Éric Zemmour comme trois autres candidats de la droite a pris la parole à la Journée du Conservatisme le dimanche 26 septembre. ©Billet de France

Dimanche 26 septembre, à Asnières, une trentaine de personnalités médiatiques et politiques se sont retrouvées à l’invitation du Mouvement Conservateur pour une journée de conférences et de tables rondes sur le thème du conservatisme.

 

C’est un évènement dans cette rentrée politique. Ce dimanche, au théâtre Armande Béjart à Asnières, quelques fervents de la droite conservatrice se sont donnés rendez-vous. Angle mort des thématiques électorales du parti Les Républicains depuis des années, l’enjeu des conservateurs est bel est bien de peser sur le programme du futur candidat LR en vue de la présidentielle. À moins que leur candidat ne soit pas là où on le pense.

 

Le conservatisme, village englouti de la droite

La plupart sont des retraités, souvent des soutiens et électeurs de longue date du parti LR, ancien UMP. Mais ils sont aussi les survivants de la défaite de Fillon en 2017. Et le deuil ne semble pas encore tout à fait terminé. Certains expriment encore leur colère et leur dépit lorsque le nom de l’ancien candidat est évoqué. Des jeunes ont également fait le déplacement, moins par attachement au parti qu’aux idées. C’est le cas de Pierre, 27 ans, qui ne s’intéresse plus aux LR : « on a bien compris que la direction voulait imposer Xavier Bertrand ». De même pour Bénédicte, 31 ans, qui ne regrette pas de ne plus être adhérente LR. L’idée d’une candidature Zemmour semble d’avantage séduire. Mais, selon Pierre, si sa dynamique est bonne, « le risque est de se retrouver comme Bellamy en 2019 ou Chevènement en 2002 ».

En face, la scène est parée de faisceaux de lumières tricolores, au milieu une table ronde, et sur le côté gauche, un pupitre encadré par les drapeaux français et européens. De quoi interloquer, quand on connait les positions de la « droite dure » sur l’Union Européenne. À l’entrée, les partenaires de cette journée tiennent leur stand : l’UNI, principal syndicat étudiant de droite, Le Nouveau Conservateur, la Droite de Demain, la Nouvelle Librairie, l’Institut Montalembert et la fondation du Pont-Neuf. Tous ont en commun de faire renaitre la pensée conservatrice dans les esprits. Et non sans peine.

Depuis la fin du RPR et l’arrivée au pouvoir de Chirac, le conservatisme est devenu le terme générique pour qualifier les « ringards » et les « rétrogrades » dans les rangs de la droite. Les idées conservatrices ont été cornérisées par les ténors du parti Les Républicains, qu’ils s’appellent Villepin, Juppé, Sarkozy ou Copé. Et ce, au plus grand bénéfice de la gauche. Depuis les années Mitterrand, le mouvement sinistrogyre s’est accéléré, mettant les idées traditionnellement à droite à l’extrême de l’échiquier politique. Dans l’esprit des socialistes et des socio-démocrates, le conservateur revient à être un réactionnaire, voire, pour les plus dogmatiques, une forme de fascisme déguisé. En somme, le conservatisme s’est retrouvé noyé dans le libéralisme.

 

Entre espoirs et remise en question

En ouverture de cette journée, le constat que fait Laurence Trochu, présidente du mouvement, va dans ce sens. Si le progressisme a tout détruit, les menaces qui pèsent aujourd’hui sur le pays poussent les Français à se tourner vers le courant conservateur. Elle rappelle ainsi les domaines chers à ce courant d’idée délaissés par la droite, comme la famille, le patrimoine, l’écologie ou encore les revendications minoritaires.

Mais les débats actuels sur les questions d’identité, d’écologie et de souveraineté ont redonné depuis quelques années des couleurs aux conservateurs. Ceux-ci sont de plus en plus visibles dans l’espace médiatique. C’est d’ailleurs tout l’enjeu de cette journée organisée par le Mouvement Conservateur, le nouveau nom de Sens Commun (mouvement issu des LR né des grandes manifestations contre la loi sur le mariage homosexuel).

Dans une intervention vidéo, le sociologue québécois Mathieu Bock-Côté ouvre le bal sur la question de la nation. Pour le souverainiste d’outre-Atlantique, « le conservatisme n’est pas une doctrine comme les autres », car, selon lui, « il n’enferme pas le réel dans l’idéologie ».

La matinée se poursuit avec des intervenants de tous horizons : des hommes politiques, comme la sénatrice LR Valérie Boyer ou Jacques Chabal, maire du Cheylard, aux universitaires avec la présence du juriste Frédéric Rouvillois et de l’historien Pierre Vermeren, en passant par des journalistes comme Raphaël Stainville, rédacteur en chef politique de Valeurs Actuelles. C’est sous forme de tables rondes que les invités sont amenés à prendre la parole sur divers sujets comme celui du patriotisme ou du souverainisme. Bien que la plupart partagent les mêmes avis, certains osent piquer au vif la salle.

Tel est le cas lors du débat sur la souveraineté animé par le pétillant Jérémy Stubbs, adjoint à la rédaction du magazine Causeur, lorsque Paul-Marie Coûteaux, essayiste et directeur de la revue Le Nouveau Conservateur, commence par un constat amer : « la souveraineté n’est pas assez théorisée en France, surtout à droite », et d’étriller ensuite le parti LR : « le travail intellectuel manque tellement que le parti LR est voué à disparaître ». Bien vite, le tour de table prend une autre tournure avec l’essayiste Frédéric Saint Clair, auteur de La droite face à l’Islam. Commençant son propos sur un ton grave en évoquant les récents attentats, il en vient à la question identitaire. Selon lui, tout système politique est fondé sur une morale et l’évangile est celle sur laquelle repose la France.  Mais, contrairement  au message pacifique qui lui est habituellement attaché, « l’évangile parle de puissance » et le « Christ est un chef de guerre ». Ainsi « la morale chrétienne doit être relue à l’aune de la puissance et de la guerre ». De quoi offusquer certains catholiques présents dans la salle.

 

Jeunes, conservateurs et décomplexés

L’après-midi, la salle s’est d’avantage remplie et les jeunes sont déjà plus nombreux. L’affiche a en effet de quoi mobiliser : les journalistes vedettes de la droite conservatrice sont là ainsi que quelques figures de la jeunesse engagée en politique.

La journée reprend sur le thème « le défi des bio-conservateurs », qu’il ne faudrait pas confondre avec un cours d’agro-alimentation. C’est la rédactrice en chef de Boulevard Voltaire, Gabrielle Cluzel, qui anime le débat, en présence de la philosophe Chantal Delsol, de Laurence Trochu ainsi que de Yves d’Amécourt, porte-parole du Mouvement de la Ruralité.

Après une brève intervention vidéo de François-Xavier Bellamy sur son sujet fétiche, « la transmission du savoir », c’est au tour de la jeunesse de s’exprimer sur l’éducation. Le ton est beaucoup plus détendu et offre l’image d’une jeunesse ancrée dans son temps. Le journaliste Emmanuel de Gestas, la voix forte et le verbe tranchant, se fait l’animateur de sa joyeuse bande. Sans détour, il porte la responsabilité de l’échec de la transmission sur la génération des soixante-huitards. Chacun s’exprime sur son parcours et son engagement. Alice Cordier, présidente du collectif Némésis, se revendique d’un « féminisme identitaire » : « je ne suis pas une féministe avec des cheveux bleus et des piercings ». Très vite elle en vient à la dévirilisation de la société, vante les mérites des hommes des pays de l’Est qui pratiquent des sports de combat et ne manque pas de dérider la salle : « messieurs, retrouvez votre virilité toxique ! ».

Alexandre Saradjian, venu représenter le mouvement des Jeunes Républicains, dénonce l’absence de transmission à l’université, et vante la réussite de son parcours, lui qui vient d’une famille arménienne. Enfin François Le Selve, responsable du Mouvement Conservateur, parle du scoutisme comme exemple de transmission. Tous constatent que les conservateurs manquent encore d’ouverture et louent le succès des youtubeurs de droite qui œuvrent dans cette voie.

 

L’arrivée fracassante de Zemmour

La salle est déjà un peu plus échauffée et la prochaine réunion s’annonce animée. En effet, sont réunis des proches et amis de Zemmour autour de la célèbre animatrice de CNews, Christine Kelly. Celle-ci est ovationnée par un public déjà conquis. Viennent s’asseoir autour d’elle les journalistes Geoffroy Lejeune de Valeurs Actuelles, Elisabeth Lévy de Causeur et Jacques de Guillebon de L’Incorrect. Le débat porte sur la liberté d’expression, un classique dans le débat médiatique. S’installe très vite une discussion de comptoir. Seul Charles de Guillebon apporte un discours inverse à ses pairs. Selon lui, la liberté d’expression ne doit pas être un dogme et il est même préférable de ne pas donner la parole à tout le monde. Chacun va de sa petite anecdote et pour toute conclusion d’Elisabeth Lévy : « l’humour est essentiel ».

En contraste, c’est avec un ton plus grave et plus élevé qu’Alexandre Del Valle aborde la question de l’Islam. Le spécialiste devait intervenir en fin de programme, mais les organisateurs décident de le placer avant l’arrivée de l’essayiste Éric Zemmour. Celle-ci ne manque pas d’être remarquée. En pleine conférence, un vacarme grandissant venu de l’entrée se fait entendre dans la salle. Le ton monte, et c’est dans un imbroglio de slogans « Zemmour président » et d’agitation des photographes que Zemmour fait son entrée depuis le fond de la salle. Génération Z, fan-club de Zemmour, s’était mis en tête d’organiser une haie d’honneur pour accueillir leur chef. Les organisateurs n’avaient pas prévu l’armée de « zemmourettes » et la conférence ne put reprendre que par l’intervention de Laurence Trochu. Une partie du public s’emporte avec elle et s’indigne de la présence des journalistes qui n’ont d’yeux que pour le potentiel candidat à la présidentielle. Ce dernier, placé au premier rang, salue ses amis et confrères et embrasse Christine Kelly.

 

Un contre tous et tous contre un

C’est au tour d’Éric Zemmour de prendre la parole. Il se tient au pupitre, comme les autres candidats. L’air solennel et le verbe offensif, celui qui ne cesse d’appeler au rassemblement des droites fait du pied aux électeurs LR : « Je viens parler aux orphelins du RPR ». Selon l’intellectuel, les élites politiques LR ont trahi les électeurs en refusant de mener une politique de droite. La salle acquiesce et applaudit chaque fois que les politiques en prennent pour leur grade. S’ensuit une litanie de propositions, que le plus sceptique vis-à-vis de sa possible candidature ferait changer d’avis. L’auteur du Suicide Français quitte la salle sous les ovations. De quoi rendre amers les candidats LR venus convaincre en 10 minutes les spectateurs.

Ils sont trois à avoir accepté l’exercice : Denis Payre, Philippe Juvin et Eric Ciotti. La présidente de la région Ile-de-France, Valérie Pécresse, a annulé à la dernière minute sa participation. Le risque d’être au même endroit que Zemmour est trop gros. Les candidats républicains jouent de leurs charmes avec plus ou moins de conviction auprès de la branche la plus à droite du parti. Pour Denis Payre, son expérience d’entrepreneur est l’atout majeur de cette présidentielle. Le maire de La Garenne-Colombe, Philippe Juvin, reste quant à lui plus mesuré, allant même jusqu’à se qualifier de « progressiste ». Enfin, l’opération de séduction est plus aisée pour Éric Ciotti, député connu pour ses positions radicales sur les thèmes de la sécurité et de l’immigration : « Je préfère la droite Trocadéro à la droite du Mercato ». Mais passer après Éric Zemmour, c’est déjà ramasser les miettes. Les conservateurs semblent être à la croisée des chemins. 

 


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