Knock ou le Triomphe de la médecine est une pièce de théâtre de Jules Romains, représentée pour la première fois à Paris, le 15 décembre 1923.

En 1789, l’Assemblée nationale affirmait dans le préambule de sa Déclaration des droits de l’homme et du citoyen « reconnaitre et déclarer, en présence et sous les auspices de l’Être suprême, les droits suivants de l’homme et du citoyen ». A l’heure où ces droits se trouvent réduits, il peut être légitime de s’interroger quant à l’existence et à la nature d’un « Être suprême » dont les auspices auraient guidé le vote de nos députés.

 

Les récentes manifestations d’opposition à la politique vaccinale du gouvernement ont fait émerger un nouveau vocabulaire. Un sombre et nouveau champ lexical a fait des mots « dictature » et « tyrannie » les alliés les plus fréquents de l’adjectif le plus employé du moment, « sanitaire ». Aussi, si la restriction des libertés publiques imposée depuis le début de la pandémie de Covid-19 (état d’urgence, confinement, couvre-feu, quarantaine et passeport sanitaire) peut, selon la vindicte populaire, s’apparenter à un totalitarisme sanitaire, quid du commanditaire, quid de l’exécutant, quid du chef ? En un mot : qui nous gouverne ?

 

La « dictature sanitaire », un sujet déjà anticipé

Il y a près d’un siècle, le 15 décembre 1923, à la Comédie des Champs-Elysées, Paris découvre la mise en scène et le jeu d’un immense Louis Jouvet, à qui l’auteur polygraphe Jules Romains a confié les clés de sa pièce, Knock ou le Triomphe de la médecine. Louis Jouvet interprète alors le rôle principal d’une comédie satirique des plus grinçante et dont le succès changea sa vie : il portera le costume du Docteur Knock plus de 1 500 fois, dont deux fois au cinéma, en 1933 et en 1951. Comédie en trois actes, Knock réussit le drôle de pari de faire rire et d’inquiéter. Si on lit la pièce (parue chez Gallimard en 1924) en songeant au comique de Molière, on regarde Louis Jouvet (dans une version de 1951 réalisée par Guy Lefranc) saisi du même effroi que devant le Nosferatu de Murnau.

Ainsi, la thèse d’une « dictature sanitaire » où la médecine ne serait qu’un prétexte pour imposer une loi est un sujet que la littérature avait déjà envisagé. Relire Knock ou le Triomphe de la médecine à l’heure du Covid-19 permet une mise en perspective, un parallèle entre notre actualité et un ouvrage d’anticipation commis dans les années 1920. Knock peut-il aujourd’hui nous apprendre à envisager notre présent d’une autre manière ?

 

Knock, une pièce aux multiples ressorts

Dans le premier acte, le Dr. Knock achète à un médecin de campagne, le Dr. Parpalaid, ce qui se révèle être « une clientèle nulle ». Fou de rage en apprenant le peu de « clients » de son prédécesseur, Knock se lance dans une série de questions desquelles nait une estimation du revenu moyen du canton et des possibles obstacles à son implantation. Le défi est lancé : lorsqu’il viendra prélever le premier tiers de son dû, le Dr. Parpalaid constatera les rapides avancées de son successeur, qui semble si sûr de sa future position et des revenus qu’elle engendrera. Tout le machiavélisme du Dr. Knock se révèle dans un deuxième acte plus sombre encore. Avec rigueur et méthode, ce dernier s’enquiert de la fidélité des différents personnages du canton et les utilise à ses fins. Ainsi, par des flatteries doublées de théories alarmistes, il convainc instituteur et pharmacien de le seconder dans sa tâche. Après une brutale manipulation du foie du tambour, il maîtrise l’information. S’imposant bien vite, il mène avant chaque consultation un interrogatoire poussé : sous un œil inquisiteur, il s’enquiert des revenus de son « client ». Après la bourgeoisie agricole et l’aristocratie qu’il terrorise, il met au pas les moqueurs.

Toutes les techniques de manipulations classiques sont utilisées par Jules Romains : bien servi par la médiocrité de ses interlocuteurs, Knock s’offre comme l’unique solution à la guérison de la maladie qu’il vient d’inventer. Le troisième acte est un triomphe pour le Dr. Knock. Le moqueur Dr. Parpalaid venant s’enquérir du devenir de son successeur trouve une société nouvelle dans son canton : tandis qu’une moitié de la population est au lit, placée avec rigueur sous perfusion de remèdes et de propagande, l’autre sert l’autorité du Dr. Knock. Seul avec son prédécesseur, l’ambitieux docteur se lance, avec une énergie proche de la folie démoniaque dans un discours de théorie médicale proche du plan d’application d’un régime totalitaire. 

 

Entre comédie et horreur, quand Molière et Murnau se rencontrent

Jules Romains, dont le nom de naissance est Louis Farigoules, naquit le 26 août 1885. Elu au fauteuil 12 de l’Académie française en 1946, il est à l’origine du concept d’unanimisme selon lequel la représentation de l’individu par l’écrivain doit d’abord être celle de ses rapports sociaux. Aussi, dans son œuvre majeure Les Hommes de bonne volonté, fresque sociétale constituée de vingt-sept volumes, Jules Romains se veut bâtisseur d’antonomases. Ses inspirations en témoignent : la volonté de l’auteur de faire émerger Knock comme une figure sociale à part entière, celle du médecin véreux, convaincu de sa toute-puissance, capable d’autorité par pure avarice et dont le goût pour le pouvoir tend vers le totalitarisme, est bien réelle.

Ainsi, c’est Molière qui apparaît en première lecture comme l’inspiration de Jules Romains. Toute la pièce figurant la rencontre entre un crédule Malade imaginaire et un Avare des plus malhonnêtes, les scènes où l’humour prédomine se succèdent pour la plus grande joie du public. Ainsi, lorsque le Tambour de ville se plaint d’« une espèce de démangeaison » qui le « chatouille, ou plutôt qui [le] gratouille », Knock s’empresse de demander des précisions : « Attention. Ne confondons pas. Est-ce que ça vous chatouille, ou est-ce que ça vous gratouille ? ». Quand l’autre lui répond « ça me grattouille. Mais ça me chatouille bien un peu aussi … », Knock prend une large inspiration et demande doctement : « Est-ce que ça ne vous gratouille pas davantage quand vous avez mangé de la tête de veau à la vinaigrette ? ». Burlesque parfois, ironique souvent, Knock demeure en finesse une pièce résolument comique.

Pourtant, le comique n’est qu’un premier niveau de lecture. La pièce est jouée pour la première fois en 1923, soit une époque où, dans la lignée de l’entreprise américaine en Europe lancée lors de la Première Guerre Mondiale, la publicité d’Outre-Atlantique fait son apparition. Déjà, la médecine sert de garant à de bien étranges remèdes, telles les cigarettes vendues comme les « Dentist’s finest ». Si cette optique sert l’effet comique avec force, le fait est que Jules Romains laisse la mise en scène, les décors et le rôle principal à un acteur alors inconnu et dont tout le génie allait se révéler dans le théâtre de la Comédie des Champs-Elysées. Ainsi, tout l’aspect lugubre de Knock fut porté au grand jour par Louis Jouvet, et ce dès la première scène. Dans le froid, jouant du décalage physique qui l’oppose au Dr. Parpalaid, le personnage mis en scène et interprété par Jouvet est positivement grinçant. Grand, sans-âge, le visage mince et les yeux noirs, l’air réfléchi et mécanique, les cheveux laqués, le costume porté avec ordre ; tout l’oppose à la bonhommie du Dr. Parpalaid, partant à la retraite, fatigué, d’allure modeste et aux yeux perpétuellement ébahis. Une figure germe bien vite dans la tête du spectateur et ce dès le premier acte : Knock est aussi le nom du valet d’un certain comte Orlock, figure vampirique du Nosferatu de Murnau, sorti en … 1922 ! Le parallèle entre les deux personnages saute aux yeux, notamment lorsque le Dr. Knock annonce avoir appris la médecine en mettant au lit tout un équipage, chose que Nosferatu avait accomplie en ramenant la peste.

 

La stratégie sanitaire ou le nouveau triomphe de la médecine

En réalité, Knock avait tout prévu sur le fond. Dans notre monde où le risque zéro est idéalisé, où un nouvel ordre sociétal peut s’implanter en quelques mois, où la médecine fait figure de toute puissance, où l’Être suprême est le vacciné, où la Vie est niée car l’idée même de la Mort refusée, tout peut arriver. Et pour cause : tout est arrivé.

Qui aurait cru à un confinement mondial en janvier 2020 ? Qui aurait cru à la fermeture des commerces de proximité durant un an et à leur sacrifice sur l’autel de la bonne conscience ? Qui aurait cru que la liberté de culte serait menacée ? Qui aurait cru ne pas pouvoir se tenir aux côtés de ses parents durant leurs derniers jours ? Qui aurait cru à l’obligation vaccinale aujourd’hui ? Qui aurait un jour imaginé devoir montrer patte blanche avant de s’assoir à une terrasse ? En réalité, la médecine a triomphé. Non pas les médecins ou le personnel soignant dans son ensemble, que les gouvernements successifs ont méprisé et abandonné, qui s’épuisent malgré tout depuis plus d’un an et dont la seule récompense sera la vaccination obligatoire. C’est en fait l’idée d’un Être suprême, un super-vacciné, super-protégé, super-anti-Covid, que même la mort ne peut arrêter qui a triomphé. Les critiques d’une telle élévation de la Médecine se font rares, les médias n’aidant pas.

Pourtant, dès le 21 mars 2020, le philosophe André Comte-Sponville avertissait dans Le Journal du Dimanche : « Attention à ne pas tomber dans ce que j’appelle le pan-médicalisme, qui consiste à faire de la santé la valeur suprême. ». Plus récemment, le 29 juillet 2021, le député et médecin Joachim Son-Forget se positionnait à propos de la stratégie vaccinale en ce qu’elle imposerait un passeport sanitaire : « Personne n’accepte d’élever cet outil formidable de la médecine au rang de divinité. Il faut garder un esprit critique et adaptatif comme pour tout outil de l’arsenal thérapeutique. »

L’esprit critique a manqué aux habitants du canton de Bourg Saint-Maurice, Knock s’y est implanté aisément. Les français sont-ils capables de mieux ?

Une fable méconnue de La Fontaine, Les Médecins (Livre V, 12), nous rappelle enfin qu’aucune médecine ne peut guérir la mort.

Le médecin Tant-Pis allait voir un Malade

Que visitait aussi son Confrère Tant-Mieux.

Ce dernier espérait, quoique son Camarade

Soutînt que le Gisant irait voir ses aïeux.

Tous deux s’étant trouvés différents pour la cure,

Leur Malade paya le tribut à Nature,

Après qu’en ses conseils Tant-Pis eut été cru.

Ils triomphaient encor sur cette maladie.

L’un disait : Il est mor, je l’avais bien prévu.

S’il m’eût cru, disait l’autre, il serait plein de vie.

 


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