L'usine d'Amiens de l'entreprise française Ynsect

L'usine d'Amiens de l'entreprise française Ynsect. © Dassault Aviation – V. Almansa

Star de la French Tech et symbole d’une agriculture durable réinventée, Ynsect a été placée en liquidation judiciaire début décembre après avoir levé près de 600 millions d’euros. Derrière la promesse d’une révolution alimentaire par les insectes, l’entreprise s’est heurtée à une réalité économique implacable.

 

Pendant plusieurs années, Ynsect a incarné l’audace et l’optimisme d’une tech française convaincue de pouvoir changer le monde. Mais le 1er décembre 2025, le tribunal de commerce d’Évry a mis un terme brutal à cette aventure industrielle hors norme, laissant derrière elle des centaines de salariés et une question centrale : comment une entreprise a levé 600 millions d’euros au total sans jamais trouver son marché ?

 

L’emballement industriel face à l’épreuve du marché

Il y a encore peu, Ynsect faisait figure de vitrine idéale de l’innovation tricolore. Son pari : produire massivement des protéines à partir du ver de farine Tenebrio molitor, destinées à l’alimentation animale, aux engrais, voire à la consommation humaine. Une vision jugée révolutionnaire, soutenue par des investisseurs prestigieux, de l’État français à des figures internationales comme l’acteur Robert Downey Jr.

Portée par cet enthousiasme, la startup a vu grand, très grand. À Poulainville, près d’Amiens, elle a fait sortir de terre l’Ÿnfarm, présentée comme la plus grande ferme verticale d’insectes au monde. Robots autonomes, infrastructures ultramodernes, procédés industriels dignes de l’aéronautique : tout semblait calibré pour une production à échelle planétaire.

 

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Mais cette course en avant s’est faite sans validation solide du modèle économique. Tandis que les équipes d’ingénierie perfectionnaient des technologies de pointe, la réalité commerciale résistait. Les produits issus des insectes se révélaient coûteux, difficiles à positionner face à des alternatives bien moins chères comme le soja. Vouloir transformer une matière première destinée à l’alimentation animale en produit premium s’est avéré être une équation insoluble.

À cela s’est ajoutée une dispersion stratégique. Ynsect a tenté simultanément de conquérir plusieurs marchés — alimentation animale, fertilisants, nutrition humaine — sans parvenir à en stabiliser aucun. Résultat : une trésorerie sous pression constante. Entre 2020 et 2023, l’entreprise a brûlé des sommes colossales, perdant plus de cent euros pour chaque euro de chiffre d’affaires généré, tout en continuant à lever des fonds pour retarder l’échéance.

 

Les limites de la French Tech

La chute d’Ynsect dépasse le simple échec entrepreneurial. Elle agit comme un révélateur des fragilités structurelles de l’écosystème tech français, particulièrement dans la deep tech. L’innovation y est largement soutenue, parfois sans suffisamment confronter les projets à la dureté des marchés industriels et à la nécessité de marges viables.

En 2025, année déjà marquée par de nombreuses faillites, cet effondrement est un symbole. La technologie, aussi prometteuse soit-elle, ne peut durablement s’affranchir des règles élémentaires du commerce. Construire des usines spectaculaires ne suffit pas si la demande ne suit pas. La comparaison avec des acteurs plus prudents du secteur, comme Innovafeed, qui ont privilégié une croissance progressive et maîtrisée, souligne cruellement ce contraste.

 

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Il reste aujourd’hui un sentiment de gâchis et une leçon coûteuse. L’usine de Dole, sauvée de justesse par le fondateur Antoine Hubert, demeure le dernier vestige d’une ambition démesurée. Peut-être que les insectes joueront un jour un rôle central dans l’alimentation mondiale. Mais l’histoire d’Ynsect rappelle que le récit, aussi séduisant soit-il, ne peut remplacer la rentabilité et l’ancrage dans la réalité économique.

 


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