Infrastructures routières : le «patrimoine de mobilité» français ne cesse de se dégrader

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L’autoroute A10, parfois appelée « l’Aquitaine », est une autoroute française reliant Paris à Bordeaux. Image d'illustration. ©gasdub / Flickr

Durement frappé par la crise économique qui secoue l’ensemble de l’économie française, le secteur du BTP voit s’accumuler des chiffres inquiétants. Les entreprises sont à la peine et regardent avec une inquiétude certaine un plan de relance qui fait l’impasse sur la modernisation du réseau routier. Une absence d’autant plus dommageable que de nombreuses routes nationales sont dans un état de délabrement préoccupant et que l’entretien de ce réseau fait vivre tout un écosystème d’entreprises dans les territoires, durement impacté par la crise du Covid-19.

 

Des chantiers dont les délais s’allongent dangereusement, un protocole sanitaire extrêmement difficile à appliquer, et une absence de visibilité qui inquiète. Les données de l’équation proposée aux professionnels du BTP sont ardues d’autant que le nombre d’inconnues ne tend pas à diminuer avec le temps. Selon une enquête réalisée en octobre par Wizzcard auprès de 100 entreprises de toutes tailles, près de la moitié (48 %) ne pense pas pouvoir rattraper le retard accumulé même si le gouvernement s’est montré plus souple à l’occasion de ce deuxième confinement. Le niveau d’activité est moindre qu’avant le début de la pandémie pour 20 % des entreprises interrogées et les regards se tournent vers le gouvernement de Jean Castex et le plan de relance historique de 100 milliards.

 

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Afin de surmonter la crise et bâtir la France de demain, le plan de relance comporte trois volets : écologie, compétitivité et cohésion. Il intègre un chapitre intitulé « infrastructures et mobilité vertes » et un sous-chapitre consacré à l’« accélération des travaux d’infrastructures de transport ». Y sont notamment évoqués des projets pour le développement des bornes de recharge, le report modal vers les transports en commun, le réseau fluvial, l’aménagement de la liaison ferroviaire Lyon-Turin, la modernisation des équipements de surveillance du trafic maritime… Mais rien, en revanche, concernant les infrastructures routières, lesquelles apparaissent incontestablement comme les « grandes oubliées » du plan de relance français.

 

Alerte sur la dégradation du réseau routier national

Pourtant, l’état du réseau routier français ne cesse de se dégrader depuis plusieurs années, faute d’investissements suffisants de l’Etat pour assurer son entretien. Dans le classement des infrastructures routières du Forum économique mondial (WEF), la France est ainsi passée, en sept ans seulement, de la première place mondiale – qu’elle a longtemps occupée – à la dix-huitième, après une chute de onze places entre 2018 et 2019 !

 

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Un rapport commandé par le ministère des Transports à deux bureaux d’études suisses a dévoilé en juillet 2018 l’état catastrophique du réseau routier national non concédé – qui s’étend sur 12 000 kilomètres – après plusieurs années de sous-investissement. Les chiffres sont éloquents : plus de 2 000 kilomètres de chaussée – soit 17 % des routes nationales – sont gravement endommagées et nécessitent des réparations structurelles immédiates. En moyenne, depuis plusieurs années, 670 millions d’euros sont mobilisés chaque année par l’Etat pour l’entretien des routes nationales, alors que selon le rapport, ces dépenses devraient doubler dans les prochaines années pour, au moins, stabiliser la dégradation du réseau.

Le constat est analogue pour les routes départementales, même si leur situation est moins dramatique : avec la baisse des dotations de l’Etat, les départements ont également réduit leurs investissements. « Moins de crédits sur les voieries départementales, moins de crédits sur les voiries d’Etat… Lorsque l’on entretient moins bien les routes, à la longue, cela se paie : on sait très bien que là où on ne met pas un euro aujourd’hui, dans dix ans, il faudra mettre dix euros », expliquait ainsi récemment à France 2 le sénateur centriste Hervé Maurey.

 

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Les usagers de la route commencent à subir les conséquences de cette dégradation et tirent la sonnette d’alarme. Parmi d’autres, l’association « 40 millions d’automobilistes » appelait l’État en 2019 à lancer un plan d’urgence d’entretien du réseau routier. Pour l’association, il est inconcevable que la France ne préserve pas la qualité de son réseau, qui est « notre patrimoine de mobilité ». Avec plus d’un million de kilomètres de voiries, le maillage territorial fait en effet la richesse de notre pays. En délaissant l’entretien, la France prend le risque d’une dégradation qui obligerait à une réfection totale de la voirie, laquelle coûte, selon les professionnels de la route, jusqu’à sept fois plus cher qu’un entretien régulier. La vitesse de dégradation d’une chaussée augmente en effet avec le temps et attendre trop longtemps avant de réparer une route oblige à des réparations structurelles dont le coût tend à croître de façon exponentielle avec le temps.

La lutte en faveur de la sécurité routière constitue également un argument de poids qui ne devrait pas échapper au ministère chargé des Transports et de son Ministre délégué, Jean-Baptiste Djebbari. En effet, des infrastructures en bon état sont moins accidentogènes par nature. La seule arme de la répression (de la vitesse et de la conduite sous l’influence d’une quelconque substance) ne pourra pas faire baisser le nombre de morts sous la barre des 3 000 chaque année. Un constat partagé par les usagers de la route eux-mêmes qui voient se détériorer les infrastructures empruntées quotidiennement.

 

Préserver notre patrimoine et la dynamique des territoires

La valeur à neuf de ce patrimoine routier – ce qu’il faudrait payer pour le construire aujourd’hui – est estimée à environ 140 milliards d’euros ; l’État consacre donc à l’entretien moins de 1 % de la valeur à neuf de ce réseau. « Nous sommes en train de dilapider notre patrimoine national par une vision à court terme. Nous n’avons pas, et nous n’aurons certainement pas les moyens financiers publics de renverser cette tendance », s’est alarmé Pierre Calvin, président de Routes de France, qui représente les industriels et les entrepreneurs du secteur des infrastructures de mobilité.

 

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Pour la FNTP (Fédération Nationale des Travaux Publics), la France, qui détient le plus grand réseau routier d’Europe, dispose d’un atout majeur en matière de communication et de mobilité. La préservation de ce réseau routier est essentiel au développement des services de mobilité de la ville de demain : électromobilité, voiture autonome, intermodalité, multimodalité, mobilité partagée et peut se faire à l’aune du développement durable… Les routes font partie intégrante de la réponse contre le réchauffement climatique avec des revêtements de chaussée appelés à être constitués de matériaux recyclés et une offre abondante et bien répartie de bornes de recharge pour les véhicules électriques. Le réseau routier a un véritable rôle à jouer et il est dommage de constater son absence du plan de relance.

Cette absence est d’autant plus regrettable que l’entretien et la réfection des routes est un secteur d’activité qui fait travailler de nombreuses entreprises locales, constituant un élément important de la dynamique économique et sociale des territoires. A l’heure où ceux-ci auraient bien besoin d’une bouffée d’oxygène pour surmonter la crise économique, l’absence de mesures dédiées à l’entretien du réseau routier dans le plan de relance fait grincer des dents élus locaux et sous-traitants du BTP. Il interroge également les raisons pour lesquelles l’Etat fait l’économie d’un plan d’investissement de proximité dans les infrastructures routières, qui s’impose pourtant avec la force de l’urgence et présente le mérite de soutenir l’emploi non-délocalisable.

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