Les artisans de l'Atelier Missor en plein travail sur le buste de Napoléon Bonaparte. ©Atelier Missor

Le sculpteur Missor, très connu sur les réseaux sociaux, souhaite réhabiliter l’art français. Mais cela n’est pas du goût de certains critiques qui réfutent à cet atelier la qualité d’artiste.

 

Depuis des années l’Atelier Missor de Nice travaille sans relâche pour rendre ses lettres de noblesse à l’art à la française et de manière plus générale à l’occidentale. Les guerriers niçois de la technè ne font toutefois pas l’unanimité. « Toute réussite vous attire un ennemi » affirmait Oscar Wilde. Et il n’avait tort. Le 16 octobre 2021 fut en effet émise une critique sur YouTube par le vidéaste Géraimi dont le titre est on ne peut plus clair : « Missor n’est pas un artiste ».

 

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Durant près de vingt minutes les arguments s’enchaînent pour en venir à la conclusion suivante : « Missor n’est pas un sculpteur » mais plutôt un vidéaste ayant le don de savoir conter son histoire fabuleuse. Cette conclusion audacieuse aura eu le mérite de piquer au vif notre intérêt et de nous questionner sur l’actualité de l’art dans un monde qui tend à en modifier perpétuellement la signification, à tort ou à raison. Nous ne pouvions en ce sens que nous lancer dans une critique de la critique afin de tenter de dessiner, bien modestement, la complexité de la définition de l’art et de ses caractères. Ainsi, nous nous intéresserons donc rapidement à la forme même de la vidéo puis à son fond afin d’étudier l’ensemble de la thèse du vidéaste Géraimi et de brosser quelque peu la réalité du monde artistique.

 

Trois critiques sur le fond

Assis sur un canapé marron adossé à un mur bleu le vidéaste Géraimi développe sa thèse qui peut être critiquée de trois manières sur le fond.

Premièrement le vidéaste nous affirme qu’il va apporter une critique à l’œuvre du sculpteur Missor et de ses équipes d’un point de vue artistique. En effet, ce dernier reproche aux autres critiques, qui furent faites avant lui, leur point de vue exclusivement philosophique sur l’œuvre de l’artiste niçois. Force est pourtant de constater que le point de vue de Géraimi est lui aussi exclusivement basé sur les traits philosophiques découlant du travail de l’Atelier Missor. La source principale, alimentant sa critique, est l’ouvrage de l’auteur Walter Benjamin « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique », qui traite de l’art mais tel qu’observé par un philosophe et pour des philosophes. Le travail de l’Atelier Missor n’est pas ainsi critiqué artistiquement (sur sa beauté, son style, ses techniques, ses inspirations) mais bien philosophiquement (sur la portée de l’achat d’une telle œuvre, sur la reproductibilité de l’œuvre, sur le sentiment d’appartenance lié à l’œuvre).

 

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Ce travers initial nous mène ainsi, deuxièmement, à sa prolongation naturelle : la vision trop restreinte de l’art par l’auteur de la vidéo. L’art est limité à la sphère sculpturale, aux arts visuels et au cinéma tout en oubliant que l’architecture, la musique, la littérature et les arts de la scène sont aussi des formes d’art à part entière. L’absence de cette précision entraînera inévitablement une impossibilité de comparaison et par là même une vue moins nette de l’art et de l’artiste.

Dernièrement, la vidéo, qui aurait pu être une critique, si ce n’est juste, du moins recevable, est grevée d’un vice tristement désagréable : son excessivité. Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord affirmait que « Tout ce qui est excessif est insignifiant » et comment ne pas lui donner raison ! Quand le vidéaste en question se permet d’assimiler la valeur d’un buste fait à la main à celle d’une affiche d’un groupe de pop coréenne bien célèbre, le message ne prête même pas à sourire, il met mal à l’aise et questionne le sérieux même du fond qui au demeurant semble à première vue inattaquable. Toutefois c’était sans oublier que « la forme c’est le fond qui remonte à la surface ».

 

Une vision idéalisée de l’art et de l’artiste

Pour Gérami, le critère premier pour qualifier une œuvre artistique est sa rareté. Elle se traduit chez l’amateur d’art par la volonté d’être le seul ou l’un des seuls propriétaires afin notamment de pouvoir revendre le cas échéant l’œuvre d’art facilement. Le vidéaste se questionne donc sur la reproductibilité « à l’infini » des œuvres de Missor par la technique du moulage. Puis le critère de la rareté de l’œuvre est au fil de la réflexion de Géraimi mêlé à la pensée de l’intellectuel marxiste Walter Benjamin et à son concept d’aura. Pour Walter Benjamin il existe en effet des œuvres possédant une aura (dont la création relève d’une forme rituelle, traditionnelle ; des œuvres destinées à être placées dans un lieu/un temps/une durée donnés) et des œuvres ayant une « valeur d’exposition » (ayant pour but d’être observées, consommées par le plus grand nombre et dont la conception est profane). Géraimi en conclut que l’œuvre de Missor est une œuvre hybride mêlant pour son côté explicatif une certaine aura et pour son côté technique une pure valeur d’exposition.  

 

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Mais cette thèse peut être remise en cause sur bien des fondements.

Nous pouvons noter, au préalable, une vision idéalisée de l’artiste, présenté comme un être éthéré, presque divin, via le concept de l’aura qui nous emmène à croire que l’artiste ne crée que dans un but rituel et dépourvu de tout but « d’exposition ». Mais prenons exemple sur notre maître à tous, Michel-Ange. Ce dernier vivait son art, se tuait à la tâche, détruisant et redessinant sans cesse les formes de ses personnages afin d’arriver à la perfection. Au sommet de l’art pictural, rien n’est plus rituel artistiquement parlant que la Pièta ou que Le plafond de la chapelle Sixtine de Rome. Et pourtant cette œuvre rituelle ne vint au monde que par la commission du Pape Jules II tendant à l’édification de cette immense splendeur. Le côté ritualiste se perd par la contractualisation de l’œuvre. Pire, les œuvres de Michel Ange semblent selon la théorie de Benjamin n’être que des « œuvres d’exposition » destinées au pur émerveillement des cardinaux en conclave et des invités du Pape. Car si Géraimi avait pu dire dans sa vidéo que les œuvres présentes au sein des églises étaient présentes pour Dieu seul et n’avaient pas pour objectif d’être vues par l’œil humain c’était sans oublier que l’art religieux a pour finalité majeure, si ce n’est unique, de connecter spirituellement le fidèle à Dieu et non Dieu à l’humanité.

Une autre idée développée est celle de l’absence d’aura ou de sa déperdition quand une œuvre est partout à la fois et si tout le monde peut y avoir accès. Nous pouvons toutefois affirmer ici que ce n’est pas parce que tout le monde a accès à une œuvre que cette œuvre ne possède pas d’aura. Le meilleur exemple est celui des musées. Suivant cette théorie les musées sont par excellence un lieu « d’exposition ». On pourra toutefois objecter que le critère précédemment énoncé est cumulatif avec le fait que l’œuvre doive se trouver à un lieu à la fois. Certes, mais cela n’empêche pas d’une part le but purement expositionnel de l’œuvre et d’autre part ce n’est pas parce que l’œuvre se trouve en un lieu unique qu’elle est œuvre. Exemple célèbre qu’est celui de La Joconde de De Vinci. Cette œuvre pouvait être admirée depuis des siècles au musée du Louvre mais sa renommée n’est que contemporaine. Si La Joconde fait se déplacer le monde ce n’est pas parce qu’elle est incroyablement belle, ni parce que son auteur est un artiste accompli. Il faut remonter dans l’histoire pour trouver le point de bascule de sa renommée : son vol. C’est en effet parce que La Joconde a été volée au sein du musée et parce qu’elle a disparu un temps qu’elle est devenue le tableau le plus célèbre de France. Ainsi l’aura ne semble pas forcément naître de l’œuvre en elle-même ni de son lieu d’exposition et de son unicité mais semble pouvoir naître d’un contexte extra-artistique comme un contexte historique.

 

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Pour ce qui est de la reproductibilité de l’œuvre en elle-même nous pouvons noter quelques incohérences également. L’œuvre ne serait pas œuvre mais produit manufacturé par son aspect reproductible à l’infini. Cette affirmation erronée fait l’objet d’une contestation par l’auteur de la vidéo, lui-même, quand il affirme qu’avant la Révolution industrielle il existait déjà des techniques telles que l’eau-forte, la lithographie ou le moulage permettant une reproduction conséquente des œuvres. Nous pouvons ajouter à cela que, dans l’histoire, de nombreux artistes ont reproduit leurs œuvres sans que la résultante ne soit pas qualifiée de produit manufacturé. Ici encore nous pouvons citer La Joconde et sa jumelle picturale, nous pouvons ajouter les Autoportraits de Rembrandt ou plus spécifiquement les reproductions de Rodin par Rodin.

Mais pourquoi reproduire ses œuvres me direz-vous ? Pour vivre pardi ! Car le but même de l’artiste est de vivre de son œuvre, que cela soit affirmé clairement ou non. Et cela ne déprécie pas l’œuvre en elle-même, c’est seulement un fait à prendre en considération. Chaque artiste initie le mouvement par ses émotions, ses facultés, sa sensibilité qui sont des prédispositions nécessaires et exclusives de la création artistique. Cela n’empêche pas pour autant l’artiste d’avoir des enfants à nourrir, des besoins à assouvir et la reproduction peut permettre d’acquérir un certain niveau de vie. Certains artistes créent parfois même exclusivement pour vivre et survivre plus que pour créer. Ainsi, le romancier Dostoievski n’écrivait que pour pouvoir amasser assez d’argent pour payer ses dettes et s’en créer de nouvelles à cause de son amour compulsif du jeu.

En somme, l’artiste n’est pas un saint et les concepts d’aura et de valeur d’exposition de Walter Benjamin semblent largement dépassés ; ils ne suscitaient probablement aucun intérêt. Un dernier exemple pour la route. Géraimi affirme que l’Atelier Missor mélange l’aura (art rituel) et la valeur d’exposition (par la reproduction mécanisée) et qu’ainsi les œuvres sortant de cet atelier ne pourraient pas être qualifiées d’œuvres d’art. Néanmoins, répond à cette même définition telle qu’établie par Gérémi pour qualifier le travail de Missor, ce que nous appelons aujourd’hui les monuments aux morts. Présents dans nos villages, ils ont valeur d’exposition et ont été reproduits maintes fois afin de commémorer le souvenir de nos combattants. Pouvons-nous dire que tous les monuments aux morts sont exclusifs de la notion d’art pour autant ? Je vous laisse seul juge en la matière.

 

Une critique marchande aux accents marxistes qui peine à convaincre

Deuxième point de la réflexion ; pour Géraimi les travaux de l’Atelier Missor ne peuvent pas être qualifiés d’artistiques car ils sont pour lui de simples marchandises (à l’instar des DVD, livres et cassettes) et d’autre part parce que la pratique de l’art sur plâtre est dévalorisante en soi autant économiquement qu’artistiquement. Il se demanda d’ailleurs qui peut bien sculpter sur du plâtre avant de comparer le travail de l’Atelier Missor aux bustes Amazon à bas prix. Nous pouvons dire à cela deux choses.

D’une part la qualification de marchandise n’est pas exclusive de la notion d’art. Comme nous l’avons dit précédemment l’artiste est un commerçant par nature ayant un talent à nul autre pareil. Nous pouvons ajouter à cela que les exemples sont ici particulièrement mal pris. Prenons le livre, exemple le plus évident. Celui-ci ne serait pas un objet d’art car l’art du livre se contiendrait exclusivement en le message qui est transmis en son sein (comme le DVD ou la cassette). C’est oublier que le livre peut être en lui-même un objet d’art par le travail du cuir et par l’art calligraphique qu’il contient autant que par son essence littéraire !

 

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D’autre part, pour ce qui est de la critique artistico-économique, nous pouvons mettre en évidence deux sous-critiques. Celle qui affirme que le travail sur le plâtre n’est pas artistique par essence et celle qui affirme qu’économiquement parlant, les œuvres de l’Atelier Missor ne méritent pas une telle rémunération (le prix des bustes en plâtre est d’au minimum 280€).

Pour ce qui est de la première critique nous pouvons dire que ce n’est pas la matière qui fait l’objet d’art mais le travail sur ladite matière. Le sable n’est pas artistiquement parlant une matière première artistique et pourtant de l’art peut naître du travail du sable. Le travail sur plâtre lui est comparable à ceci près que le plâtre est une matière première artistique, c’est ce que nous apprit le travail du peintre et sculpteur surréaliste Alberto Giacometti.

Pour ce qui est de la seconde critique, nous ne pouvons que rappeler que « Tout ce qui est excessif est insignifiant » et que les travaux de Missor ne peuvent pas être sans un minimum de mauvaise foi être assimilés d’une manière ou d’une autre à des bustes d’Amazon à 12€. Nous ajouterons à ceci une critique purement économique. Il est en effet fait grief à l’Atelier Missor de vendre ses bustes en plâtre à 280€. Nous pouvons déjà dire, à titre liminaire, qu’en France un prix est un prix contrairement aux traditions orientales de marchandage. Ainsi, si le prix ne convient pas à l’acheteur il n’a qu’à faire connaître son mécontentement en n’achetant pas l’objet désiré. Le prix imposé par un commerçant n’est par principe jamais démesuré car dans le cas contraire ce dernier ne serait pas rentable.

De plus, nous pouvons ajouter à cela que le prix d’une œuvre, ou de tout bien, ne correspond pas au prix que vous pouvez percevoir. Ce prix se compose en effet de coûts apparents (la création en tant que telle et ses dérivés) et de coûts occultes (conception intellectuelle, locaux, communication etc.). Nous pouvons également évoquer l’épargne destinée à l’innovation qui permet de monter de nouveaux projets et de maintenir l’attractivité de l’entreprise artisanale (par exemple « les bronzes » de Missor). Ces coûts sont les coûts a minima amortis par l’achat d’une sculpture ou de tout autre objet. En somme ce n’est pas au client de fixer le prix (dont il ignore l’origine) mais au vendeur de tenir compte des critiques et le cas échéant de modifier le prix s’il le trouve injustifié. Cette critique de Géraimi semble donc déconnectée d’une certaine manière de la réalité de la vie d’une entreprise.

 

Une tentative de négation du réel en guise de conclusion

Concluant son propos Géraimi affirme que Missor n’est pas un sculpteur mais un conteur car son art se limiterait à son travail audiovisuel d’explication de son intention artistique. Les sculptures ne seraient, elles, qu’un fétiche permettant d’affirmer son appartenance à un groupe. Cette conclusion est peut-être d’ailleurs ce qui frappe le plus au cours de la vidéo.

 

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Affirmer que Missor n’est pas un sculpteur mais un simple vidéaste est plutôt audacieux. C’est en effet nier le travail même de sculpture de Missor tout en semblant affirmer que les sculptures sortent ex nihilo de l’Atelier niçois. Conclusion frappante aussi, d’autre part, car l’affirmation selon laquelle les œuvres de Missor ne seraient que de simples vecteurs d’appartenance n’est en rien exclusif du caractère artistique de l’œuvre. Aimer les tableaux de Poussin et les films de Kubrick peut à l’image des sculptures de Missor vous circonscrire dans un cercle d’appartenance, cela ne signifie pas pour autant que l’œuvre en elle-même est un bien de consommation assimilable à un téléphone portable. Il est d’ailleurs à noter que l’art de Missor s’exporte au-delà des frontières françaises et qu’en ce sens le sentiment d’appartenance purement franco-français ne semble pas entrer en jeu.

Pour paraphraser Kant, nous définirons l’art comme étant « ce qui plaît universellement sans concept ». Ainsi le travail de l’Atelier Missor ne peut qu’être qualifié d’artistique au vu de cette simple évidence.

 


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