Programme SCAF : vers une Europe de la Défense enfin intégrée ?

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Le système de combat aérien du futur (SCAF) est un programme de développement européen d'un système de combat aérien à l'horizon 2040

Longtemps repoussé, le futur avion de chasse européen sera donc franco-allemand. Le tandem Dassault Aviation/Airbus Defence and Space s’est engagé au sein du programme SCAF, pour livrer une première démo en 2026. Commercialisation à l’horizon 2040. Ce projet participera-t-il à une Défense européenne intégrée ? Pas si sûr. 

 

En Europe, les grandes orientations industrielles sont à lire en fonction des grandes orientations politiques. Et le secteur de la Défense est singulièrement représentatif puisqu’il relève du régalien par excellence. Les entreprises phares de l’Hexagone sont Dassault Aviation, Thales, Naval Group, Nexter, Arquus et Safran sans compter leurs différentes filiales et autres participations à des programmes européens. Ces entreprises sont couvées par les services de l’Etat et par l’Elysée, où le secrétaire général Alexis Kohler révise régulièrement la liste des grands patrons potentiels à soumettre au président Macron, en cas de poste à pourvoir.

 

Quand l’industriel soutient le politique

Ces cas sont rares mais très intéressants : Le dernier en date – celui du constructeur maritime militaire Naval Group – est une histoire en cours d’écriture. La première partie de l’histoire est terminée, reste la seconde. Sous les bons auspices de l’Elysée, le projet de rapprochement avec le géant italien Fincantieri a vu le jour, avec le lancement officiel en 2019 de la joint venture commune Naviris. Un long feuilleton durant lequel les deux PDG français et italiens – Hervé Guillou et Giuseppe Bono – ont mouillé le maillot alors que les mauvaises relations politiques entre la Rome version Matteo Salvini et le Paris d’Emmanuel Macron ont été autant d’écueils pour la réussite de ce projet. Les nuages gris sont à présent dissipés, mais il a fallu compter sur la ténacité des deux capitaines d’industrie pour faire face aux vents contraires. Bien leur en a pris, même si le chemin est encore long et semé d’embûches pour construire un leader européen dans le domaine.

 

Dans les airs, comme sur les mers

Après ce détour par la marine, que nous disent les grandes manœuvres industrielles dans le secteur militaire aérien ? Tout d’abord, clairement, l’Europe se cherche. Il y a 15 ans, tout le monde pariait sur le tandem franco-britannique, formé par Dassault Aviation et BAE System, l’un des géants européens du secteur et l’un des meilleurs intégrateurs. Car Dassault, quand il sélection un partenaire principal, doit choisir parmi le club extrêmement fermé des intégrateurs systémiques.

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Retour en arrière. Durant la première décennie 2000, l’idée germe de créer un seul chasseur européen, remplaçant à terme le Rafale français, l’Eurofighter allemand et le F-18 Hornet espagnol. Une idée qui plaît chez Dassault Aviation : hormis le groupe Airbus, empêtré dans l’A400M, Dassault est de fait le seul constructeur à pouvoir prendre en charge un tel programme. Entre 2010 et 2014, Dassault choisit d’abord son homologue anglais BAE Systems pour développer le futur chasseur européen, le tandem intègre au fur et à mesure d’autres partenaires, réputés pour leur savoir-faire d’équipementiers ou de motoristes, comme Thales pour l’électronique, mais aussi Safran et Rolls-Royce pour les moteurs. Mais en coulisses, le projet capote, Londres et Paris n’étant plus du tout sur la même longueur d’ondes. Le divorce est consommé en 2016, sur fond de Brexit. Un an plus tard, Dassault se choisit un nouveau partenaire, le consortium germano-européen Airbus Defence and Space. Dassault a alors le vent en poupe, les résultats opérationnels sont au vert. Comme pour le précédent programme, le nouveau tandem constitue sa dream team et réunit les motoristes MTU Aero Engines (Allemagne) et Safran (France), les électroniciens Rohde & Schwarz et Hensoldt (Allemagne), les fabricants de systèmes d’armements comme MBDA (coopération européenne) et Diehl (Allemagne) ainsi que Thales.

Mais ce montage industriel déplaît chez Thales, principal partenaire de Dassault sur le Rafale et qui perdrait l’une des poules aux œufs d’or de son catalogue. Thales n’a pas envie de partager avec des concurrents, qu’ils soient allemands, espagnols ou français. Dans le paysage franco-français, des rivalités persistent en effet. En septembre 2019, le journal Les Echos fait un constat sans appel : « Ces derniers mois, le projet franco-allemand de développer un Système aérien de combat du futur (SCAF) a ravivé une rivalité ancienne entre le patron de Dassault, Eric Trappier, et celui de Thales, Patrice Caine. Le premier estime que l’avenir du nouvel avion de combat restera lié au fuselage, à l’aérodynamisme et aux capacités d’intégration des systèmes de combat développé par son entreprise, quand le second estime que l’expertise électronique, l’intelligence artificielle embarquée et l’évolution des logiciels, feront toute la différence. » Les tensions ne risquent donc pas de retomber avec le projet SCAF, mais sous le commandement de Dassault, Thales s’est résolu à prendre le train en marche.

 

Coopérations multiples – Concurrences multiples

Pendant que Dassault Aviation convole avec Airbus, son ex-fiancé britannique BAE Systems s’est lancé lui aussi dans un nouveau partenariat pour développer un avion furtif de nouvelle génération, le Tempest. A bord du projet, le groupe suédois Saab et les Italiens de Aeronautica Militare. Difficile de parler encore de Défense européenne intégrée avec ce nouveau regroupement d’industriels qui, au final, sera probablement un adversaire lors d’appels d’offres futurs : Tempest contre SCAF. L’affaire en rappelle une autre : le Rafale de Dassault et l’Eurofighter de BAE Systems-EADS-Finmeccanica se sont ainsi affrontés à de très nombreuses reprises : Pays-Bas, Corée du Sud, Singapour, Brésil, Suisse…

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Peut-être la prédominance du F-35 américain aurait-elle été moindre en Europe et dans le monde si le Vieux Continent avait pu s’entendre, il y a des décennies, sur un avion commun. L’Europe est malheureusement coutumière des luttes industrielles fratricides, et les entreprises françaises ne sont pas exemptes de reproches en la matière : Thales Norway, filiale locale de Thales, n’a ainsi pas hésité à s’associer à Saab pour le développement des systèmes de communication du Gripen, avion face auquel le Rafale de Dassault, actionnaire de Thales, échouera en Suisse, notamment. Naval Group et encore une fois Thales, son actionnaire pourtant, se sont également retrouvés face-face au Brésil en 2018 dans le cadre du projet brésilien Tamandaré pour quatre corvettes, et le sont de nouveau sur le projet de sous-marin néerlandais. Même s’ils se regroupent au gré de certains projets, les constructeurs européens avancent encore en ordre dispersé sur les marchés continentaux et internationaux, s’opposant parfois entre entreprises de même nationalité. C’est un fait.

 

Une vraie carte à jouer

L’industrie européenne devra nécessairement poursuivre son mouvement de consolidation, non seulement pour survivre face à nos adversaires de toujours mais aussi pour faire face à l’émergence de nouveaux concurrents chinois, russes ou indiens. Une question essentielle reste posée : l’Europe de la Défense gagnera-t-elle à long terme à voir ses grandes entreprises industrielles se faire concurrence, plutôt que d’unir leurs forces afin de se focaliser sur leur cœur de métier ? Les pays européens savent pourtant travailler ensemble quand la volonté politique est là. L’industrie de défense terrestre – via Nexter et KMW devenus KNDS – est ainsi parvenue à accoucher d’un projet de char commun, même s’il est vrai que seuls les Allemands et les Français ont encore la base industrielle nécessaire pour un tel projet. Les pays européens sont également (presque) arrivés au bout du programme A400M. Et en dépit des aléas du projet, l’A400M restera au final probablement le meilleur avion de transport tactico-opératif existant, avec déjà un certain succès à l’export.

L’époque est indécise et passionnante, d’autant plus à l’heure où le président français Emmanuel Macron a redistribué une partie des cartes en jugeant l’OTAN « en état de mort cérébrale ». L’Europe de la Défense a enfin une vraie carte à jouer. Les industriels européens aussi, chacun à leur place, rien que leur place mais toute leur place, dans un ensemble pour le moins coordonné, et pourquoi pas intégré.

 


Bertrand Monnier est conseiller financier en export et développement international et spécialiste en droit fiscal international.

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