ENGIE : le combat des chefs à la tête du groupe, un enjeu politique et symbolique

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Le conseil d’administration d'Engie statuera sur le sort du directeur général Isabelle Kocher le 29 janvier prochain

Isabelle Kocher est une exception au sein du CAC 40. A la tête d’ENGIE, elle a lancé une stratégie zéro carbone. Pourtant, son élimination par le conseil d’administration semble envisagée. Au risque de se priver d’un symbole de réussite féminine et de compromettre un engagement contre le réchauffement climatique.

 

Que la direction d’un groupe du CAC 40 ayant une activité de plus de 60 milliards d’euros et dont le principal actionnaire est l’État soit l’objet de luttes féroces ne surprendra guère. ENGIE, société héritière de Suez et Gaz de France, s’est engagée dans une transition énergétique spectaculaire ; elle est liée à la présence d’Isabelle Kocher, à la direction du groupe depuis 2016.

L’idée qu’elle a toujours défendue était de réorienter ENGIE vers le gaz naturel, les énergies renouvelables (ce qui implique de se délester du fossile et de resserrer le groupe), mais aussi vers une politique de promotion de l’efficacité énergétique. Le but est de fournir à la fois de l’énergie plus verte et des solutions qui en optimisent la consommation.

Des choix qui chahutent les mentalités et ne garantissent pas forcément un profit boursier immédiat. Pourtant, le déchaînement de passions contre la dirigeante a pris des proportions inédites dès le début. Il devient difficile de distinguer la part d’irrationnel et de calcul froid dans l’hostilité que subit la dirigeante française sans doute la plus connue avec Christine Lagarde.

  

Les anciens et les modernes ?

Premier obstacle : Isabelle Kocher, normalienne, agrégée de physique et diplômée des Mines, et engagée dans la cause du climat, n’a pas obtenu en 2016 la présidence du groupe (confiée à l’ancien du groupe belge Solvay, J.P. Clamadieu), mais la seule direction ; on disait le ministre de l’Économie de l’époque, Emmanuel Macron, réticent à sa nomination avec double casquette. D’autres tensions se sont révélées.

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Elle est rapidement victime de lettres anonymes, de dénonciations touchant à sa vie privée, avec vol et publication de documents. S’ajoutent des rumeurs : elle aurait joué de ses charmes, il y aurait des conflits d’intérêt ; mère de famille, elle n’aurait pas l’énergie et le contrôle de soi nécessaire pour un tel poste… Sans attribuer aux mentalités archaïques tous les obstacles que rencontre une femme, difficile de ne pas être frappé par la tonalité machiste de ces attaques.

Isabelle Kocher préconise les trois D : production décarbonée, décentralisée et digitalisée, pour la maîtrise de l’efficacité énergétique. De là une tension entre la recherche de rentabilité financière à plus ou moins court terme et le « verdissement » progressif que cela implique : énergies renouvelables, consommation plus locale d’électricité et de gaz, meilleure gestion numérique des stocks, développement des services à l’énergie… Un changement de culture qui demande du temps mais remporte de premiers succès.

Or, les administrateurs envisagent de vendre les anciennes infrastructures de transport de gaz et des filiales de distribution et stockage, pour relancer le cours en Bourse après des années de progression modeste. Une stratégie que la dirigeante juge court-termiste et qu’elle compare à une vente « par appartements ». La tension monte avec le comité.

À rebours, on voit se mobiliser les syndicats, mais aussi les cadres du groupe. Réunis en séminaire le 19 décembre, ils ont fait une ovation éloquente à leur patronne.

 

La femme ou la dirigeante, cherchez la cible

Mieux, Chiara Corazza, personnalité internationale et directrice du Women’s Forum, intervient dans une tribune dans Les Échos, pour soutenir la gouvernance d’Isabelle Kocher et son engagement. Elle plaide pour qu’il reste au moins une femme aux commandes dans le CAC 40 et que notre pays qui s’engage pour la parité ne contredise pas ses principes lorsqu’il s’agit d’un poste de ce niveau et lié l’enjeu climatique. Au moment où un projet de loi pourrait proposer des quotas dans les comités  exécutifs, le contraste serait fâcheux.

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D’autant que l’éviction d’Isabelle Kocher ne manquerait pas, à tort ou à raison, d’être attribuée à une décision de l’Élysée. Quand une affaire de nomination suscite de tels échos, cela devient un enjeu politique voire idéologique.

Comme championne de la transition énergétique et comme femme, la directrice menacée devient un symbole. Par contraste, ses adversaires apparaissent, sinon comme de vieux machistes obsédés par le profit boursier (il y a, certes, des femmes dans le conseil d’administration), du moins comme le parti des anciens. Or la bataille de l’image compte beaucoup pour une société aussi exposée.

Isabelle Kocher semble pourtant marquer des points. Un récent audit d’un cabinet américain demandé par le conseil d’administration et qui lui est favorable augmente ses chances de second mandat. Et, au même moment, elle reçoit du groupe RH&M le trophée du « grand patron d’exception ».

Des atouts pour affronter les tensions liées à la réorientation stratégique qu’elle a entreprise, mais pas une garantie. Dans tous les cas, l’issue sera révélatrice du fonctionnement des sociétés françaises et de leur gouvernance.

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