Ce projet du gouvernement chinois vise à mettre en place un système national de réputation des citoyens et des entreprises, inspiré du score de crédit des États-Unis.

Le crédit social est un système de notation des entreprises et citoyens mis en place par un gouvernement. Connu pour être particulièrement développé en Chine, ce système arrive peu à peu en Europe accéléré par la vague du Covid.

 

Au fil de la multiplication des instituts Confucius et des éloges du régime chinois par des hommes politiques français tels que Jean-Pierre Raffarin, la Chine a tissé sa toile au sein du paysage politique et culturel français au point de voir émerger une véritable « sinomanie ». Toutefois, si l’attrait des mets asiatiques et l’écoute du mandarin peuvent nous faire voyager au sein de notre propre pays, la méfiance des incursions des mécanismes politiques orientaux au sein de notre société doit être de mise, de peur de voir notre conception de la liberté réduite à peau de chagrin.

 

Le crédit social chinois

S’il est un mécanisme politique oriental à rejeter sans autre forme de procès, c’est bien le crédit social tel que mis en place en Chine. Cette technique de gestion de la population a été inventée par Lin Junyue, membre éminent de l’Académie des sciences sociales de Chine. Fondée sur le système des crédits américains, empêchant les fraudeurs d’avoir de nouveau accès à du crédit, ces derniers n’étant plus dignes de confiance, la logique du crédit social se définit par sa volonté de « reconstruire la morale de la société » via l’utilisation des outils numériques et technologiques les plus avancés. Les données bancaires, médicales, sociales – dont celles émanant des réseaux sociaux et du milieu professionnel – identitaires, judiciaires, assurantielles et financières sont prises en comptes afin de noter un individu en fonction de ses choix de vie. Une sorte de « Jugement dernier » permanent et arbitraire. Subissant une note comprise entre 0 et 950, le citoyen est invité à adopter un comportement vertueux. Dans le cas contraire, celui-ci se voit soustraire des points de son « crédit social », accessible depuis son téléphone portable, et au fur et à mesure, se voit soustraire des droits, dont certains fondamentaux.

Ainsi peuvent rapporter des points le fait de donner son sang, d’acheter de l’eau, du thé, des légumes verts et des couches culottes – démontrant ainsi une bonne alimentation et une volonté de protéger son enfant – ou encore le fait de se procurer des livres traitant de la vie des membres éminents du parti, voire de louer ledit parti. Un bon nombre de points permet au citoyen d’accéder à des réductions au sein des services publics, de se voir féliciter sur des écrans numériques, au sein de la ville, qui montrent l’individu « vertueux » comme un modèle, ou encore, de vivre de manière paisible et sereine.

Malheur toutefois à celui qui perdrait des points par une volonté de déstabiliser le régime ou pour avoir simplement manqué à l’obligation de ne pas traverser un passage piéton quand le feu est au rouge ! L’individu qui perd des points se voit décrit comme un mauvais citoyen. De la même manière que le bon citoyen, il fait l’objet d’un affichage numérique dans la ville mais, cette fois-ci, pour le railler et l’ostraciser, une sorte de pilori numérique. Son identité est ainsi mise à découvert avec sa photographie d’identité, son nom, mais aussi – chose plus surprenante et terrible – son adresse ! Une personne désirant appeler une autre personne possédant peu de points entendra dans certaines villes de Chine une sonnerie semblable à une sirène démontrant la qualité peu recommandable de son interlocuteur. Un message additionnel sera même parfois compris avec la sonnerie, demandant au correspondant du « mauvais citoyen » de le remettre si possible sur le droit chemin.

 

Un système communiste 2.0

Mais une situation reste plus terrible que d’être un mauvais citoyen, c’est celle d’être un citoyen sur « liste noire ». Cette liste est établie par la Cour suprême chinoise et comprend les individus et les sociétés cumulant 0 point de crédit social sur 950. Il leur est fait interdiction de voyager en dehors du pays voire même à l’intérieur, il leur est impossible d’obtenir un crédit bancaire, de créer une entreprise ou d’acheter un appartement. Certaines fonctions comme celle de maire leur sont également prohibées.

Ce système bien rodé ne pourrait toutefois pas fonctionner sans la présence de caméras intelligentes à reconnaissance faciale présentes en nombre sur le territoire (en moyenne une pour deux habitants !) et sans le concours actif des citoyens chinois eux-mêmes prenant part à cette mécanique totalitaire d’un nouveau genre. En effet, ces derniers, via leurs applications locales notent les personnes et les lieux qu’ils visitent. Cette note induit donc une augmentation ou une diminution des points du crédit social sur le court terme. Prenons l’exemple d’un trajet en taxi. Le chauffeur sera amené à la fin de la course à noter ses passagers, lesquels auront le libre arbitre de noter la prestation de ce dernier.

L’infantilisation de la population adulte de Chine se cumule donc avec la perte d’un comportement naturel pour porter sans cesse un masque de bienséance adapté au gain ou à la non perte de points sociaux. Jean-Gabriel Ganascia, président du comité d’éthique du CNRS et expert en intelligence artificielle parlera à ce sujet d’une « réduction du comportement d’un individu à un chiffre ». Individus qui seront amenés à rester les spectateurs passifs de leur vie, incapables d’innover ou de prendre des risques, de peur de voir leurs points chuter.

 

Les innovations au service du politique

Ce système de crédit social a d’ailleurs, contrairement à ce que l’on pourrait croire, tendance à se perfectionner d’année en année dans son crime de lèse-liberté. D’une part, par l’absence de réaction d’une population atone comme nous l’avons dit, mais aussi d’autre part par l’affinage des techniques numériques sur lesquelles le crédit social repose. Si les caméras de surveillance poussent comme des champignons, elles se métamorphosent également pour prendre en compte les changements de température du corps humain et la vitesse de marche des individus afin de détecter plus facilement les comportements dits suspects.

La crise de la Covid-19 et sa nuée de QR codes a permis à la Chine communiste d’en démultiplier son usage afin de suivre à la trace sa population. De plus, les alliances du parti avec les géants du numérique chinois ont permis une surveillance globale plus aisée et précise. Ayant deux décennies d’avance sur l’Occident en matière d’intelligence artificielle, la Chine devient également pionnière en matière de dématérialisation de la monnaie, lui permettant ainsi de suivre les transactions faites par une personne au cours de sa vie.

L’individu est donc nié au profit d’une entité qui ne dit pas son nom. Le bien et le mal ne sont plus définis par le droit naturel mais par le droit positif ce qui entraîne un calcul arbitraire d’une perte de points sociaux fondés sur des éléments propres à générer une antipathie ou une sympathie de l’organe exécutif. Le mauvais citoyen chinois semble ainsi être confiné à un ostracisme puissant au sein de sa propre société et tendrait, en réalité, à être le dernier reste d’humain potentiellement viable au sein d’une société normalement constituée. Dans Ma Femme a du crédit, documentaire publié sur la page YouTube de La Chaîne Parlementaire, le compagnon français d’une femme chinoise dit à sa femme n’achetant pas de « livres interdits » qu’elle était sage. « Je ne suis pas sage » répond-elle, « Je suis quelqu’un de normal ». Et c’est peut-être cela le plus grave. Parce que la normalité n’existe que dans l’esprit de ceux qui ont abandonné la vie au profit de la consommation et de la soumission.

 

Le Smart citizen wallet bolonais

Cette dérive totalitaire qu’est le crédit social tend, hélas, à se banaliser au sein même du vieux continent. Au niveau de l’Union européenne, deux grandes lignes directrices se dessinent : l’une est celle du crédit social minimal (c’est le cas italien), l’autre est celle du crédit social embryonnaire (c’est le cas de l’Union européenne).

La municipalité de Bologne a annoncé il y a quelques temps la transformation numérique de sa ville par l’intermédiaire d’un « plan numérique ». Ce plan se constitue de diverses mesures dont la plus dérangeante se voit affublée d’une dénomination britannique – certainement pour faire plus cool et rendre incompréhensible le message – le smart citizen wallet (le portefeuille intelligent du citoyen NDLR). Ce portefeuille prend la forme d’une application et est désigné comme étant un outil pour le « citoyen vertueux » lui permettant de cumuler des avantages récompensant ses actions. Trier ses déchets, utiliser les transports en commun, utiliser sa carte culture régulièrement, bien gérer son énergie ou encore ne pas se voir infliger d’amendes par la municipalité permettra au « citoyen vertueux » de cumuler des points et d’être récompensé par des avantages pécuniaires.

Cette expérimentation déjà en cours à Rome devrait prendre place à Bologne durant l’automne de cette année. Certains craignent toutefois que cet outil de simplification administratif ne soit par la suite utilisé pour contrôler la population bolonaise. Si l’utilisation de l’application est à ce jour facultative, rien ne nous dit qu’elle ne sera pas obligatoire dans quelques années et que les « bons gestes citoyens » se transformeront en obligations, a fortiori quand les conseillers municipaux de la ville font part de leur volonté d’une participation massive de la population à un tel programme.

 

L’identité numérique européenne

Face à ce crédit social minimal caractérisé par son manque d’impérativité à ce jour mais ne demandant qu’un arrêté modificatif pour l’être, la dynamique du crédit social prend son essor de manière plus insidieuse encore dans la sphère européenne.

Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, affirmait en effet dans son discours sur l’état de l’Union en date du 16 septembre 2020 que « Chaque fois qu’une application ou un site web nous propose de créer une nouvelle identité numérique ou de nous connecter facilement via une grande plateforme, nous n’avons aucune idée de ce que deviennent nos données, en réalité. C’est pourquoi la Commission proposera une identité électronique européenne sécurisée. Une identité fiable, que tout citoyen pourra utiliser partout en Europe pour n’importe quel usage, comme payer ses impôts ou louer un vélo. Une technologie qui nous permettra de contrôler quelles données nous partageons et l’usage qui pourra en être fait ».

L’identité numérique européenne, objectif prioritaire de l’Union pour les années 2019-2024 permettrait ainsi à l’individu de perdre moins de temps au niveau administratif en regroupant toutes les informations de chaque citoyen européen au travers d’une identité numérique. Cet outil serait également plus sécuritaire d’un point de vue numérique selon le président de la Commission. A terme cette identité numérique serait recommandée, si ce n’est impératif, afin de pouvoir utiliser des services publics, ouvrir un compte bancaire, remplir des déclarations fiscales, s’inscrire dans une université, conserver une prescription médicale, prouver son âge, louer une voiture ou encore s’enregistrer dans un hôtel.
Rappelons-le, la numérisation de l’identité d’un individu est le premier pas vers une société dématérialisée et possiblement fondée sur la technique du crédit social, prenons donc garde aux simplifications administratives passagères et aux mécaniques de surveillance persistantes.

 


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