Le général 2S Henri Roure, officier général issu des troupes de Marine, revient sur l’importance de l’Outre-mer pour la France dans la crise actuelle.
Parmi les nombreuses insuffisances du personnel politique français, l’une doit être fortement soulignée. Il s’agit de la méconnaissance de la primordiale richesse tangible et stratégique que représente la France d’outre-mer. La cause est à trouver dans l’européocentrisme qui depuis plusieurs générations aveugle l’ensemble des responsables français, indépendamment d’ailleurs de leur orientation politique. Il bride la vitalité du pays et l’exploitation de formidables possibilités.
Prendre de la distance avec l’Europe
La France est apparue pleinement dans sa dimension mondiale et dans sa puissance chaque fois qu’elle a pris une certaine distance avec le continent européen, soit par nécessaire compétition avec l’archipel britannique, soit parce que l’Europe du Nord lui était fermée par la puissance germanique. Ce n’est que dans une solitude géopolitique et une vision assumée de son rôle mondial qu’elle est pleinement conforme à sa nature. Elle est maritime. Regarder la France comme uniquement un pays continental est un contre-sens. Elle demeure, certes majoritairement, un État du continent européen, tout comme l’archipel britannique, mais elle est surtout maritime.
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La France métropolitaine est un isthme, baigné par quatre espaces marins : la Méditerranée, l’Atlantique, la Manche et la mer du Nord, tenant l’Europe occidentale. Les terres d’outre-mer de la France, soit la France archipélagique et sud-américaine, lui permettent de couvrir l’ensemble des mers du globe.
Ce constat géographique, simple à faire, n’est pourtant pas celui des politiques obnubilés par une coopération avec des voisins du seul hexagone, ignorant sans doute que notre pays est frontalier, par la terre ou la mer, de 35 États différents, dont seulement 8 européens, ce qui en fait le pays ayant le plus de frontières au monde. Ainsi, notre pays jouxte le Brésil sur 730 kilomètres, mais seulement sur 448 kilomètres avec l’Allemagne, 620 avec la Belgique et 623 avec l’Espagne ou 515 avec l’Italie.
La France dispose de 11 millions de km2 de zone économique exclusive (ZEE); c’est en vérité un formidable empire marin. Dans ce domaine, elle se situe juste derrière les États-Unis, et même devant eux dans certaines comptabilités si nous associons la Terre Adélie. Pour insister sur cette réalité géographique, la France s’étire sur 12 fuseaux horaires. Elle se situe à la première place dans ce domaine devant les États-Unis qui en ont 11 et la Russie qui en a 9.
Une puissance maritime
Nos politiciens devraient lire quelques géopoliticiens anglo-saxons à ce sujet. L’amiral américain Alfred Thayer Mahan (fin du XIXème siècle), affirmait que la prospérité et la puissance dépendaient du contrôle des voies maritimes du monde. « Quiconque domine les vagues domine le monde », écrivait-il.
Halford John MacKinder, observait la planète comme une totalité sur laquelle se distinguait une « île mondiale », le Heartland, composé des continents eurasiatique et africain et des « îles périphériques », au sein d’un « océan mondial ». Il estimait que pour dominer le monde, il fallait tenir ce heartland, principalement la plaine s’étendant de l’Europe centrale à la Sibérie occidentale qui rayonne sur la Méditerranée, le Moyen-Orient l’Asie du Sud et la Chine. De toute évidence, la guerre en Ukraine, a été la mise en application de cette perception.
Nicholas Spykman compléta la théorie du Heartland de Mackinder. Selon lui, la Terre est composée d’un coeur (Heartland) et d’un anneau de terre qui l’entoure qu’il appelle Rimland. Tout en conservant les catégories spatiales de Mackinder, il précisa leur interprétation en affirmant que le pays qui possède le Rimland peut contrôler le Heartland, et donc le monde.
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Ces penseurs se référaient à un lointain prédécesseur, Sir Walter Raleigh (vers 1600) qui s’exprimait ainsi: « Celui qui commande la mer commande le commerce ; celui qui commande le commerce commande la richesse du monde, et par conséquent le monde lui-même ».
Pour ces géopoliticiens, le contrôle de la mer est essentiel pour préserver la dimension d’une puissance. Toute la politique extérieure britannique s’est fondée sur ces réflexions. Les Anglais ont ainsi conquis une large part de la planète…avec pour seule vraie concurrence les Français.
Les États-Unis ont évidemment repris ces idées. Il n’est donc pas étonnant que D. Trump cherche à maîtriser les passages maritimes, comme le canal de Panama, celui de Suez, le Groenland comme voie privilégiée pour une navigation arctique ou encore à conserver Taïwan qui empêche la Chine d’incorporer la mer éponyme dans sa sphère. La France faussement puissance exclusivement continentale européenne et de vraie nature maritime ferait bien de s’inspirer de ces penseurs et de faire un retour sur sa propre histoire.
Un enjeu économique important
Au-delà de l’aspect géostratégique conféré par l’immensité de la France d’outre-mer, il est important de rappeler, ou d’enseigner, à tous les Français que ces espaces pleinement français recèlent de fabuleuses richesses. Il est utile de garder en mémoire que les océans couvrent 71 % de la superficie de la planète. Ils abritent la majorité de la vie (entre 50 et 80 % selon les estimations). Ils génèrent plus de 60 % des ensembles éco-systémiques nous permettant de vivre, à commencer par la majeure partie de l’oxygène que nous respirons. Il est établi que la mer et les fonds marins, statistiquement, recèlent la plus grande part des ressources de la planète.
Ils doivent donc être exploités avec soin en prenant garde à ne pas ajouter à la pollution actuelle, mais au contraire en cherchant à préserver ce capital où se jouera l’avenir de l’humanité. 28 % de la production de pétrole et 20 % de celle de gaz proviennent déjà du sous-sol marin. Les fonds marins pourraient receler 13% des réserves de pétrole et 30 % des réserves de gaz non découvertes. Les nodules polymétalliques, constituent des réserves minières pour les métaux rares. Elles sont estimées à des milliers de tonnes pour le manganèse, bien davantage pour le nickel tout comme pour le cuivre, ce qui est considérable. Il s’agit d’un formidable enjeu.
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Grâce à la Polynésie française, à la Nouvelle-Calédonie, à Wallis-et-Futuna et également à Clipperton, la France est présente dans le Pacifique-Sud, avec un immense espace maritime situé à 16 000 km de la métropole, correspondant à une ZEE de 6 932 677 km2. Cette zone se situe, à elle seule, au 4ème rang mondial. Elle est convoitée précisément en raison de ses importantes ressources minérales marines profondes. La France est potentiellement riche, très riche ! Dans cette perspective, une véritable continuité territoriale serait à mettre en œuvre ainsi qu’une généralisation du statut départemental avec les adaptations nécessaires aux environnements locaux.
Vers une géopolitique souveraine ?
Pour cette dernière obligation, le rôle retrouvé de notre diplomatie faciliterait et enrichirait les rapports avec nos voisins. Le basculement de l’intérêt stratégique sur l’Indo-Pacifique, va nécessairement impliquer le destin de la France. Une cristallisation des oppositions, entre les deux volontés hégémoniques chinoise et américaine, sur le prétexte taïwanais, devrait permettre à la France, impliquée cette fois territorialement, économiquement et, in fine, stratégiquement, de renouer avec une géopolitique souveraine. Il lui faudra donc adapter ses armées à cette dimension mondiale et à un théâtre d’opérations où les moyens qui auraient été envisagés en Centre-Europe n’ont plus aucune pertinence.
À la condition d’être mesurée et de rechercher l’appui de pays, partageant avec elle le souhait de ne pas sombrer dans la dépendance de l’un ou de l’autre des adversaires, la France pourrait tirer bénéfice de la crise qui s’annonce. Elle devrait évidemment s’exclure de l’OTAN, alliance non plus protectrice, mais outil militaire au service des seuls intérêts américains. Le recouvrement de sa dimension historique nécessite, de toute urgence, la sortie de l’UE et de tous ses accessoires. Cette organisation internationale, véritable étouffoir des nations, et par voie de conséquence, de la politique étrangère des nations-membres, confirme l’inefficacité des discours pompeux des responsables gouvernementaux. Précisément, dans cette même optique, la France pourrait, avec des partenaires accueillis parmi ses nombreux voisins, et au-delà, désireux de bâtir un monde plus équilibré, poursuivre une volonté de donner, à nouveau, tout son sens à l’Organisation des Nations Unies et à la liberté des nations.
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Ajoutons qu’une telle politique, susceptible de rendre à la France l’aura qui était la sienne, il y a peu, aiderait certainement à réduire les tensions internes qu’elle connaît et à renouveler fondamentalement son organisation administrative et sa politique économique, migratoire et sociale.
La fierté nationale est le meilleur ferment d’unité. Elle est la confirmation de la puissance et repose sur la confiance en soi.
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