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Mamadi Doumbouya : du légionnaire au prince dévoyé de Guinée

Mamadi Doumbouya lors du carnaval de célébration de l'anniversaire de l'indépendance de la Guinée en octobre 2021.©Aboubacarkhoraa

Mamadi Doumbouya lors du carnaval de célébration de l'anniversaire de l'indépendance de la Guinée en octobre 2021.©Aboubacarkhoraa

Ancien légionnaire devenu colonel dans l’armée guinéenne, Mamadi Doumbouya a renversé le président Alpha Condé en 2021. Quatre ans plus tard, la junte militaire est toujours au pouvoir, soulevant de sérieuses préoccupations sur la répression des voix dissidentes et l’organisation d’un nouveau scrutin présidentiel.

 

Caporal de la Légion étrangère, exécutant discipliné de missions aux confins de l’Afghanistan ou de la Côte d’Ivoire, Mamadi Doumbouya n’avait rien du stratège visionnaire. Son nom n’évoquait pas grand chose, ni à Paris, ni à Conakry. Un légionnaire, formé aux manuels de l’armée tricolore, promis à une carrière d’encadrement sans éclat. Mais le hasard de l’Histoire a parfois un humour cruel : revenu en Guinée, il s’est trouvé propulsé au-devant de la scène, et de béret rouge de garnison, il est devenu chef de l’État.

 

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Un sourire carnassier, une carrure de colosse, quelques formules martiales et le concours de circonstances ont suffi : le colonel inconnu s’est autoproclamé sauveur de la nation. Ceux qui se souviennent de cette journée de septembre 2021 l’ont encore en mémoire : Alpha Condé, vieil autocrate fatigué, était renversé, et les foules, ivres d’espoir, acclamaient ce militaire qu’elles ne connaissaient guère mais dont elles espéraient tout.

 

Le putsch des illusions

À ses débuts, Doumbouya avait l’aisance des nouveaux venus : il parlait de rupture, de refondation, de dignité retrouvée. Il promettait d’organiser des élections « libres et transparentes », de restaurer l’État de droit, de lutter contre la corruption qui gangrenait la Guinée depuis des décennies. Il se posait en homme du peuple, libéré des vieilles allégeances. Mais dès les premières semaines, les signaux contradictoires se sont accumulés. Les Guinéens ont vite compris que leur nouveau maître n’était pas pressé de tenir ses engagements.

 

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Le calendrier électoral s’est évaporé dans des promesses sans cesse renouvelées. Quatre ans plus tard, en 2025, la Guinée attend toujours ses urnes. Le référendum annoncé à la fin de l’année, censé préparer une nouvelle Constitution, est perçu comme une manœuvre dilatoire : il ne vise pas le retour des civils, mais la consolidation d’un pouvoir militaire qui s’éternise.

 

L’autoritarisme retrouvé

Les espoirs d’ouverture se sont vite mués en cauchemar. Très tôt, Mamadi Doumbouya a choisi la répression plutôt que le dialogue. Le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), qui avait incarné la lutte contre le troisième mandat d’Alpha Condé, fut purement et simplement dissous. Les manifestations furent systématiquement dispersées à coups de gaz lacrymogènes, puis de balles réelles. Entre 2022 et 2023, Amnesty International et Human Rights Watch ont recensé des dizaines de morts, notamment à Conakry et à Labé.

Dans les quartiers populaires, les familles enterrent leurs fils dans un silence de plomb, contraint par la peur. L’armée, censée protéger la nation, s’est transformée en machine à intimider. La presse n’a pas été épargnée. Radios indépendantes suspendues, journalistes menacés, sites d’information bloqués… Les rares voix discordantes sont réduites au silence. Ce qui devait être une transition ouverte est devenu un huis clos.

 

Les ombres des prisons

Plus inquiétant encore, le régime s’est enfoncé dans la clandestinité de la répression. Foniké Menguè, leader charismatique du FNDC, Billo Bah ou encore le journaliste Habib Marouane Camara ont disparu après avoir été arrêtés. Leurs proches n’ont obtenu que des silences cyniques. Les rumeurs de tortures circulent, alimentées par des témoignages de prisonniers libérés. En septembre 2022, une plainte a été déposée en France contre Mamadi Doumbouya pour « complicité de torture » et « homicides volontaires ».

 

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L’onde de choc fut considérable : pour la première fois, le chef de la junte était directement visé par une procédure judiciaire internationale. Paris, Bruxelles, Washington se sont montrés prudents, mais les ONG n’ont cessé d’alerter : la Guinée, disent-elles, vit sous un régime où la disparition forcée et l’exécution sommaire sont devenues des pratiques d’État.

 

L’argent du fer : Simandou, miroir des illusions

À la brutalité politique s’ajoutent les soupçons de corruption. En 2024, un magazine sénégalais a révélé que Mamadi Doumbouya aurait perçu 75 millions de dollars d’une entreprise minière chinoise impliquée dans le projet de Simandou, l’un des plus riches gisements de fer du monde. L’affaire fit scandale, car elle symbolisait à elle seule la trahison des promesses initiales.

La Guinée, pays de mines, avait été pillée par des décennies de contrats opaques. Doumbouya avait promis d’y mettre fin, de rendre aux Guinéens la richesse de leur sol. Mais au lieu d’incarner la rupture, il a reproduit les méthodes anciennes : deals obscurs, enrichissement personnel, distribution de marchés à ses proches.

 

Corruption généralisée

Les rumeurs d’enrichissement rapide de la garde rapprochée du président nourrissent la colère populaire. Les palais s’érigent, les 4×4 s’alignent, tandis que dans les quartiers de Conakry, l’électricité se fait toujours attendre et l’eau potable demeure un luxe. Plutôt qu’un retour aux civils, la Guinée connaît une militarisation croissante. Les postes clés sont confiés à des officiers loyaux. L’administration est remodelée pour servir la junte. L’opposition, marginalisée, n’existe plus que dans les couloirs des chancelleries occidentales.

 

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En février 2025, The Guardian publiait un constat sans appel : la Guinée n’est plus dans une phase transitoire, mais dans une consolidation autoritaire. Les mots employés – « junte accrochée au pouvoir » – résument la situation. Ce qui se joue dépasse la personne de Mamadi Doumbouya. C’est l’histoire récurrente de la Guinée, et plus largement de l’Afrique de l’Ouest : l’homme providentiel devient despote, le libérateur se change en oppresseur, le discours de rupture cède la place aux pratiques anciennes.

 

Le miroir brisé

Doumbouya avait une chance historique. L’histoire lui tendait la main : il pouvait incarner le renouveau, réconcilier la Guinée avec son idéal démocratique, inscrire son nom dans une fresque héroïque. Mais il a préféré les ors du pouvoir aux austérités de la réforme. Désormais, les Guinéens le regardent comme un homme qui a trahi. Non seulement les promesses de liberté, mais aussi les sacrifices de ceux qui ont cru en lui.

De Paris à Conakry, on se souvient alors qu’il n’était qu’un légionnaire, devenu chef d’État par effraction. L’Histoire lui avait offert l’occasion d’entrer en libérateur ; il risque de n’y figurer que comme un prince dévoyé, prisonnier de ses abus et de ses illusions.

 


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