Monument élevé en hommage aux victimes du génocide des Tutsis au Rwanda au cimetière du Père-Lachaise à Paris en 2014. ©Pierre-Yves Beaudouin

Marquant par sa temporalité restreinte et son important nombre de morts, les massacres perpétrés au Rwanda constituent le dernier génocide du XXe siècle. Retour sur une période complexe dans laquelle il reste quelques zones d’ombres.

 

La population rwandaise se compose de trois groupes majeurs dans lesquels sont répartis une vingtaine de clans. Les Tutsi sont éleveurs, les Hutu sont agriculteurs et les Twa sont artisans. Si les Tutsi sont très minoritaires, la domination de la région par un clan de cette lignée conférerait à son chef un statut de roi. Depuis le XVe siècle, l’organisation de la monarchie rwandaise laissait une grande place pour les Hutu dans l’administration du pays et il était même possible de passer d’un groupe à l’autre. Il était également admis qu’un Hutu pouvait prendre pour épouse une Tutsi.

 

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En 1885, le Rwanda devient un territoire colonial allemand. A la suite de la Première Guerre mondiale, le Rwanda passe sous administration belge en 1923. Ceux-ci mènent alors une politique pro-Tutsi qui mènera jusqu’à la révolution et l’instauration d’une république pro-Hutu, en 1962. Sans tenir compte de la particularité de la population rwandaise, les occidentaux ont conclu que les Tutsi étaient supérieurs (car dirigeants) aux Hutu et exclurent peu à peu ces derniers des postes dans l’administration et l’enseignement.

 

Les préliminaires au génocide au Rwanda

En 1961, le Rwanda accède à l’indépendance. A sa tête, un Hutu, Grégoire Kayibanda. Soutenu par les autorités coloniales, il est porté au pouvoir à la suite d’une guerre civile opposant Hutu et Tutsi. Par centaines de milliers, les Tutsi s’exilent dans les pays limitrophes. Au Burundi, les massacres perpétrés en 1972 à l’encontre des Hutu sont instrumentalisés par le gouvernement rwandais. Les Tutsi sont alors systématiquement exclus de tout poste lié à l’administration ou à l’enseignement. En 1987, ils fondent le Front Patriotique Rwandais (FPR) et, en 1990, ils pénètrent de force sur le territoire rwandais. La guerre civile éclate. Durant cette période, plusieurs textes et appels haineux à l’égard des Tutsi sont relayés. En témoigne « les dix commandements du Hutu », publiés par le périodique proche du pouvoir Kangura et dans lequel on peut lire : « 4. Tout Muhutu doit savoir que tout Mututsi est malhonnête dans les affaires. Il ne vise que la suprématie de son ethnie. […] 9. Les Bahutu doivent être fermes et vigilants contre leur ennemi commun tutsi. » Félicité Lyamukuru, Tutsi rescapée du génocide, confiera à l’occasion d’une interview pour TV5 Monde qu’avant que le génocide ne commence : « On avait déjà subi quelques horreurs. […] Nous avions fui déjà la maison en 1992 […] tout était prétexte pour tuer les Tutsi ».

 

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Le 6 avril 1994, l’avion présidentiel est abattu. Une dizaine de personnalités politiques perdent la vie, y compris le président Hutu Habyarimana lui-même. Cette date marque le début officiel du génocide du Rwanda. Longtemps, on a considéré que des extrémistes Hutu avaient orchestré cet attentat afin de donner libre court à leurs exactions. Les investigations menées par le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) ont écarté cette thèse ainsi que celle de la planification du génocide. « Dans tous ses jugements concernant les « principaux responsables du génocide », tant en première instance qu’en appel, ce tribunal international a en effet clairement établi qu’il n’y avait pas eu « entente » pour le commettre » affirmera Bernard Lugan, africaniste et expert auprès du TPIR dans un article du 3 avril 2014.

 

L’implication des Nations Unies

Sous l’égide d’une mission des Nations Unies, la MINUAR, des accords visant à arrêter la guerre civile avaient pourtant été préparés et signés peu de temps auparavant. Conclus entre le FPR et l’Etat rwandais en 1993, les accords d’Arusha devaient préparer la réintégration des exilés et prévoir un gouvernement de transition. Ce fut un échec. Entre le mois d’avril et le mois de mars, les effectifs de la mission sont considérablement réduits. Son chef militaire, le Général canadien Dallaire, eut un rôle pour le moins trouble au cours de cette période. Proche du FPR, il aurait fermé les yeux sur d’importants transferts d’armes commandés par le FPR en provenance de l’Ouganda. Quant aux français, ils intervinrent sous couvert de l’ONU à partir du mois de juin. Le but de l’opération Turquoise, selon les mots de la résolution du Conseil de Sécurité, étant de « mettre fin aux massacres partout où cela sera possible, éventuellement en utilisant la force ». Selon les propos du Chef d’État-major des Armées de l’époque, l’amiral Jacques Lanxade, relayés par la BBC : « La France a été le seul pays qui a eu le courage d’engager ses forces pour tenter et réussir en partie seulement, d’arrêter les massacres ».

 

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Le 18 juillet, à peine plus de quatre mois après le début du génocide, un cessez-le-feu unilatéral est décidé par le FPR qui met en place un gouvernement « d’union nationale » dès le lendemain. Sur cette période limitée, plus de 800 000 Hutu et Tutsi sont massacrés selon les chiffres communiqués par les Nations Unies. Le gouvernement rwandais avancera le nombre d’un million de victimes.

 

Polémiques quant à l’implication de la France

Le 26 mars 2021, une commission d’historiens dirigée par Vincent Duclert remettait au président de la République Emmanuel Macron, un rapport détaillé sur l’implication de la France au Rwanda. Pays francophone, le Rwanda a tissé des liens économiques et culturels avec la France dans les décennies précédant le génocide. En 1990, lors de son discours prononcé à La Baule aux dirigeants africains, François Mitterrand réaffirma que les pays africains s’engageant dans la voie de la démocratie seraient soutenus par la France. « J’ai plaidé pour le développement que je considère comme un élément indissociable des progrès de la démocratie » dixit l’ancien président. Il ajoutera, « Il nous faut parler de démocratie. C’est un principe universel qui vient d’apparaître aux peuples de l’Europe centrale comme une évidence absolue ». La France aura soutenu le gouvernement Hutu dans une transition démocratique instable, les majorités ethniques devant de facto biaiser le jeu électoral.

 

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La présence militaire et diplomatique française permettait d’avoir une vision claire des réalités sociétales à cette période. Quand les premières exactions Hutu eurent lieu, la France poursuivit ses relations avec un gouvernement rwandais de plus en plus agressif. Par ailleurs, l’armée rwandaise recevra des armements français jusqu’après l’assassinat du président Habyarimana. Le fait que l’entourage politique de feu le président du Rwanda ait été réuni à l’ambassade de France en vue de la constitution d’un gouvernement intérimaire attisera les polémiques. Enfin, le rôle de l’opération humanitaire Turquoise visant à créer une zone de sécurité au sud-ouest du pays est controversé. Guillaume Ancel, ancien officier français, affirmera que cette opération avait un rôle initial offensif à l’encontre du FPR. Elle n’aura un rôle strictement humanitaire qu’à partir du mois de juillet. La complexité de la situation sera résumée par le Général Kagamé, commandant des forces du FPR, au journal Le Monde le 7 juillet 1994 : « Nous poursuivons les militaires gouvernementaux qui cherchent à se mettre à l’abri derrière les lignes françaises. Nous ne sommes pas une armée d’envahisseurs étrangers, ni des troupes coloniales. Nous sommes des combattants de la liberté dans notre pays ».

 

Et aujourd’hui ?

Paul Kagamé est président du Rwanda depuis 2000, situation intéressante dans laquelle un Tutsi est revenu au pouvoir avec les siens, sur le modèle d’ancien régime. Quant aux travaux du TPIR, ils sont clos depuis 2015. Des zones d’ombre persistent sur les origines mêmes du génocide au Rwanda car le Conseil de Sécurité de l’ONU n’a pas donné autorisation au TPIR d’enquêter sur l’attentat du 6 avril 1994. Seule la justice française a mené de sérieuses investigations, les pilotes à bord de l’avion présidentiel étant de nationalité française. La réponse à cette question fondamentale n’a pas été apportée, et une ordonnance de non-lieu est prononcée le 21 décembre 2018.

Ainsi, le voile n’est toujours pas levé sur les origines de cette effroyable tuerie.

 


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