Depuis le 24 février 2022, plus de 3,5 millions d'Ukrainiens ont quitté leur pays. ©Jean-Baptiste Ramat

Alors que la guerre fait toujours rage à l’Est, notre journaliste Jean-Baptiste Ramat a suivi deux volontaires français dans un convoi humanitaire qui apporte de l’aide aux réfugiés de guerre ukrainiens. Récit.

 

Dimanche 6 mars 2022, Gare de Massy Palaiseau

Le bruit, la foule, le bitume. L’Oise ? Connais pas ! Bienvenu en banlieue parisienne, Massy Palaiseau, succursale de Paname rattachée à la Ville Lumière par le RER. Tout autour des immeubles de bureaux, un bar, le très original « Café de la Gare », des individus indifférenciés courant dans un sens unique, loin de la gare ! Et surtout des voitures, partout des effluves de gazole et le cri strident des klaxons, plusieurs axes autoroutiers juste à côté, pas de verdure ; l’Enfer Urbain.

Fort heureusement, l’attente est terminée ! Une Citroën Jumpy marron triomphe des multiples feux tricolores pour se caler dans une rue adjacente, Loïc et Helen sortent de l’engin tout sourire. Les deux sont bénévoles dans une association catholique « Tous Entrepreneurs pour la Paix », fondée en 2007 à Beaupréau-en-Mauges, charmante commune du Maine-et-Loire, venant en aide aux plus pauvres. Une dernière cigarette, et c’est parti pour Varsovie, environ quinze heures de route, le temps de traverser Belgique et Allemagne. La Citroën est chargée d’avant en arrière et jusqu’au toit : des boissons, des couvertures, des cartons, et surtout, beaucoup de conserves.

Helen m’explique que nous sommes suivis de quelques dizaines de kilomètres par un semi-remorque dépêché par l’association, qui contient l’essentiel des vivres récoltés : « D’habitude nous distribuons surtout aux communautés religieuses et familles françaises, mais vu l’actualité on a décidé de monter un convoi pour les réfugiés de guerre ukrainiens. Il nous a fallu trouver un camion polonais pour transporter les trente-trois palettes de nourriture et produits d’hygiène que nous avions préparés ».

Le but de l’opération est d’apporter une partie des vivres à Varsovie, la première étape, avant de les acheminer à la frontière puis en Ukraine, où des sœurs Franciscaines se chargeront de la distribution.
A 18 h 30, nous réussissons enfin à nous extraire du périph’, merveilleux embouteillages si typiques de la région parisienne, le soleil finit de décliner, le crépuscule commence accompagné par la lumière jaunâtre des réverbères autoroutiers ; 1 600 kilomètres à prendre, la nuit va être longue.

 

Lundi 7 mars 2022, Varsovie

Fourbus mais contents, nous arrivons à l’université d’Etat « Cardinal Stefan Wyszyński », où nous attend le contact de l’association française : Kazimierz Szałata, professeur de philosophie et d’éthique médicale, accessoirement francophone accompli. Homme affable et grisonnant, rien ne semble pouvoir entacher sa formidable motivation, vieux baroudeur de l’humanitaire, il est président de la fondation Raoul Follereau en Pologne. Se dépensant sans compter depuis le début de la guerre, la Pologne ayant accueilli plus d’un million de réfugiés, il détaille la situation dans son bureau après nous avoir offert un repas, le café et les gâteaux. Hospitalité slave oblige !

Après avoir déposé chez lui notre chargement en vivres, nous partons arpenter la Varsovie des réfugiés : la Gare Centrale et l’ancienne usine « Polska », renommée « Global Expo » et transformée en centre d’accueil.

La gare est bondée, partout des femmes et de jeunes enfants, couchant à même le sol, arrivant par trains entiers de Lviv ou de Kiev, attendant de prendre d’autres trains pour aller encore plus à l’Ouest. La police est présente partout en nombre, Kazimierz me dit qu’ils sont sur les nerfs « Il y a des espions russes et des saboteurs qui sont arrivés dans les flots de réfugiés ! » m’assure-t-il. Ils essayent de repérer ceux qui prennent en photo les réfugiés. La paranoïa est de mise. Une mère ukrainienne, la trentaine, me fixe du regard, elle m’a vu prendre des photos. Je lui explique que je suis journaliste. Elle s’approche empreinte d’une froide dignité et me répète plusieurs fois en anglais « Nous ne sommes pas SDF ! ». Ses trois petits sont juste derrière elle, assis sur une petite couverture, juste à côté d’une petite valise de voyage, tout ce qu’elle a pu emporter.

 

Entrepôt où sont entreposés les dons à quelques kilomètres de la frontière ukrainienne. ©Jean-Baptiste Ramat

 

Au centre d’accueil, l’ambiance est différente, morose, résignée. Contrairement à la gare, ici on ne cherche pas à partir, puisqu’on ne sait où aller. Nous sommes dans l’Est de Varsovie, sur la rive droite de la Vistule ; 1 300 lits occupent cette ancienne usine, c’est propre, l’odeur des désinfectants imprègne l’intérieur. Des dizaines de volontaires en gilet jaune, médecins, bénévoles parfois adolescents, et professionnels organisent le centre : un service de transport, un vestiaire, une distribution de biens et de vivres au quotidien. Les réfugiés, eux, sont hagards, désorientés. Parmi les hommes ukrainiens, on trouve un nombre significatif de sourds-muets et d’handicapés, ou de vieillards, accompagnés de femmes de tous âges et d’enfants. Il y a bien des hommes jeunes ou dans la force de l’âge, majoritairement des Afghans.

 

Mardi 8 mars 2022, frontière ukrainienne

La petite gare de campagne tourne à plein régime depuis deux semaines, deux kilomètres plus à l’Est c’est l’Ukraine. Impossible de s’y rendre par hasard, les barrages de police et de l’armée polonaise quadrillent la zone. Le froid est plus intense, ici l’hiver n’est pas terminé. Sous un ciel bleu pâle parsemé de nuages gris, les familles débarquent, immédiatement prises en charge par un cortège de volontaires polonais et internationaux : médecins israéliens, membres de « Caritas », et même, des Témoins de Jéhovah. De grandes tentes remplies de matériel sont disposées un peu plus loin. Soudain, c’est l’agitation. Une dizaine de journalistes arrivent en trombe, suivis de policiers cagoulés et de voitures blindées. La première dame du pays, Agata Kornhauser-Duda, vient faire une visite opportune.

 

Mercredi 9 mars 2022, Varsovie

Dix heures, le matin du départ. Kazimierz a confié à Helen et Loïc le soin de ramener une famille ukrainienne en France, ils seront pris en charge par « Tous Entrepreneurs pour la Paix » une fois dans l’Ouest. Une « famille » est un bien grand mot pour nos passagers : deux enfants de moins de quatre ans, et Vera, leur mère. Hébergés jusque-là chez le professeur, nous rencontrons Vera dans la cuisine. Les traits tirés, ses grands yeux noirs jettent des regards vifs et inquiets, presque apeurés, elle nous fixe avec un demi-sourire crispé, pleine d’espoir. Son plus petit est un nourrisson de quelques mois, qu’elle ne quitte jamais et serre dans ses bras comme un réconfort.

 

Une mère de famille ukrainienne tenant son enfant dans ses bras à à quelques kilomètres de la frontière ukrainienne. ©Jean-Baptiste Ramat

 

J’échange avec elle quelques mots en russe, ses iris s’illuminent de curiosité, nous arrivons à nous comprendre. Son père a réussi à la suivre hors d’Ukraine, il est avec elle chez le professeur, mais leur chemin se sépare ici ; elle a l’espoir de rejoindre son frère, établi dans un pays lointain. Le père retourne en Ukraine rejoindre son épouse restée là-bas. Un dernier adieu, et c’est reparti pour la route.

 

Jeudi 10 mars 2022, Paris

De retour sur le bitume au milieu des réverbères, il fait nuit noire, Loïc et Helen viennent de me déposer, eux continuent avec Vera jusqu’au Mans. Vera et les petits ont jusque-là bien tenu le voyage, ils tiendront bien deux heures de plus ; pour moi ça s’arrête ici, dans le froid humide d’un mois de mars parisien, à quatre heures du matin, à réfléchir comment je vais pouvoir raconter ça dans un article.

 


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