Des soldats arméniens à l'entrainement à l'institut militaire de Vazgen Sargsyan en 2013. ©Khustup

La guerre du Haut-Karabagh, qui a opposé l’Azerbaïdjan à la république d’Artsakh soutenue par l’Arménie, a redonné naissance à un conflit territorial ancien. Les hostilités ont pris la forme d’une guerre interétatique moderne. Ce conflit a bouleversé le paradigme d’un ordre et d’une stabilité internationale idéalisant la paix. Ainsi, quelles leçons les autres États, et notamment la France, peuvent-ils tirer d’un tel conflit ? Pour répondre à cette problématique, Olivier Cigolotti et Marie-Arlette Carlotti, membres de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat ont remis le 7 juillet 2021 à la présidence de la chambre haute un rapport d’information dégageant « dix enseignements » de ce « conflit qui nous concerne ».

 

L’implication de la Turquie, qui a participé à la préparation de l’armée azerbaïdjanaise, et a déployé 1 500 à 2 000 mercenaires syriens, a joué un rôle déterminant dans le conflit. Pour autant, le phénomène de mercenariat n’est pas nouveau. On pourrait citer l’exemple des États-Unis avec Blackwater ou encore plus récemment, celui de la Russie avec la société Wagner.  Le soutien de la Turquie à l’Azerbaïdjan lui permet d’étendre son influence dans le Caucase, région clef reliant la mer Caspienne à la mer Noire, où la Russie et l’Iran ont également des aspirations.

Face à la Turquie qui utilise de plus en plus son influence de manière belliqueuse, le rapport soutien « qu’il est regrettable que le gouvernement français ait, initialement, cru devoir adopter une position de « neutralité ». De cette manière, le document propose que «  La question du Haut-Karabagh doit figurer à l’agenda de nos relations avec la Turquie, dans toutes les enceintes pertinentes (négociation bilatérales, congrès, sommets, etc.) ».

En dehors des ingérences turques, la Russie aménage la sécurité du territoire dans la région. Selon les chiffres énoncés par le rapport, les forces russes seraient présentes dans les trois pays du Caucase du sud avec un effectif d’environ 20 000 hommes. Cependant, la crainte réside dans la tentation expansionniste de l’Azerbaïdjan qui souhaiterait aller plus loin que les territoires récemment acquis. Cette crainte est loin d’être infondée si l’on prend en compte la nature belliciste des discours des dirigeants azéris. Il est bon de rappeler que l’Arménie reste toujours alliée à la Russie, ce qui lui vaut une certaine protection. Mais pour combien de temps ? Dans ce contexte, le rapport plaide pour un soutien de la France à l’Arménie afin de stabiliser la région (« La France qui a laissé pendant longtemps le leadership russe s’exercer dans cette région doit entreprendre un dialogue renforcé avec la Russie afin de l’inciter à jouer un rôle constructif »).

 

Devoir de protection du patrimoine de l’humanité

Dans une autre mesure, cette guerre nous enseigne la nécessité de protéger une partie du patrimoine de l’humanité. Le conflit récent suscite de fortes inquiétudes. Près de 1 500 monuments arméniens seraient passés sous le contrôle de l’Azerbaïdjan, dont 161 monastères et églises. Si l’on peut espérer une préservation des monuments les plus connus, les risques de destruction du petit patrimoine (comme les cimetières) ou encore la dénaturation de ceux-ci, paraissent en revanche élevés et n’entraîneraient pas un apaisement des tensions, bien au contraire. La mission d’inventaire proposée par l’UNESCO est vue comme une nécessité. Cette dernière pourrait donner suite à d’autres missions plus importantes encore pour protéger le patrimoine.

Pour résumer, cette mission a pour objet d’envoyer des experts internationaux dans le but de dresser « un inventaire préliminaire des biens culturels » pour ensuite assurer « une protection effective de la région ». Toutefois, des désaccords subsisteraient encore concernant les sites visités. Une rancœur due à la décision tardive d’agir pour le patrimoine serait en cause. Les Arméniens ont toujours en mémoire l’inaction de l’UNESCO lors de l’effacement de patrimoine arménien du Nakhitchevan par l’Azerbaïdjan entre 1997 et 2006. De la même manière, Erevan reste prudente concernant les négociations dans la mesure où Bakou occupe une place de plus en plus forte au sein de l’UNESCO, et possède des liens étroits avec deux anciens directeurs généraux : Koichiro Matsuura et Irina Bokova.

En France, l’Institut National du Patrimoine s’efforce de rapprocher experts arméniens et azerbaïdjanais. En outre, le rapport affirme qu’il serait utile de créer un groupe de contact, impliquant des experts internationaux susceptibles de servir d’intermédiaires afin qu’un dialogue puisse s’instaurer entre les parties.

 

Vers une guerre du XXIème  siècle ?

Le rapport met également l’accent sur l’usage de drones, devenu une ressource incontournable dans les guerres modernes (ex : la guerre du Donbass en Ukraine). Ces drones ont l’avantage de remplir les mêmes fonctions que d’autres engins aériens – comme le renseignement ou encore la frappe pour ne citer que ces deux exemples – pour un coût plus bénéfique. Leur emploi continue toutefois d’évoluer. Au cours des conflits récents, ils ont progressivement été intégrés à de vastes dispositifs offensifs, en coordination avec l’artillerie. Le conflit du Haut-Karabagh est symptomatique d’une étape intermédiaire entre la « dronisation des forces », qui s’est imposée depuis 30 ans, et le « combat collaboratif en essaim », qui pourrait devenir une réalité dans 30 ans.

Le rapport rappelle que la France continue, pour sa part, d’avoir un emploi « stratégique » de ses drones. Certes, le système de drones tactiques (SDT) doit arriver dans les forces à partir de 2022, et une partie de notre retard dans le domaine des drones de contact a commencé à être rattrapé (les forces devraient être équipées de plus de 1 000 drones d’ici trois ans). Mais le document précise qu’il reste à tirer tous les  « enseignements des conflits récents, s’agissant des drones et munitions télé-opérées d’emploi tactique, au profit des unités de première ligne, et de l’usage de matériel moins coûteux, pouvant être considéré comme consommables, au moins sur de courtes périodes ».

Par conséquent, le rapport souligne l’importance de la défense en particulier les défenses sol-Air, et la lutte anti-drone. En effet, les défenses arméniennes pourtant solides, ont été dépassées par l’offensive aérienne azérie. Le document propose ainsi d’anticiper des situations dans lesquelles nos forces seraient la cible d’actions impliquant l’emploi de drones.  Dans cette perspective, le document insiste sur la nécessité des évolutions des moyens de défense surface air basse couche (SABC).

Ce conflit nous enseigne, une nouvelle fois, que la guerre de haute intensité, implique la mise en œuvre de toute la gamme matérielle à disposition des armées. Ainsi, la guerre de haute intensité est une guerre de stock. Le camp, dont la logistique est plus efficace et le stock plus rempli, part avec un avantage. Car ce type de guerre est consommateur et destructeur. Les chiffres du rapport en témoignent : « 4 000 soldats arméniens tués, c’est un chiffre considérable pour un pays qui compte moins de 40 000 naissances par an (environ 10 % d’une classe d’âge) ». Le document rappelle que les armées françaises ont subie des choix budgétaires dans l’optique de privilégier du matériel utilisable en opération extérieur. Cependant, une partie du matériel utile face à une guerre de type haute intensité a été délaissé. Ainsi, le rapport insiste sur un développement matériel spécifique à ce type de conflit au sein de nos armées pour retrouver une dynamique croissante des stocks. Par ailleurs, repenser en profondeur l’arbitrage entres les ressources matérielles et technologiques ainsi que l’effectif des forces constituerait un des principaux enjeux des programmes militaires venir, comme le programme TITAN.

 

Une paix précaire

Depuis ces dix dernières années, certains événements ont démontré que la paix n’est que précaire. Des situations paraissant stables peuvent très vite s’embraser. On peut citer la prise de Mossoul par l’Etat islamique, l’annexion de la Crimée ou encore la chute de l’Afghanistan et la prise de Kaboul par les Talibans en quelques semaines… Ces deux derniers s’inscrivent dans cette ligne de « surprises stratégiques ». Le rapport insiste donc sur la nécessité d’opter pour une politique visant à anticiper et être plus réactif. En d’autres termes, il y a une importance à renforcer l’intégration des acteurs au sein d’un conflit afin d’éviter une inertie. Cela vaut aussi pour le renseignement dont le but serait de solidifier les analyses.

La multiplication des acteurs et des intérêts divers au sein d’un conflit ont tendance à rendre la question diplomatique plus complexe. L’exemple que l’on peut tirer du conflit est celui du partenariat, tout aussi paradoxal, entre Israël et l’Azerbaïdjan. Le rapport développe le fait que cette complexification du conflit « aggraverait les violences » (mercenariat, vente d’armes etc.). Concernant la question du mercenariat, le rapport rappelle que la France, par la loi du 14 avril 2003 réprime cette activité. Par ailleurs, depuis 2008, la France est signataire du Document de Montreux sur les entreprises militaires et de sécurité privées (EMSP) qui vise à promouvoir le respect du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits de l’homme dans tous les conflits armés où interviennent des EMSP. Cependant, une fois encore, ces conflits nous montrent que le droit est un « tigre de papier ».

 


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