Le téléfilm en quatre parties de 90 minutes a été réalisé par Michel Favart et diffusé à partir du 11 octobre 1996 sur Arte.

« Les Alsaciens ou les Deux Mathilde » est un téléfilm franco-allemand historique. Il retrace la période trouble qu’a connue l’Alsace-Moselle entre 1870 et 1953. Un feuilleton mis à l’honneur sur Arte.tv.

 

Ils parlaient avec un accent boche et un cœur français : ils en souffrirent durant près d’un siècle. Plus de vingt-cinq ans après sa diffusion en 1996, le téléfilm franco-allemand « Les Alsaciens ou les deux Mathilde » s’offre une lumière nouvelle sur arte.tv et célèbre, car il le faut bien, l’héroïsme de tout un peuple. Feuilleton de quatre épisodes retraçant l’histoire d’un village alsacien depuis la défaite de 1870 jusqu’aux horreurs de l’après-guerre, cette belle production Pathé ne saurait être ignorée. Regard sur une fresque historique d’une justesse et d’une humanité sensiblement exceptionnelles.

 

Portrait d’un village d’Alsace, du Second Empire à la IVème République

De 1870 à 1953, s’égrènent les époques et les générations, et avec elles, quatre régimes, trois occupations, deux guerres. En Alsace et en Moselle plus qu’ailleurs, ces temps furent terribles et noirs. Rien n’empêche plus, aujourd’hui, le cœur d’un pays, le souffle d’un esprit, l’âme toute entière d’un peuple de faire entendre son nom et de faire vivre sa mémoire. Telle fut sans doute la réflexion menée en 1996 par le journaliste Henri de Turenne lorsqu’il se rapprocha du scénariste alsacien Michel Deutsch pour l’écriture du scénario de « Les Alsaciens ou les deux Mathilde ». Réparer par le récit un peuple trop de fois brisé et méprisé, écartelé durant soixante-quinze ans, était nécessaire. Il fut bien accueilli : le projet, réalisé par Michel Favart, fut récompensé du 7 d’Or du Meilleur scénario de fiction 1997, et reçu, la même année, le Prix Adolf Grimme.

Au centre du récit, un lieu, balayé par les caméras durant 360 minutes. Le village fictif d’Alsheim, avec son château, son usine, son église, son école, son café et sa grand’place, invite à l’imprégnation. Le spectateur découvrira un tableau familier, qui figure un coin de France, comme nous en connaissons tant. Les personnages, eux aussi, nous les connaissons tous, et c’est pourquoi nous les retrouvons tous. De l’industriel et de sa famille au tenancier de bistro, en passant par le personnel de maison, le curé, l’instituteur, le garde-chasse, les bouviers et cultivateurs, les ouvriers et les notables, cette série nous plonge au centre d’une crèche vivante où la vie semble si paisible, si belle, définitivement si française.

Pourtant, presque hélas, ce n’est pas l’angélique enfance de Pagnol qui nous saute aux yeux dès le début du récit, mais cette longue plainte que figura si bien Barrès dans ses Bastions de l’Est. Car voilà en effet tout le drame qui entoure ce paisible village d’Alsheim : s’il est de France, il est avant tout d’Alsace et connaitra successivement la défaite de 1870, l’occupation prussienne, la longue et terrible guerre de 14-18, le mépris abject de la IIIème République, la terreur de la débâcle de 1940, les déchirements de l’Occupation et de l’annexion au Reich et enfin, les larmes de l’épuration et du deuil.

 

Cinq générations au rendez-vous de l’Histoire

Le synopsis, très classique, retrace l’histoire de cinq générations, gardant pour point d’ancrage celles qui se succèdent au sein du château du village ainsi qu’à la tête de l’usine qui le fait vivre. Mathilde, fille du baron d’Empire Kempf, perd son mari, le comte Charles de La Tour, au lendemain de son mariage. Celui-ci, mort héroïquement à cheval lors de la percée prussienne vers Strasbourg en 1870, laisse un fils, Louis. Si sa mère conservera durant toute l’occupation prussienne, un sens patriotique aigüe et refusera tout rapport avec l’officier qui occupe le château, son fils, bilingue, très proche de son grand-père, développera un attachement profond à la seule Alsace, ne voyant en la France comme dans l’Allemagne que la terreur imposée à son peuple. En 1894, il épouse d’ailleurs la fille du général prussien qui occupe son château et a développé la même admiration que lui pour l’Alsace et son peuple.

De ce mariage franco-prussien par le sang, résolument alsacien par l’aspiration, naissent deux fils : Karl, qui étudie le droit à Heidelberg, et Edouard, qui entre à Polytechnique. L’ombre de la Première Guerre mondiale s’abat et détruit la famille, qui voit chacun de ses fils mobilisé sous un uniforme différent. Comme cela fut le lot de tant de familles, la guerre apporte le deuil et la désolation : Karl, en vert de gris, sera tué au Chemin des Dames en 1917, Edouard, capitaine dans l’armée française, sera infirme toute sa vie.

Le retour de l’Alsace en France, arraché par le sacrifice de tout un peuple dont le nom est inscrit de marbre dans chacun de nos villages, n’est pas synonyme de la joie tant espérée par les Alsaciens. Confrontés à la défiance et à la haine implacable des instituteurs radicaux-socialistes du Sud-Ouest chargés d’une véritable « chasse aux boches », les enfants de l’école du village souffrent d’apprendre le français qu’ils découvrent… à coup de brimades. Le fils de l’aubergiste du village, devenu médecin grâce à la comtesse, rejoint le mouvement autonomiste Heimatbund et est arrêté par le préfet de Strasbourg en 1937. Les jeunes enfants de la comtesse Kempf de La Tour, révulsés par une haine si peu attendue, se réfugient dans la propagande nazie et les jeunesses hitlériennes, qui leur propose enfin un rêve : voler en avion.

Une fois la fascination passée, le jeune vicomte Louis-Charles s’éloigne de l’Allemagne et prend le maquis avec son ami Peter, fils du garde-chasse de la propriété. Confrontés à la pression exercée sur les familles, tous deux se rendent aux autorités allemandes, qui les envoient, en punition, rejoindre un détachement SS engagé sur le front de l’Est. Dans le froid et le sang, ces Malgré-Nous souffrent et sont tiraillés entre la peur de la désertion vers l’Armée Rouge et l’obéissance aux officiers nazis.

Finalement faits prisonniers par l’armée soviétique, ils finissent la guerre dans le terrible camp de Tambov. En 1945, le retour des Malgré-Nous est l’occasion des procès édifiants de l’épuration, qui déchirent les familles et manquent, à nouveau, de dégoûter les Alsaciens de tout autre pays que le leur. C’est avec un goût amer que le spectateur achèvera ce récit d’hommage dans lequel, si la France a gagné et que l’Allemagne a perdu, l’Alsace, elle, a souffert.

 

L’Alsace, une gloire pour la France, une honte pour la République ?

Que penser alors, de ces hommes et femmes, qui furent méprisés par le Reich et la République, assassinés par l’Europe en guerre, laissés inconsolables à jamais ? Pensons déjà qu’ils furent grands, accomplissant par-là ce que l’on nomme être français. Notons ensuite qu’on ne change pas un tel peuple. Si chaque épisode s’ouvre sur le panneau arborant le nom de la place du village, d’abord « Place de la mairie », puis « Kaiser Wilhelm Platz », « Place de la République », « Adolf Hitler Platz » et enfin « Place des Deux Mathilde », les personnages restent eux, résolument alsaciens. Une autre constance de ce téléfilm reste et restera la question des instituteurs successifs « Depuis quand l’Alsace est elle rattachée à la France ? », à laquelle une tête blonde se chargera de répondre : « Depuis Louis XIV et la paix de Westphalie ». Ni républicains, ni impérialistes, ni idéologisés, ils furent d’Alsace et par là, de France.

Outre les morts, regrettons ensuite que la France, qui paya si cher le retour de sa frontière avec le Rhin, ne sut se montrer digne du martyre enduré entre 1870 et 1918 et traita si mal ses enfants retrouvés. L’énormité de l’administration républicaine, fit bien du mal, de la même manière qu’elle s’employa à assassiner le breton, l’occitan et le provençal.

Après tout, « c’est l’histoire de l’Alsace qui, très souvent, justifie les Alsaciens » disait Robert Heitz (1895-1984). Quels mots pourraient mieux décrire une terre qui devait voir tomber, successivement, et sous deux uniformes différents, des milliers de ses fils, auxquels s’ajoutent les innombrables masses des déportés, des exilés, des veuves et orphelins ? Au cœur de Strasbourg trône pour l’éternité une Pietà sans marques d’appartenance, si ce n’est celle d’un deuil éternel. Le monument, qui porte la seule inscription « A nos morts », sans souffrir de mentionner telle ou telle patrie, présente deux enfants sans uniformes, que seule la mort, fruit de la bêtise des hommes, réunit. Heureusement, les cigognes, qui sont colombes d’Alsace, volent, elles, pour l’éternité.

« Les Alsaciens ou les deux Mathilde », téléfilm en quatre épisodes à (re)découvrir sur arte.tv du 21 janvier au 21 juin 2023. Réalisation Michel Favart, scénario Henri de Turenne et Michel Deutsch. Avec Cécile Bois, Aurore Clément, Jean-Pierre Miquel, Maxime Leroux et Stanislas Carré de Malberg.

 


Vous avez apprécié l’article ? Aidez-nous en faisant un don ou en adhérant

Laisser un commentaire

RSS
YouTube
LinkedIn
LinkedIn
Share
Instagram

Merci pour votre abonnement !

Il y a eu une erreur en essayant d’envoyer votre demande. Veuillez essayer à nouveau.