L’Azerbaïdjan, un pays de tradition «progressiste» ?

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Depuis l’éclatement de l’URSS en 1991, les républiques du Caucase ont retrouvé leur identité propre. République laïque, parlementaire et multiconfessionnelle, l’Azerbaïdjan montre qu’un équilibre est possible entre traditions et progrès. Gros plan sur une république méconnue.

 

Bakou, capitale de l’Azerbaïdjan. A 4500km et à 5h10 de Paris en avion, la principale ville du pays a les pieds dans l’eau de la mer Caspienne, et le regard tourné vers l’avenir. Il suffit de se balader dans le dédale des rues sinueuses de la vieille ville et sur les boulevards des nouveaux quartiers pour comprendre son ADN. Ici, tradition et modernisme marchent main dans la main, laïcité et multiconfessionnalisme ne s’opposent pas, islam, judaïsme et christianisme font bon ménage : de grandes mosquées – comme la mosquée Haydar que le pape François a visité en 2016 – côtoient de magnifiques lieux de cultes chrétiens comme la Tour de la Vierge ou la cathédrale des Saintes-Porteuses-de-Myrrhe, construite en 1909. Pour comprendre l’Azerbaïdjan d’aujourd’hui, un petit crochet par le début du XXe siècle s’impose.

 

1918, la première expérience démocratique

Le monde est en ébullition. La Première guerre mondiale vit ses derniers mois avec d’intenses combats en Europe de l’Ouest. A Moscou, le tsar a été renversé quelques mois plus tôt par la Révolution d’octobre. A 2000km plus au sud, en plein milieu du Caucase, une nouvelle république s’émancipe : le 28 mai 1918 naît la République démocratique d’Azerbaïdjan. Les dirigeants de ce nouveau pays avaient étudié dans les meilleures universités d’Europe et pratiqué la politique dans les différentes institutions publique de l’empire russe et de la toute jeune république démocratique de Russie. La charte de la République d’Azerbaïdjan – mot pour mot – est alors en avance sur son temps :

  • L’Azerbaïdjan est une nation pleinement souveraine ; elle comprend les parties sud et est de la Transcaucasie sous l’autorité du peuple azerbaïdjanais ;
  • Il est résolu que la forme de gouvernement de l’Etat indépendant azerbaïdjanais est une république démocratique ;
  • La République démocratique d’Azerbaïdjan est déterminée à établir des relations amicales avec tous, en particulier avec les pays et les Etats voisins ;
  • La République démocratique d’Azerbaïdjan garantit à tous ses citoyens à l’intérieur de ses frontières l’intégralité des droits civils et politiques, indépendamment de l’origine ethnique, de la religion, de la classe, de la profession ou du sexe ;
  • La République démocratique d’Azerbaïdjan encourage le libre développement de toutes les nationalités qui peuplent son territoire.

 « A l’époque, pour mettre en place un cadre juridique viable, le pays s’était fortement inspiré des institutions occidentales, souligne Vusala Aliyeva, docteur en sciences sociales. Le Parlement national avait été créé, des droits pour les libertés individuelles avaient été garantis, mais surtout, le droit de vote pour les femmes a été institué. Ce qui n’allait pas de soi étant donné qu’il s’agit d’un pays musulman. » La note d’intention est claire : la jeune république veut embrasser son histoire et la richesse des cultures qu’elle accueille. Au Parlement nouvellement créé, les libertés individuelles sont au centre de toutes les réflexions. Le droit de vote des femmes est par exemple en avance sur de nombreux pays occidentaux. Dans les textes de lois, cela se traduit par exemple par un mix entre droit européen et droit oriental. L’expérience est une réussite.

 

1991, la nouvelle indépendance

 Intégré de force à l’URSS, l’Azerbaïdjan retrouve sa liberté en 1991 au moment de l’effondrement de l’Union soviétique. Et son ADN n’a pas changé : la laïcité chevillée au corps, l’Etat fait une distinction très stricte entre affaires politiques et affaires religieuses. Dès son indépendance, l’Azerbaïdjan renoue avec l’esprit des fondateurs de la République de 1918 :

  • Le Parlement doit représenter toutes les composantes de la société azérie, avec une égalité de voix ;
  • Tournée vers l’extérieur, la diplomatie azerbaïdjanaise se doit de promouvoir sa vision œcuménique du dialogue interreligieux ;
  • La république ne fait pas de distinction entre ses citoyens, et propose une égalité de droits entre hommes et femmes.

Dans les années 90-2000, la reconstruction de l’esprit national s’est accompagnée d’une reconstruction tout court, entre investissements économiques et équilibre sociétal. Son modèle est alors unique, basé sur une laïcité tolérante. Alors qu’ailleurs dans le monde la laïcité pousse parfois sa logique un peu trop loin, stigmatisant des minorités religieuses.

 

2020, l’Azerbaïdjan, pays message ?

Faisant en quelque sorte écho à son prédécesseur Jean-Paul II, qui en 1996, décrivait le Liban comme un « pays message » grâce à la coexistence en son sein de 18 communautés, le Pape François, lors de sa visite en 2016, saluait en l’Azerbaïdjan « une société qui reconnaît les bénéfices du multiculturalisme et de la complémentarité nécessaire des cultures (…) », souhaitant que le pays « continue sur la route de la collaboration entre les diverses cultures et confessions religieuses ». Avec une population à 96% musulmane (dont 75% de chiites), ce pays du Caucase n’oublie pas son histoire, entre zoroastrisme et christianisme. Aujourd’hui, l’Etat azerbaïdjanais s’est fait un devoir de protéger les minorités chrétiennes et juives. « Le soutien d’Etat à cette politique de promotion de la tolérance et des valeurs séculières répond à des objectifs de politique intérieure et extérieure, explique Bayram Balci, directeur de l’Institut français d’études anatoliennes à Istanbul. En matière de politique intérieure, le pouvoir cherche par ce biais à préserver la paix sociale, entre les différents courants religieux. En phase de construction nationale inachevée, l’Azerbaïdjan post soviétique utilise diverses ressources pour renforcer sa cohésion nationale et sa stature internationale. Une de celles-ci est le sécularisme qui est implanté depuis le XIXe siècle, et la tolérance religieuse qui l’accompagne. »

Presque trente ans se sont passés depuis son indépendance. Et l’Azerbaïdjan est fier de son modus vivendi. L’écrivain français Jean Louis Gouraud, bon connaisseur du monde musulman écrit : « la tolérance en matière religieuse n’est pas la seule façon dont l’Azerbaïdjan témoigne de sa volonté de vivre en paix. Ce pays a réussi à développer, dans un environnement pourtant difficile, un art du vivre-ensemble qui se manifeste aussi bien au niveau individuel que collectif : recherche obstinée d’une égalité juridique et politique entre les hommes et les femmes, coexistence harmonieuse non seulement entre les religions mais aussi entre les nombreuses ethnies qui composent la mosaïque humaine de ce pays ». Parce que ses racines laïques et son nationalisme séculier remontent bien avant la période communiste. Des racines devenues le socle commun d’une nation qui regarde autant vers l’Occident que vers l’Orient.

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