par exemple été déployés pour l’évacuation des déblais du tunnel Lyon – Turin par Spie Batignolles, sur le Grand Paris Express par Razel-Bec, ou encore dans la rénovation de l’autoroute A79 par Eiffage, où l’utilisation de la bande transporteuse a permis de supprimer… 160 000 camions !

Enfin, c’est évidemment surtout la question du recyclage et du réemploi qui se pose, notamment pour les déchets de chantier du second œuvre, qui ne sont pas toujours facilement valorisantes. Mais à nouveau, le BTP a énormément progressé sur cette problématique ces dernières années. Bruno Cahen, qui dirige l’entreprise de démolition et de recyclage Demcy, notamment impliquée sur les chantiers des lignes 15 et 16 du GPE, témoigne ainsi : « Dans l’industrie de la démolition existe une hiérarchie de traitement des déchets. L’élimination (l’envoi en décharge) se situe tout en bas de la pyramide ». On préfère désormais plutôt parier sur la valorisation énergétique, le recyclage, ou mieux — la revalorisation matière, une pratique qui se développe en partie sur demande des clients. « Il arrive de plus en plus que nos clients nous demandent de réutiliser les matériaux de déconstruction sur leur propre chantier de reconstruction. Depuis 4 ou 5 ans, cette approche évolue de manière exponentielle ». Une filière favorisée par l’évolution des mentalités et des technologies donc.

 

L’ingénierie contractuelle en pleine transformation

La technologie est loin d’être la seule à avoir bouleversé la profession ! Les façons de contractualiser entre clients (notamment publics) et entreprises du BTP ont subi, pendant la décennie passée, des évolutions intéressantes. Les partenariats publics-privés (PPP), par exemple, sont apparus en France au début des années 2000 et ils se sont très rapidement imposés pour la construction d’hôpitaux, d’écoles, de commissariats, de prisons… Les PPP ont aussi été utilisés pour des ouvrages importants, comme l’« Hexagone Balard », ou encore le tout nouveau Palais de Justice de Paris, tous deux récemment livrés par Bouygues.

Leurs avantages sont évidents pour les clients publics, Etat comme collectivités : un tarif affiché d’entrée de jeu et un entrepreneur qui s’occupe de tout de A à Z… Problème : la rigidité de certains contrats PPP laisse peu de marge de manœuvre à l’administration. L’architecte Stefano Giorgio-Marrano, qui travaille à l’agence Renzo Piano, témoigne ainsi à propos du nouveau tribunal parisien : « Chaque modification demandée par l’administration devait passer par Bouygues, qui ne l’admettait éventuellement qu’après de longues discussions ». D’autant que ces contrats ne sont pas forcément plus économiques pour le client au bout du compte. L’État a ainsi déboursé 7,8 millions d’euros pour la réalisation du Palais de justice de Caen avant même la signature du PPP, alors que la construction du tout nouveau palais de Bourg-en-Bresse, opérée en conception-réalisation, n’a coûté que 900 000 euros…

Et c’est justement vers la « co-réa » que des espoirs raisonnables se tournent aujourd’hui, aussi bien pour les clients publics que pour les entrepreneurs. Dans l’idée, on retrouve des similitudes avec les PPP, puisque le donneur d’ordre délègue aussi bien les études que les travaux à un seul acteur (ou, plus souvent, à un groupement d’entreprises). Mais surtout, la « co-réa » permet d’être plus réaliste dès le départ sur les coûts des chantiers par rapport aux PPP, ce qui explique en partie pourquoi la Société du Grand Paris a décidé d’y recourir pour le GPE. C’est d’ailleurs un des points sur lesquels Jean-François Monteils avait insisté au Sénat à la veille de sa nomination à la tête de la SGP — ce qui n’a rien de surprenant de la part d’un ancien magistrat de la Cour des comptes.

Si la conception-réalisation a un potentiel de réduction des coûts, c’est parce qu’elle favorise davantage le dialogue entre maître d’ouvrage et entreprises du BTP — d’autant qu’en déléguant à la fois les études et les travaux, les donneurs d’ordre se donnent la possibilité de n’avoir qu’un seul et unique interlocuteur, auquel ils transfèrent une grande part des interactions qu’ils gèrent dans les modèles classiques. Pour ce dernier d’ailleurs, les mêmes exigences sont demandées par rapport aux PPP : maîtrise des coûts et des délais, interdisciplinarité, capacité à mobiliser en interne une pluralité de métiers et d’expertises…

Des qualités qui lui permettent de « challenger » les choix du maître d’ouvrage, dans une logique d’optimisation technique et financière du projet. « Au travers d’un dialogue compétitif en amont des attributions, il s’agit de permettre au donneur d’ordre de confronter d’emblée ses souhaits avec la réalité d’une future construction », indique Guillaume Sauvé, président d’Eiffage Génie Civil. « Dans cette phase qui précède la décision d’attribution aux soumissionnaires, nous mettons à la disposition du client tout notre savoir-faire en matière de conception et de méthode de réalisation, qui constitue autant d’opportunités d’optimiser le projet ».

Un cadre plus clair donc, moins coûteux et plus axé sur la co-construction, qui profite à toutes les parties en permettant aux entreprises du BTP d’exprimer pleinement les potentialités que leur confèrent les progrès accomplis, dans tout le spectre de leurs compétences, au cours de cette dernière décennie.

 


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