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Crise à Madagascar : l’île rouge en ébullition

A Madagascar, 75 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté selon la Banque mondiale en 2022.

A Madagascar, 75 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté selon la Banque mondiale en 2022.

L’île de Madagascar est depuis jeudi témoin de manifestations particulièrement violentes et de scènes de pillage qui ont forcé le gouvernement à imposer un couvre-feu. Derrière des revendications contre les coupures d’eau et les délestages, un agenda politique semble se dessiner. Décryptage.

 

En début de semaine, des élus de l’opposition du Conseil municipal d’Antananarivo, capitale de Madagascar, ont appelé à manifester. L’île rouge souffre d’un problème chronique de distribution d’eau et d’électricité. Dans ce pays où 75 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, seulement 54 % a accès à l’eau. Cette ressource est un sujet récurrent de tension.

 

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A Madagascar, les délestages sont chroniques (12h par jour) en raison de la dépendance aux centrales hydroélectriques affectées par la sécheresse, des déficits financiers de la JIRAMA (compagnie nationale) et d’une capacité de production insuffisante. En 2024, la situation s’est aggravée du fait des retards d’approvisionnement en carburant et de la vétusté des infrastructures. Ces coupures frappent les entreprises, pénalisées par des retards de production, et les ménages contraints d’acheter de l’eau en bouteille qu’ils n’ont pas les moyens de se payer.

 

Bilan des manifestations : cinq morts

Très vite, l’appel à manifester a été relayé par la société civile et sur les réseaux sociaux. Craignant des débordements, les pouvoirs publics interdisent la manifestation. La capitale est alors sécurisée et quadrillée par la gendarmerie. Pourtant, s’organisant par groupe de centaines, les manifestants réussissent à pénétrer et à manifester. Mais le passage en force entraîne une réaction violente des forces de l’ordre : les gaz lacrymogènes et les tirs de balles de caoutchouc fusent dans les rues.

 

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Ces réactions s’intensifient alors que des groupes entraînés et déterminés entraînent des casses et des pillages sur les banques, les supérettes et magasins d’électroménager. Ces scènes de violence durent toute la nuit, le lendemain les enseignes U présentes dans le pays sont fermées, la plupart des magasins alimentaires n’ont plus rien en rayon. Outre le pillage, plusieurs habitations de députés et de sénateurs ont été attaquées. Les pompiers dépêchés sur place ont eux-mêmes été pris pour cibles et caillassés. Citant une source hospitalière, RFI évoque cinq morts comme premier bilan de ces manifestations.

 

À l’image du Népal, One Piece en étendard

Sur les réseaux et dans la rue, un signe de ralliement commence à émerger ; le drapeau pirate du célèbre manga One Piece. Ce symbole de liberté et de rébellion a déjà été utilisé par les insurgés au Népal. Le voir utilisé par les manifestants malgaches illustre la colère de la population contre le pouvoir en place dont il critique la corruption et la gabegie. Les revendications sur les réseaux sociaux mettent en cause le président de Madagascar, Andry Rajoelina. Bien qu’aucune figure de l’opposition n’ai été aperçu au côté des manifestants, elle semble bien à la manœuvre derrière les actes de violence confirme une source sécuritaire sur place. L’hypothèse d’une manœuvre de l’ancien président Marc Ravalomanana est parfois évoquée.

 

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Des casseurs auraient été payés pour mener les premiers actes de violences et de pillages afin de créer un effet d’entraînement. Des leaders appellent d’ores et déjà à se rendre sur la place du 13 mai, ne laissant plus de doute sur les objectifs de l’opposition. Depuis 1972, cette place est devenue le lieu rituel des mouvements de contestation majeurs, où l’occupation symbolise la légitimité populaire et peut renverser les pouvoirs en place.

 

Vers la chute d’Andry Rajoelina ?

Ironie de l’histoire, c’est sur cette même place, en 2009, qu’Andry Rajoelina, alors maire d’Antananarivo, a renversé l’ancien président de Madagascar Marc Ravalomanana. En poste depuis cette date, le dirigeant a été réélu fin 2023 lors d’un scrutin boycotté par l’opposition, marqué par une faible participation de 46,36 %, et se retrouve aujourd’hui particulièrement visé. Depuis sa réélection, le climat social s’est nettement détérioré, nourri par une explosion de la pauvreté (+80 %), une inflation galopante de 30 % et des accusations d’enrichissement personnel visant la famille présidentielle à travers le trafic de ressources comme l’or, les pierres précieuses ou le bois de rose. Ces tensions ont été exacerbées par des rumeurs faisant état de la préparation d’une révision constitutionnelle en vue d’un troisième mandat présidentiel.

 

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Le gouvernement, muet ces derniers jours, a finalement brisé le silence avec une déclaration du chef de l’État. Ce dernier a tourné une vidéo depuis New York, où il est présent pour l’assemblée des nationales unis, annonçant le limogeage de son ministre de l’énergie. Mais cette mesure sera-t-elle suffisante pour apaiser les esprits ? Alors que plusieurs proches du pouvoir auraient discrètement quitté le pays, le retour du président demeure incertain. Dans les rues, seule la gendarmerie est visible, l’armée restant en retrait. Une discrétion qui traduit l’hésitation des militaires entre un soutien aux manifestants ou au chef de l’État — une indécision qui pourrait être fatale pour ce dernier.

 


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