Jean-Emmanuel Raux : un collectionneur qui règne sur le monde de l’autographe

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Jean Emmanuel Raux devant un des tableaux moderne de sa galerie au 9 rue de l'Odéon (Paris 6e).

Rencontre avec Jean-Emmanuel Raux, un collectionneur qui règne sur le monde de l’autographe depuis plus de trente ans. Un échange sans concession sur une passion devenue profession. Une vie fascinante qu’il livre aux amateurs de belles histoires.

 

Quand et comment vous est venue la passion de l’autographe ?

« Dans un passé lointain après des études de biologie, j’avais par hasard fait le commerce des timbres. Je me suis passionné dans les années 1970-1980 pour l’histoire de la Poste. Peu de gens le savent, c’est un sujet très vaste qui est à la base des relations internationales, du commerce et de l’épanouissement des peuples ».

Un jour au cours de ses pérégrinations de collectionneur, Jean-Emmanuel découvre sur un pli une marque postale “Armée de catalogne”. En ouvrant la lettre, il y découvre la signature du Maréchal Suchet. Cette découverte allait marquer le début d’une saine maladie, la collectionnite.

 

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Monsieur Autographe se souvient de son ressenti : « Un maréchal de Napoléon ?! C’est à peine croyable ! J’ai déchiffré cette lettre et j’y ai découvert la Campagne d’Espagne ! Je me suis mis à rêver ! A l’époque, j’étais totalement inculte sur l’époque napoléonienne. Mais je me suis dit que si on pouvait trouver une lettre d’un maréchal, on pouvait bien trouver une lettre de Napoléon ! Et voilà que j’ai foncé à Drouot pour chercher une lettre de Napoléon qui se présenta un mois plus tard sous la forme d’une lettre signée de Bonaparte pendant la Campagne d’Italie ».

Heureux mais déjà clairvoyant, Jean-Emmanuel Raux était frustré de cet achat : Napoléon ne signait que comme un général. « Je voulais sa signature en tant qu’Empereur. Et rebelote, encore à Drouot, je finis par calmer mon ardeur avec une lettre signée par Napoléon. À l’époque la vogue des lettres et objets de l’Empire ne faisait que démarrer et les prix étaient encore relativement bas ».

 

Votre collection s’est axée autour de l’Empire, et ensuite ?

« C’est en effet par l’Empire que ma collection est née et pendant de longues années, ce fut l’unique période de l’Histoire à me passionner, puis ce fut les rois de France, les musiciens, les littéraires, etc. Aujourd’hui je n’ai plus de véritable collection, tout est inclus dans les réserves de la galerie ».

 

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Avec le temps, vous êtes devenu un si grand collectionneur, qu’il a fallu ouvrir un commerce pour partager votre passion. A quand l’ouverture de votre première galerie puis le titre d’expert en autographes ?

« J’ai ouvert ma première boutique à Saint Germain en Laye en 1975. Je vendais un peu de tout : des gravures anciennes, des livres, de la philatélie et des autographes. J’avais à l’époque de vrais chineurs et de vrais collectionneurs qui n’hésitaient pas à assumer leurs passions et qui venaient très régulièrement acheter mes dernières trouvailles. J’ai eu jusqu’à 5 vendeuses autour de moi pour m’aider à recevoir la clientèle. En 1998 j’ai fermé le magasin et j’ai ouvert à Paris, au 9 rue de l’Odéon, ma galerie actuelle. Je n’ai rapporté à Paris que mon ensemble de lettres autographes. C’est au bout de 10 ans seulement, après 30 ans d’expérience que j’ai commencé à faire des expertises de documents autographes. J’exerce en plus de la galerie, en apportant mes expertises à plusieurs commissaires-priseurs à l’occasion de successions ou de lots de particuliers ».

 

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En trente ans d’expérience en la matière, il va sans dire que vous avez dû croiser quelques pépites. Quels sont les plus belles pièces que vous ayez eu l’occasion d’acheter ?

« J’ai la chance, par un regard aiguisé, d’avoir pu acquérir au fil du temps et du hasard des documents qui sont de véritables trésors. Un jour je me souviens avoir vu le matin à Drouot une lettre que personne n’avait pu déchiffrer et qui avait été mise de côté. Je suis passé par tous les stades du stress maximal, entre hantise et désespoir de ne pouvoir acquérir ce document si précieux à mes yeux… et si onéreux ! La vente commença à 14 h par des signatures diverses, j’en achetais certaines et j’attendais avec impatience mon document. Les lots n’avaient pas de numéros et cela se faisait au gré du commissaire-priseur. A la fin enfin le commissaire-priseur présenta le document convoité, d’une voix calme il annonça : « Nous allons vendre ce document que nous n’avons pas pu identifier… Y a-t-il preneur ? 10 euros ? Personne… ». Il me demanda si j’en voulais et j’acquiesçais d’un signe de tête et le marteau tomba. Stupéfait moi-même, qui ne pensais même pas pouvoir avoir les moyens de l’acquérir, j’achetais ce petit bout de papier qui s’était promené au fin fond de l’Afrique et qui était signé par des signes cabalistiques des rois locaux… pour un prix dérisoire !
Une autre fois, perdu au milieu d’une vente gigantesque, le manuscrit de la bataille d’Austerlitz sous la dictée de Napoléon qui l’avait corrigé à plusieurs reprises. Le plus grand manuscrit de l’Histoire Française. Les Archives de France n’ont rien de cette qualité pour l’époque napoléonienne… Là encore, le hasard a fait que ce manuscrit passa après 3 heures de vente, la directrice des Archives nationales assise à côté de moi… dormait ! Heureusement pour moi… Malheureusement, les Archives de France s’y prennent vraiment très mal pour le racheter… ».

 

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Qui sont vos clients ? Particuliers et/ou institutions ?

« Les institutions françaises et particulièrement le Ministère de la culture et le Service Historique de la Défense se sont mis tout le marché à dos. C’est navrant. Heureusement les musées étrangers se gaussent de nos difficultés et de nos règles d’exportations qui font que beaucoup de choses ne reviennent plus sur le marché. Cela fait 30 ans que je n’ai rien vendu aux archives de France. Je ne signale même plus les pièces litigieuses que je vois par ci par là. Il faudra bien qu’un jour on refasse ces lois spoliatrices qui permettent à des fonctionnaires de voler dans les archives privées des documents légalement acquis auprès d’officiers ministériels ». C’est dit, avec Jean-Emmanuel pas de langue de bois !

 

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« J’ai de très gros clients, des personnalités très connues comme des collectionneurs très discrets. J’aime raconter une anecdote vécue : un jour que je vendais des autographes de la période de Louis XIV à un client régulier, ma curiosité me poussa à lui demander dans quoi il travaillait. Il était éboueur. La collection de belles pièces autographes n’est donc pas réservée à une élite ! C’était un personnage, à chaque fois il s’amusait à jouer les lettres que je lui vendais. On changeait de siècle et d’un seul coup on était transposé à Versailles ! ».

 

Si Monsieur Tout-le-monde peut acheter, une question se pose : à partir de combien et pour les plus grands collectionneurs, jusque combien ?

« J’ai toujours détesté les gens qui se fixent un prix de base pour leurs collections. La rareté n’a absolument rien à voir avec le prix. Le meilleur exemple est Proust. Il a une correspondance abondante, ce n’est pas rare du tout mais simplement cher. La côte est à mes yeux surfaite. Il y a d’autres auteurs bien plus intéressants, moins médiatiques et donc moins chers. On peut trouver de magnifiques trésors à 100 euros et parfois moins, comme on peut en trouver des prestigieux au-delà de 4000-5000 euros. En général le marché français est la moitié du marché international, c’est dire qu’il y a de la marge »

 

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Jean-Emmanuel Raux me confie par ailleurs, et c’est tout à son honneur, qu’il a toujours respecté les petits collectionneurs aux moyens limités pour une raison très simple : ils ont su préserver des documents dédaignés et les ont ainsi sauvegardés de la destruction.

 

Comment abordez-vous le marché de l’autographe actuellement par rapport à vos débuts ?

La réponse ne se fait pas attendre et le point de vue n’est pas tendre :
« Cela a bien changé. La France s’est appauvrie, les Français sont devenus plus pauvres, les salaires en comparaison ont baissé mais pas les charges sociales, toujours aussi lourdes. On est sous la pression de la mondialisation avec des pays inégaux dans l’Union européenne. Il y a aujourd’hui pléthore de réglementations qui n’existaient pas alors. Les Archives de France ont imposé à l’Union Européenne de lourdes contraintes sur le patrimoine qui sont totalement improductives. L’État français a aussi institué un décret en 2008 qui spolie les gens qui avaient acheté en toute légalité des documents historiques vendus par des officiers ministériels pendant 250 ans. Résultat, des documents revendiqués s’empilent dans d’obscures réserves d’archives et ce, inutilement. Il est devenu quasiment impossible de vendre en France une lettre de Napoléon sous peine de se la voir revendiquée. Tout est aujourd’hui vendu clandestinement ou dans des ventes à l’étranger, surtout aux États-Unis. Tout un marché de l’Histoire a quasiment disparu des radars. Le meilleur conseil que je puisse donner à des collectionneurs, c’est de ne pas vendre en France ».

 

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Internet a t-il changé l’essence de votre métier ?

« On a découvert que des acheteurs étrangers étaient bien plus forts et que le marché français ne se porte pas si bien que cela. Il est devenu le “Rungis de l’Art” pour le marché international. Quand vous voyez un tableau estimé 300 000-500 000 € se vendre à Drouot 1 million, c’est qu’il en vaut le double au minimum dans une galerie américaine. En réalité le marché de l’Art en France est nauséabond. Il est bon pour les commissaires-priseurs qui ne voient que leurs marges sans se préoccuper de la valeur réelle des œuvres vendues à l’échelon international ». C’est dit !

 

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Votre plus beau souvenir en tant que expert ?

Jean-Emmanuel Raux s’exclame « Oh alors j’en ai beaucoup ! ». Voici quelques records pour lesquels Monsieur Autographe était expert : « le 15 novembre 2012, j’avais expertisé un petit morceau de la Marseillaise estimé 10-15000 euros et qui s’est vendu 236 000 euros, soit plus de 30 fois le prix obtenu précédemment par un manuscrit complet de la Marseillaise acheté par Gainsbourg (Vente Néret-Minet & Tessier Sarrou). J’ai été fasciné d’avoir en main le manuscrit de Verdi pour Otello, le passage de l’Ave Maria qui s’est vendu 142 000 euros frais compris. Dernièrement, le 26 février 2020, une lettre de Baudelaire du 17 mars 1854, concernant Edgar Poe, a fait 4 200 euros plus les frais. Mais c’est surtout les précieux manuscrits d’Henriette d’Angeville sur son ascension du Mont Blanc qui, dans la même vente, ont réalisé un beau produit de vente : 23 500 euros hors frais de vente ».

 

Un manuscrit du compositeur italien Giuseppe Verdi vendu 135.000 euros !

 

Vous avez une fille qui vous assiste, a t-elle décidé de reprendre le flambeau ?

« Ma fille a un œil infaillible pour les belles œuvres d’art moderne. Après des études de commerce d’art, elle se passionne pour les tableaux de la période 1890-1970. Je lui apprends en permanence en lui transmettant mon savoir, mes expériences. Elle se passionne pour les écrits des peintres de cette période. Je ne doute pas que la galerie se transforme un jour en une galerie internationale importante… »

 


Propos recueillis par Florent Marles

Galerie ARTS ET AUTOGRAPHES
Jean-Emmanuel RAUX, expert en autographes et manuscrits
9 rue de l’Odéon
75006 PARIS
Tél.: 01 43 25 60 48
Galerie ouverte à partir du 12 mai du mardi au samedi inclus sur rendez-vous
De 11 h à 12 h 30 et 14 h à 18 h.

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