Cathédrale de Strasbourg

Cathédrale de Strasbourg

Après le drame patrimonial qu’a subi Notre-Dame de Paris, beaucoup s’interrogent quant à la reconstruction de l’édifice, et notamment de sa flèche. Va-t-on tenir le délai de cinq ans, évoqué par le Président Macron ? Et surtout, comment et qu’est-ce que l’on va reconstruire ? Ces interrogations débouchent sur de nombreux fantasmes, parfois non sans humour comme la vidéo de complexe hôtelier avec piscine et parking, qui tourne sur les réseaux sociaux.

 

Néanmoins, on peut trouver un éclairage inspirant avec l’exemple d’une autre Notre-Dame, celle de Strasbourg, aujourd’hui deuxième cathédrale la plus visitée de France, et plusieurs fois endommagée à cause des affres de l’Histoire ou de la nature.

 

L’œuvre Notre-Dame, l’atout strasbourgeois

Avant même de parler de gestion de (re)construction, la cathédrale de Strasbourg dispose d’un avantage non-négligeable sur toutes les autres cathédrales françaises, y compris Notre-Dame de Paris : l’œuvre Notre-Dame.

 

Fondation de l’Œuvre Notre-Dame

 

En effet, si « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu », les cathédrales françaises, dans leur immense majorité, sont à la fois lieu de culte et propriété de l’Etat. Dès lors, à qui incombe la gestion, la conservation et la prise de décision concernant les cathédrales ? L’Etat propriétaire ou les diocèses utilisateurs ?

A Strasbourg, la question a été réglée, dans un bain de sang, certes, dès le XIIIème siècle, soit bien avant la séparation de 1905 et la loi de 1913 statuant sur les cathédrales. Un organisme à part, l’œuvre Notre-Dame, est né pour administrer la construction continue de l’édifice : gestion des recettes et des dépenses, maîtrise d’ouvrage, travaux d’amélioration ou de réparation… Ce fonctionnement, unique en son genre, permet ainsi d’éviter tout conflit d’ego, ce qui explique en grande partie la promptitude à réparer les dégâts de la cathédrale au cours de l’Histoire, notamment celui du grand incendie de 1759, ayant ravagé toute la toiture.

 

Les mutilations de la Guerre de 1870, et l’œuvre de Gustave Klotz

Le grand drame de la cathédrale viendra de la guerre de 1870. Strasbourg fut copieusement bombardée, et la cathédrale ne fut pas épargnée, à la suite d’un concours entre Badois et Bavarois pour savoir qui avait le plus gros canon. La flèche fut endommagée, de nombreux vitraux médiévaux détruits et surtout, la toiture toute entière ainsi que la tour de croisée furent réduites en cendres …

 

Incendie de la cathédrale de Strasbourg

 

A la suite de ce désastre, les réparations ne se firent pas attendre : l’œuvre Notre-Dame veillait. Tandis que le nouvel Empire Allemand voulait faire de l’Alsace-Moselle annexée sa nouvelle vitrine, en seulement trois ans, la charpente de bois, la couverture en cuivre et la flèche furent reconstruites. La bonne idée fut alors de ne pas reconstruire une charpente d’un seul tenant, mais en trois parties étanches, favorisant ainsi le cantonnement des flammes en cas d’incendie futur. A la manœuvre de ces travaux de reconstruction à l’identique, l’architecte de l’œuvre Notre-Dame depuis 1837 : Gustave Klotz.

 

Gustave Klotz, architecte de l’Œuvre Notre-Dame

 

C’est un destin assez extraordinaire que celui de Gustave Klotz. Petit-fils de l’architecte de l’œuvre Notre-Dame qui réussit à sauvegarder quasi-intacte la cathédrale tout au long des périodes troubles de la Révolution, il fut nommé lui-même « gardien du temple » à seulement 27 ans, charge qu’il conservera ensuite jusqu’à sa mort en 1880. Dévoué corps et âme à « sa » cathédrale, il opta, bien que francophile et contrairement à son propre fils unique, pour la nationalité allemande afin de poursuivre son œuvre.

Et il restait un chantier d’importance : la tour de croisée.

 

Tour croisée de la cathédrale de Strasbourg

 

La tour de croisée datait, pour sa partie supérieure, de la reconstruction post-incendie de 1759 : c’était une simple toiture octogonale, plate sur le dessus. Un poste de télégraphe y était même en place jusque 1852. Le tout reposait sur une colonnade romane. Bref, une reconstruction à l’économie, bien loin de la tour finement dentelée du XIVème siècle.

Que faire de cette tour ? La reconstruire à l’identique ? Revenir à la précédente tour gothique, dite « mitre » en raison de sa forme de bonnet d’évêque ? Repartir d’une feuille blanche ? A vrai dire, Gustave Klotz y songeait depuis bien longtemps, bien avant la destruction. Son idée était de créer une tour néo-romane, afin de coller au mieux au style architectural roman de cette partie de la cathédrale. Une première maquette à l’échelle 1 :1 fut installée in situ, mais déplut. Le projet final fut arrêté en 1878, et les travaux s’achevèrent en 1880, peu de temps après la mort de Klotz, qui lui laissera son nom pour la postérité.

 

La nef et la tour Klotz de la Cathédrale de Strasbourg

 

Sous l’impulsion de Gustave Klotz, la reconstruction complète de la cathédrale aura pris seulement dix ans, à une époque où les moyens techniques n’avaient rien de semblable à ceux d’aujourd’hui. Dès lors, une reconstruction de son homologue parisienne semble tout à fait jouable. A moins que…

 

Les séquelles de la Deuxième Guerre Mondiale, ou un chantier interminable

Pour la seconde fois de son histoire, Notre-Dame de Strasbourg allait être en proie aux outrages de la guerre et de ses bombardements. Le drapeau tricolore flottait enfin sur la cathédrale, mais une cathédrale en ruine. La Tour Klotz en fit amèrement les frais.

 

Tour Klotz en 1945

 

Dès lors, une vieille rengaine ressurgit : qu’allait-on faire de la tour de croisée ? Après tout, elle n’avait qu’une soixantaine d’années, n’était donc qu’une pure création fantasmée d’un architecte du XIXème siècle, qui ajouta sa patte sur un édifice datant de plus de neuf cents ans… Allait-on revenir à la tour mitre, comme cela avait été évoqué en 1870 ? Reconstruirait-on à l’identique la tour Klotz ? Ou, encore une fois, allait-on repartir de zéro ?

Toutes ces questions, que l’on se pose aujourd’hui pour Paris, furent mises sous le tapis jusqu’en 1968. Une simple chape en carton bitumé fut installée afin de ne pas mettre en péril tout l’édifice. Finalement, une reconstruction à l’identique de la tour Klotz fut actée. Il faut dire que quatre ans auparavant, la Charte de Venise, qui fait office de juge de paix en matière de reconstruction de monument, préconisait de privilégier toutes les époques de constructions sur l’unité d’un style. Notre-Dame de Strasbourg, par l’entremise de son architecte Klotz, était aussi une cathédrale du XIXème siècle, il fallait respecter cela.

Malgré tout, il faudra encore attendre 20 ans, en 1988, pour voir montés les premiers échafaudages, et 1993 pour voir le chantier totalement fini…

En matière de cathédrale, nous le voyons, le temps importe peu… Ce n’est, en définitive, qu’une question de (bonne) volonté et de respect du passé au service du futur.

 


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