Le Premier ministre d'Ecosse Nicola Sturgeon en 2016. ©First Minister of Scotland / Flickr

Le 10 octobre 2022 s’est déroulée la rentrée du Scottish National Party. Entre tir à vue sur le gouvernement Truss et annonce d’un nouveau référendum d’indépendance pour octobre 2023, le parti pro-européen majoritaire semblerait tout-puissant… s’il n’avait été immédiatement raillé par le britannique Nigel Farage, ultrapopulaire figure du Brexit, désormais incontournable personnage de médias. Analyse.

 

Aberdeen, le lundi 10 octobre dernier. C’est sur les bords de la mer du Nord que se tient la conférence de rentrée du Scottish National Party (SNP). A la tribune, Nicola Sturgeon, leader du parti et Premier ministre d’Ecosse depuis 2014 s’adresse à ses soutiens derrière un pupitre vert portant l’inscription « Stronger for Scotland ». Une démonstration de force en vue ? 

 

« I detest the Tories and everything they stand for »

Le Royaume-Uni tremble de la fureur de sa licorne déchainée. Ce mardi 11 octobre, le gouvernement écossais voyait la Cour suprême britannique commencer à étudier la légalité de l’organisation d’un nouveau référendum d’indépendance, huit ans après l’échec (55% de votes contre) de 2014. Pourquoi l’annonce de la tenue d’un référendum répondant à la question « L’Écosse devrait-elle être un pays indépendant ? » est-elle si importante ? Attention ici à ne pas se tromper : il ne s’agit pas moins d’un problème de droit que d’une question politique. Le débat porté devant la Cour concerne la légalité de l’organisation d’un référendum par Edimbourg, qui s’affranchirait, en cas de décision favorable, de l’accord de Londres. Comme le rappelait Dorothy Bain, lord-avocat et membre du gouvernement écossais, cette question est de plus « importante pour la politique électorale écossaise ». Preuve en est, le Premier ministre Nicola Sturgeon, qui s’estime poussée au bras de fer par Londres, annonce depuis des mois qu’elle utilisera les élections législatives de 2024 comme un « référendum de facto ».

Outre ce débat de fond, qui a désormais acquis un caractère d’éternité, Nicola Sturgeon trouve en ce mois d’octobre une légitimité critique dans l’effondrement de la politique conservatrice, incarnée depuis peu par le nouveau Premier ministre Liz Truss. Gardons-nous d’un soutien obstiné aux Tories car ces critiques sont largement fondées. La formule utilisée à Aberdeen, « avec Boris Johnson, cela a pris trois ans aux Conservateurs pour se rendre compte du désastre, avec Liz Truss, cela leur a pris trois semaines », reflète la triste réalité de la conduite des affaires par le parti majoritaire. Le fait est que l’économie britannique se trouve aujourd’hui au bord de la récession. Le FMI projette une baisse importante de l’économie pour 2023, avec une croissance estimée à 0,3%, là où celle de 2022 devait atteindre les 3,6%. D’où provient cette chute ? L’évolution idéologique malheureuse du parti conservateur britannique est en cause et sera peu surprenante pour le spectateur continental.

Nigel Farage expliquait déjà en 2015 le succès de son mouvement UKIP, sécessionniste, par ces mots : « le vrai problème des conservateurs n’est pas l’UKIP. Leur vrai problème est que leurs sympathisants se rappellent ce dont le Parti conservateur avait l’habitude de parler -la création de richesses, un niveau bas d’imposition, l’entreprise- et voient qu’il discute désormais de mariage homosexuel et d’éoliennes ». De cette dérive résulte un amateurisme en pratique (gestion des crises migratoires et sanitaires, énergie et coût de la vie notamment), que les Écossais analysent comme un manquement de l’Angleterre à ses devoirs envers eux.

 

Les Tories plongent, l’Écosse se lève, Farage rigole

A Aberdeen, Nicola Sturgeon a annoncé la présentation d’un ambitieux programme économique censé garantir une économie écossaise stable dans le cas d’une indépendance. On attendait de l’ambition, on a eu, là aussi, de l’idéologie. Les annonces du SNP révèlent un programme reposant principalement sur les wave and tidal technologies, soit les technologies dépendant de l’énergie produite par la mer. La promesse de ce mois d’octobre renvoie à des investissements massifs en vue d’atteindre la neutralité carbone, financés par le pétrole et un emprunt. Avec un projet d’investissement à hauteur de 50 millions de livres, le Premier ministre écossais ne rompt en rien avec la tradition moderne du SNP : en 2011 déjà, son prédécesseur Alexander Salmond arguait que l’Écosse maitriserait son économie grâce à son pétrole ! Le problème de cette rhétorique reste justement que le Royaume-Uni est en pleine crise … du fait d’une dépendance énergétique !

Le programme Sturgeon est depuis la risée des milieux conservateurs écossais et britanniques, qui pointent une idéologie sans but, si ce n’est celui de rester au pouvoir. Parmi les observateurs les plus pertinents sur cette situation, on trouvera le regard de l’ancien député européen Nigel Farage, ancien dirigeant de l’UKIP puis du Parti du Brexit et désormais figure principale de la chaîne de télévision GB News. Connu et apprécié pour ses sorties, il a commenté le discours d’Aberdeen dès le 10 octobre au soir ainsi : « Here we are Nicola ! Mettons des centrales éoliennes partout et l’Écosse sera indépendante ! », avant de mener une analyse démontrant des « projets dépourvus de sens, qui ne marcheront pas ». L’ancien député européen a aussi été très sévère vis-à-vis des Conservateurs, condamnés à être « chassés », comme en 1997, chose qu’ils « méritent, tout simplement ».

Le SNP actuel tranche avec celui qui militait contre le référendum de 1975 sur l’adhésion du Royaume-Uni à l’Union européenne. Depuis le tournant engagé à la fin des années 1980 et la ligne nouvelle, favorable à l’intégration européenne, le parti a subi l’évolution classique des partis europhiles, sacrifiant leurs idéaux sur l’autel libéral. Cette plongée vers une idéologie issue des universités américaines est pourtant plus triste encore que celle de nos partis libéraux continentaux. Pourquoi ? Parce que l’Écosse est un plus proche témoin du succès du Brexit, qui, malgré la cabbale menée par ses opposants, reste la plus sage décision prise par le peuple du Royaume-Uni.

Si l’économie se porte mal Outre-Manche, il en est de même partout en Europe, Londres concentrant simplement désormais ses relations d’importation sur des pays extérieurs à l’Union. Enfin, si les premiers effets de la sortie de l’Union ont été des pénuries dues au manque de main d’œuvre, on observe que la situation tend à s’équilibrer. Le plein emploi allié au contrôle de l’immigration de travail étant les clés, laissons du temps au temps. Un tel exemple, si proche, ne permet pas aux Écossais de se bander les yeux, ils seraient, vis-à-vis des autres européens soumis à la folie libérale, doublement blâmables. Il est malheureusement illusoire d’envisager un changement de ligne au sein du SNP, nous ne pouvons que nous en attrister.

 

Saor Alba, pour une Écosse libre… quand même !

Face à deux camps en voie de dégénérescence, quelle est la bonne lecture ? Pour l’Écosse, on ne peut que penser à l’indépendance ou, du moins, à une dévolution des pouvoirs plus respectueux de l’Union Act de 1707. Pour cela, on regretta surtout, car il ne peut y avoir de résultat heureux sans belles manières, que le SNP ait atteint une bassesse telle que l’on pourrait le confondre avec l’ensemble des mouvements pro-européens du continent, soumis aux pires dérives. Cette décentralisation reste d’ailleurs le fond politique du SNP, qui heureusement, n’a que la forme de ridicule. Eternels regrets donc vis-à-vis de la ligne première du parti, ayant regroupé en 1934 une multitude de partis indépendantistes et s’étant employé à dénoncer le « club de riches » que constituait « l’Europe capitaliste ».

L’Outre-Manche pourrait nous paraître bien loin depuis le Brexit. Pourtant, l’histoire commune qui lie nos trois pays, sous l’égide séculaire de l’Auld Alliance, ne nous permet pas d’ignorer le devenir d’une colonie ayant mal tourné. Français, nous prierons pour que le cri de « Saor Alba » retrouve sa dignité et ne soit plus celui d’un personnel politique à la dérive. Aux anglais, suivons la tradition en leur souhaitant bonne chance : et m… !

 


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