L’américain Teledyne repart à l’assaut de Photonis, leader français de la vision nocturne

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Le commandant des opérations spéciales néerlandais, le général de division Theo ten Haaf en plein test du nouvel équipement de vision nocturne de la société Photonis. ©Hille Hillinga

Après une histoire rocambolesque, l’américain Teledyne a annoncé parvenir prochainement à un accord pour mettre la main sur Photonis, industriel de défense spécialisé dans les équipements de vision nocturne. Ce rachat met en lumière la notion de souveraineté tant politique qu’industrielle mais aussi, de façon plus globale, celle de l’indépendance stratégique de la France et de la perte de savoir-faire industriels.

 

Une histoire sans fin 

Alors que l’on pensait l’histoire terminée, l’américain Teledyne repart à l’assaut de la pépite française de la vision nocturne Photonis. Dans une conférence du 21 octobre dernier, Robert Mehrabian, le président exécutif de Teledyne, annonçait vouloir boucler les négociations d’ici la fin de l’année 2020. Le montant du rachat évoqué serait de 460 millions de dollars, bien en dessous des 550 millions annoncés début 2020. Société de haute technologie, avec 80 ans d’expériences dans la conception, la fabrication de composants électro-optiques et de capteurs de haute précision, Photonis est un des leaders mondiaux de ce secteur d’activité et équipe notamment les forces spéciales françaises en lunettes de vision nocturne.

 

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Bien que cela ne représente que 6% de son chiffre d’affaires, l’entreprise est aussi un acteur de la dissuasion, en fournissant des composants au laser Megajoule, qui fait partie du programme « Simulation », ainsi qu’aux sous-marins nucléaires. Le processus de rachat engagé depuis début 2020, nous avions assisté à une levée de bouclier de la part du gouvernement qui refusait que cette pépite industrielle Française ne tombe entre des mains étrangères.

 

Des conséquences industrielles, sociales et stratégiques fortes

L’acquisition par les Américains pourrait avoir des conséquences désastreuses d’un point de vue social. Alors que Photonis est un des premiers employeurs de la Corrèze, son rachat pourrait entraîner le départ de nombreux salariés. D’un point de vue industriel, cette vente s’inscrit dans une suite de cessions d’entreprises françaises au profit de groupes étrangers à l’image de ce qu’a été le rachat d’Alstom ou encore plus récemment de Latécoère. Sur le long terme, cette vente peut exposer la France au passage de certains composants civils comme militaires, sous la norme International Traffic in Arms Regulations (ITAR) américaine. Cette norme permet au gouvernement américain d’effectuer des audits ou de bloquer la vente et/ou l’utilisation de n’importe quel produit comprenant au moins 25% de technologie américaine ou une technologie considérée comme sensible, tout cela dans le cadre de l’extraterritorialité du droit américain.

 

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Que nos forces spéciales soient à l’avenir dotées d’équipements de vision nocturne différents est une chose mais le problème sera tout autre quand ce sera la construction de nos sous-marins nucléaires qui sera remise en cause. En effet, cela ne serait pas la première fois que Washington bloquerait une vente en ayant recours à la norme ITAR comme cela a été le cas avec les satellites de type Pléiades de Thales et Airbus vendus aux Émirats Arabes Unis il y a 6 ans. Il aura fallu des mois de négociations diplomatiques pour aboutir à cette vente.

 

Quels mécanismes de protections ?

Plusieurs options sont sur la table. Les conditions imposées par le gouvernement lors des négociations ont dans un premier temps refroidit les volontés de Teledyne. Ces conditions incluaient une participation minoritaire dans Photonis par le fonds d’investissement souverain français de la Banque publique d’investissement. Cet investissement comprenait également des droits de veto concernant les opérations et la gestion des activités européennes de Photonis en France et aux Pays-Bas. Une manière de lutter contre la norme ITAR et l’extraterritorialité du droit américain. La deuxième proposition est venue du gouvernement. Lucide sur l’intérêt d’une telle entreprise pour la France, le ministre de l’économie et des finances a proposé à Thales, en février dernier, de racheter Photonis afin qu’elle puisse rester un actif Français. Cette proposition a rapidement été balayée par l’intéressée comme cela avait été le cas de l’entreprise Latécoère. Enfin, nous l’évoquions en préambule, certains députés se mobilisent pour sauver Photonis. A l’image de Julien Aubert, député LR de la 5e circonscription du Vaucluse. L’élu milite pour une évolution législative permettant la création d’un fond souverain stratégique de Défense. Cette demande met en lumière la dotation a priori insuffisante des outils financiers (à savoir les fonds Definvest et Definnov) mais surtout leur inadéquation face à de telles situations.

 

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Le fait est qu’aujourd’hui, Teledyn s’est aligné sur les conditions fixées par Bercy et serait prêt à acquérir Photonis pour 15% moins cher qu’initialement prévu. Bien que cette vente puisse apparaître comme une simple goutte d’eau, il faut prendre du recul et la voir dans une globalité plus complexe. La Base industrielle et technologique de défense (BITD) française est solide en apparence, mais l’accumulation de ce type d’événement peut l’amener à s’effriter petit à petit, dans un monde qui se réarme. La sauvegarder est essentielle afin de garantir à nos forces un équipement technologique de pointe pour qu’elles restent efficaces dans le cadre de conflits dans lesquels elles sont engagées. À terme, c’est le poids politique de la France et sa diplomatie qui seront remis en cause si rien n’est fait dans les prochaines décennies pour éviter que ce scénario ne se répète encore.

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