En 2019, 612 000 personnes sont décédées en France selon l'INSEE.

Dans son chapitre « Propos sur la mort et les mourants » (Vivre Vieux, Mourir Vivant, 2013), le docteur en sociologie de la Santé, Philippe Pitaud, nous invite à une réflexion, plus que nécessaire aujourd’hui, sur notre rapport à la mort dans une société qui la nie de plus en plus, lorsqu’elle n’arrive pas à la contrôler.

 

S’il y a bien une chose qui lie tous les êtres humains entre eux c’est cette certitude de mourir un jour. Bien qu’elle nous semble souvent lointaine, la mort est quotidienne. Elle est naturelle et peut-être perçue comme une agression sauvage. Mais la mort est aussi humaine et irrationnelle, malgré ce désir de la domestiquer, comme pour la nature. La mort est indéterminable, presque aléatoire et nous met face à une incertitude déstabilisante, mais elle est surtout universelle et unique : Personne ne prendra ma place et jamais je ne mourrai à la façon d’un autre. La mort est inclassable, imprévisible et nous rappelle sans cesse notre précarité et notre fin prochaine. Si nous vivons, c’est bien parce qu’elle existe.

« La conscience ne connait que la mort des autres, pas la sienne, dont elle ne connait que l’angoisse d’avoir à l’affronter un jour » (P.Pitaud). La perception de la mort se fait dès 8 ans et va croissante. La personne âgée, voyant sa mort arriver, peut être terrorisée ou bien l’attendre sereinement. La hantise de mourir seul est fréquente ainsi que l’angoisse de l’irréversibilité, du « jamais plus ».

Si la mort fait aussi peur c’est parce qu’elle est transférentielle. La mort de l’Autre n’est que le reflet de notre propre mort. « Le mourant, celui qui me précède dans cette fin de parcours vers l’inconnu » (M. Audier). La détresse du malade atteint et ravive nos angoisses et nos deuils, nous donnant l’envie de fuir. Le mourant est vu comme un agresseur qui nous révèle la pauvreté et la précarité de nos vies. Il nous rappelle aussi le prix de l’existence et du temps que nous gaspillons. Le contre-transfert est violent, intense. La mort nous met face à notre impuissance et nous donne un fort sentiment de culpabilité : celle de ne pouvoir rien faire, mais également d’être en bonne santé. L’inégalité des situations, la dissymétrie avec le malade nous met mal à l’aise. « Je ne sais que dire, que faire ». L’accompagnement des personnes en fin de vie demande un effort difficile et nous pousse dans nos retranchements. Mais elle nous permet aussi de prendre conscience de la valeur de la vie et de sa beauté.

 

Une société morbide ?

La mort est un fait biologique mais aussi culturel. Les rituels funéraires sont importants et inhérents à l’humanité : c’est une exigence universelle de traiter dignement le cadavre. Les sociétés se dévoilent dans leur gestion de la mort. Comme le dit Gladstone : « Montrez-moi la façon dont une nation s’occupe de ses morts, et je vous dirai les sentiments délicats de son peuple et sa fidélité envers un idéal élevé ». Or, nous voyons de nos jours une crise du rituel du fait des récents bouleversements sociologiques majeurs. Dans une société de plus en plus industrialisée et médicalisée, où les progrès scientifiques et techniques ont la suprématie (pourvu qu’ils soient rentables), tout ce qui échappe au contrôle, à la prévisibilité ou à la raison est mis de côté. « Vivant, l’homme peut presque tout ; mort, il n’est plus rien » (P.Pitaud). La mort, un état de non-consommation et de non-production définitif, ne peut donc être prise en compte par une société fondée sur la production, la rentabilité, la consommation et le matérialisme.

On constate donc un changement, une rupture dans la conception de la mort, mais surtout un déni de celle-ci. « De quoi est-il mort ? » ? Là où la mort, jadis, était perçue comme une fatalité inéluctable, naturelle, aujourd’hui elle semble une agression extérieure évitable. Nos sociétés occidentales revendiquent un désir de choisir le moment de sa mort, de contrôler sa vie jusqu’au bout. La bonne mort est celle soumise à la loi. Le médecin la fixe selon des critères définis par le développement de la science, soumis à des impératifs sociopolitiques et économiques.

La paranoïa s’est révélée à son paroxysme avec la « crise sanitaire » du Covid-19. Alors qu’autrefois les ennemis étaient extérieurs, aujourd’hui c’est le combat contre la Mort, cette Ennemie Publique n°1, qui justifie, par tous les moyens « même légaux », que l’on sacrifie un pays, une économie, un peuple. Cela va même jusqu’à l’interdiction ou l’expédition des rites funéraires fondamentaux indispensables à l’équilibre sociétal. Cette volonté de contrôle ne recule devant rien, jusqu’au suicide social collectif.

En 1970, plus de 75% des personnes mouraient à domicile. Aujourd’hui, ils ne sont plus qu’un quart. Avec la création de la première unité de soins palliatifs en 1987, la gestion du mourant s’est externalisée du milieu familial et social vers le milieu institutionnel et médical. Mais dans les hôpitaux, les mourants, déshumanisés, ne sont que les témoins de l’échec des soignants et des techniques. Ainsi, le tabou mortuaire persiste voire s’intensifie ! On ne parle plus de période de deuil : les endeuillés sont invités à tourner rapidement la page, à ne pas importuner et à consulter un professionnel si le besoin de parler se fait sentir ou si le processus de deuil semble trop lent. La mort est occultée, refoulée de nos vies, elle est devenue un synonyme de solitude. La société a renoncé à gérer la mort mais l’exclusion de celle-ci du discours n’est pas le signe d’un détachement, d’une indifférence, bien au contraire ! Elle pèse sur les consciences individuelles et collectives, plus lourde que jamais. Les hommes font face mais seuls, sans le secours de cette société qui a décidé que la mort n’était plus son affaire. Si l’on daignait, au lieu de la fuir, s’y préparer plus consciencieusement, le plus tôt possible, on éviterait bien des débordements.

Mais, à nier la mort, nous perdons le sens de la vie. Nous n’avons plus le temps ni l’espace d’intégrer les vieillards, les mourants et les morts. Chercher le sens de la vie, c’est déjà donner du sens à sa vie et plus tard à sa mort. « Aujourd’hui, la question du sens est perdue. Le pire qui puisse arriver dans une société est que rien n’ait plus de sens. Alors il ne reste plus que la drogue, la fuite, la violence » (J. Hersch, « Euthanasie », table ronde publiée par Médecine et hygiène, n° 1147, 7 mai 1975, Genève). Il y a ainsi une réduction de tous les problèmes à l’aménagement confortable. L’universalisation du confort tue le sens. « C’est le confort de la mort, qui submerge le sens de la vie et menace l’humanité » (P.Pitaud). Il est urgent de redonner une place à la mort dans notre société, de dédramatiser le fait de mourir, lui rendre une dimension humaine puisqu’après tout, qu’on le veuille ou non, l’humanité et la mort sont intrinsèquement liées.

 


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