Justine et Romain Brès ont traversé la France à pied avec leur bébé, sur plus de 1 500 km, à travers la fameuse « diagonale du vide ». De cette aventure humaine et familiale est né « Une famille en chemin », un récit d’itinérance, de rencontres et de redécouverte du pays réel. Entretien.
Charles de Blondin : En décembre 2023, « un coup du sort professionnel » tombe et vous décidez de partir marcher. Pourquoi ?
Romain Brès : Jusqu’à ce mois de décembre 2023, nous menions des vies parisiennes « conventionnelles » et trépidantes. Nos agendas étaient pleins. Ce que nos emplois nous laissaient comme temps, les transports et les distractions (nous pourrions aussi parler de « diversions ») de la ville le consumaient. Justine était enceinte de notre premier enfant et approchait du terme de sa grossesse quand soudain un vide professionnel s’est brutalement abattu sur nous. Notre fils Homère est venu au monde quelque peu après et, plus rien ne nous retenant à Paris, nous avons pris la décision de partir marcher au long cours, ensemble, tous les trois. Et comme pour conjurer le vide professionnel et social qui nous touchait alors, nous avons choisi de traverser ce que certains géographes et démographes appellent la « diagonale du vide », qui s’étend des Ardennes aux Pyrénées.
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Nous avions besoin de temps, d’espace et de mouvement. Trois éléments que la marche sait offrir à qui se lance sur les chemins. Nous avions l’habitude de randonner en autonomie en France, en Asie centrale, dans le Caucase. Quelques jours d’itinérance à peine suffisaient à éclaircir nos pensées, à nous extirper de la nasse parisienne. Nous avions l’intuition que, partant en famille sur les chemins de notre pays, la lenteur de la marche nous permettrait de trouver des réponses à nos questions et de laisser au temps le soin de refermer quelques blessures.
CDB : Que représente la marche pour vous ?
Romain Brès : Un exutoire. Une ligne de fuite. Un moyen de discernement. Et plus, selon l’état d’esprit dans lequel nous partons marcher ! La marche peut beaucoup à vrai dire. Elle implique un délestage matériel, physique et psychique qui se matérialise presque instantanément, dès que le mouvement s’opère. A partir de là, on y voit plus clair. N’a-t-on pas l’habitude de faire quelques cent pas quand une question nous turlupine ? Avant ce « coup du sort » de décembre 2023, marcher était pour nous une manière de s’extraire d’un quotidien qui ne laissait que peu de place pour la réflexion, pour l’observation (et donc, potentiellement, l’émerveillement), pour la création. Nous partions deux, trois jours. Peut-être plus. Nous revenions aux bases : avancer, boire, dormir et être protégés du froid. Nous étions disposés à recevoir ce que l’environnement, la nature, avait à nous offrir. Nous étions aussi pleinement là, l’un pour l’autre. Marcher s’accompagne ainsi de conversation.
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Ce pouvoir de délestage de la marche et donc de recentrage sur l’essentiel, nous l’avons convoqué quand nous sommes partis de Sedan, le 1er avril 2023, avec pour azimut Saint-Jean-Pied-de-Port. Et pendant quatre mois, la marche a bien été un remède aux maux.
CDB : Que vous ont dit vos proches au sujet de ce voyage ?
Romain Brès : « Ah tiens, c’est tout vous ça ! » est une réponse que nous avons pu entendre ! Certains proches nous connaissant bien n’étaient pas surpris. Nos parents, eux, étaient rassurés de nous voir basculer sur un autre projet plutôt que de rester immobiles, menacés d’être gagnés par l’aigreur ou une forme de dépression. Le fait de partir avec Homère, qui, au 1er avril 2023, n’était âgé que de trois mois ne les a pas inquiétés. Ils savaient que nous n’allions pas faire n’importe quoi, que nous serions à l’écoute de ses besoins. Les grands-parents d’Homère ont d’ailleurs été mis à contribution pour assurer la logistique : préparer des colis de bodys à nous expédier sur la route, en poste restante, pour satisfaire la croissance d’Homère !
Et puis, nous avons réussi à embarquer amis, témoins de mariage, oncles et tantes et parents avec nous, sur les routes ! Ce fut une occasion de retendre les liens. Nos proches s’invitaient quelques jours, jouant le jeu de la marche et de l’aventure dans des terroirs de France qu’ils ne connaissaient pas : l’Avallonnais, la Creuse, le Bas-Armagnac ou le Tursan. En fait, Homère a, dans son sillage, embarqué avec lui toute la famille !
CDB : Comment les personnes que vous avez rencontrées sur votre chemin ont-ils réagi lorsque vous leur racontiez votre histoire ?
Romain Brès : À vrai dire, nous avons plus écouté que parlé. Nous partions avec beaucoup de questionnements, personnels, pour une part. Mais cette « diagonale du vide » nous fascinait, aussi nous avons pris soin d’interroger chaque personne rencontrée sur le rapport qu’elle entretenait avec cette expression et, surtout, le rapport qu’elle entretenait avec son terroir, comment elle avait vu son environnement changer.
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Une des surprises de ce voyage a été l’hospitalité que nous avons reçue dès notre première étape, à Bulson. Nous partions pour dormir sous la tente et, pendant quatre mois, les Français nous ont ouvert la porte de leur maison. Et donc de leur vie. Aussi, le temps d’un soir, nous nous sommes livrés à des échanges intenses car brefs, sincères car désintéressés, avec les personnes qui acceptaient de nous aider. Et aujourd’hui, plusieurs de nos hôtes d’alors sont devenus des amis.
Ce que nous retenons, c’est l’hospitalité chaleureuse de nos compatriotes et leur disposition à être ouverts à l’imprévu, à le faire entrer chez eux. Et ce même quand cet imprévu prend la forme de deux parents suants, couverts de boue et d’un nourrisson au sourire radieux quand une porte s’ouvrait à lui !
CDB : Comment s’est manifesté votre projet d’écriture du livre ? Est-ce que vous aviez prévu de l’écrire à l’avance ?
Romain Brès : Lire, écrire et marcher. C’est le triptyque sur lequel a reposé notre réponse à ce « coup du sort » de décembre 2023. Ce fut notre thérapie. Nous sommes partis marcher sur les routes de France, Justine lisait l’Iliade chemin faisant et tous les soirs, nous couchions par écrit les éléments marquants du jour écoulé. Reliefs foulés, grimaces d’Homère, personnes rencontrées. Il était important pour nous de tout consigner sous peine d’oublier, sous peine de ne pouvoir recevoir ce que l’étape suivante aurait à nous offrir. Nous avons ainsi pris des notes quotidiennement pour épingler sur le papier des moments aussi intenses que fugaces. Pour le dire rapidement, nous tenions un journal de bord, un carnet de route. Nous rêvions de trouver un éditeur qui, à terme, accepterait de nous accompagner pour publier nos écrits dans lesquels nous voyions un moyen de témoigner de ceux que nous aurions rencontrés dans cette France du vide prétendu, une manière de partager au plus grand nombre les paysages que nous aurions traversés.
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Nous sommes reconnaissants aux éditions Transboréal d’avoir cru en notre propos. C’est à leurs côtés que nous avons embarqué dans une nouvelle aventure, non plus pédestre, mais éditoriale ! Car aux quatre mois de marche ont succédé neuf mois de travail pour faire de nos carnets de route un récit de voyage, un récit de vie : Une famille en chemin, paru le 3 octobre dernier ! Une autre forme de gestation.
CDB : Quelle conclusion avez-vous tirée de cette marche pendant 4 mois ?
Romain Brès : Oh, s’il n’y en avait qu’une ! La première, tirée dès notre arrivée à Saint-Jean-Pied-de-Port, fut la décision de repartir. L’arrivée fut un marchepied vers d’autres aventures. Ainsi, nous avons rechaussé les bottes de randonnée en avril 2025, pour traverser la Géorgie et l’Arménie, toujours à pied, toujours avec Homère (qui marche aussi maintenant), toujours avec en arrière-plan un projet d’écriture.
Puis, les jours et les semaines passant, à la fin de l’été 2024, nous nous sommes rendu compte que nous avions reçu beaucoup d’amour pendant notre traversée de la France. Que la diagonale du vide était devenue pour une ligne de vie. Que nos compatriotes débordaient de bonté. Que nos paysages étaient d’une infinie diversité et d’une merveilleuse douceur. Que tout cela nous avait fait beaucoup de bien.
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D’autres conclusions affleurent progressivement, il faut laisser au vécu le temps de décanter après quatre mois si intenses. C’est cela que nous retiendrons aussi : avoir vécu pleinement chaque minute écoulée sur les routes de France ! Sans jamais avoir le sentiment de perdre son temps. Et d’avoir vécu tout ce chemin en famille, avec notre fils. Nous avons saisi, pendant quelques mois, où était l’essentiel.
Propos recueillis par Charles de Blondin.
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