L'ancien président mauritanien, Mohamed Ould Abdelaziz, en 2023 sur le plateau de France 24. Capture d'écran

L'ancien président mauritanien, Mohamed Ould Abdelaziz, en 2023 sur le plateau de France 24. Capture d'écran

Condamné en appel à quinze ans de prison pour corruption et blanchiment, l’ancien président mauritanien, Mohamed Ould Abdelaziz, fait face à une chute politique et judiciaire sans précédent dans l’histoire du pays. Un procès jugé équitable par les observateurs, mais qui suscite l’ire des partisans de Aziz.

 

Il n’a pas bronché. Le 14 mai, dans le box des accusés du Palais de justice de Nouakchott, Mohamed Ould Abdelaziz, 68 ans, a écouté le verdict sans dire un mot. Quinze ans d’emprisonnement. Une peine qui enterre presque définitivement l’ancien président, déjà condamné en première instance à cinq ans de prison, en décembre 2023. Et qui alourdit considérablement son dossier : à l’enrichissement illicite, les juges ont ajouté le blanchiment, le trafic d’influence, l’abus de fonction et le recel.

 

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Depuis janvier 2023, il est assigné à résidence dans un appartement de la capitale, transformé en prison administrative. C’est là qu’il a été reconduit immédiatement après l’audience, comme lors de chaque étape d’un procès hors norme, entamé dans un silence devenu presque pesant au sein du pouvoir. Et pourtant, c’est une rupture : jamais un ancien chef d’État mauritanien n’avait été condamné de la sorte, dans le cadre d’une procédure pénale ordinaire.

Contrairement aux transitions brutales observées dans plusieurs pays voisins, la Mauritanie a opté pour une instruction judiciaire classique, menée sans juridiction d’exception ni décret spécial. L’ex-chef de l’État a comparu devant une cour criminelle ordinaire, assisté de ses avocats, avec droit à l’appel et à la publicité des débats. Un déroulé qui, aux yeux des autorités, conforte l’idée d’une justice indépendante.

 

L’effondrement discret d’un système

Homme fort de Nouakchott entre 2008 et 2019, ancien général putschiste devenu président élu, Mohamed Ould Abdelaziz avait bâti autour de lui un pouvoir vertical, structuré, opaque. Mais derrière l’image d’homme providentiel, les enquêteurs ont découvert des circuits financiers troubles et une fortune estimée à près de 90 millions de dollars. En 2020, une commission parlementaire déclenche la chute : elle met au jour un système de détournement de fonds publics et d’abus de biens sociaux mêlant intérêts privés, marchés publics et sociétés-écrans.

La justice suit son cours, méthodiquement. À l’audience, Aziz se retranche d’abord derrière l’article 93 de la Constitution, qui lui garantit une immunité présidentielle. Il refuse de répondre aux juges, puis se résout à parler. « Il ne s’est jamais défendu sur le fond », tranche Me Brahim Ould Ebety, avocat de l’État. « Ce n’est qu’à la fin du procès qu’il a commencé à prendre la parole. »

 

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La Cour confirme aussi la dissolution de la fondation Errahma, liée à son fils défunt, qu’elle décrit comme un outil de blanchiment. Deux de ses proches, dont son gendre et l’ex-directeur de la Somelec, ont également été incarcérés. Mais ses anciens Premiers ministres et plusieurs hauts fonctionnaires, poursuivis à ses côtés, sont acquittés ou laissés libres.

 

Une justice pour l’exemple ?

Ses avocats, eux, jouent leur partition. Ils dénoncent un « procès politique ». Me Mohameden Ould Ichidou affirme que son client « n’a jamais bénéficié d’un traitement équitable » et annonce un pourvoi en cassation. Ils critiquent des conditions de détention « dégradantes », évoquent des refus répétés d’évacuation sanitaire, et s’étonnent que le président ne soit pas jugé devant une Haute Cour de justice. Les audiences d’appel n’ont pas été suspendues malgré ses problèmes de santé. « À l’audience, il bondissait pour saluer ses soutiens et parlait avec une voix forte », rétorque Me Ould Ebety.

 

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La Mauritanie assume : ce procès doit faire date. « Un président n’est pas au-dessus de la loi », glisse un haut responsable sous couvert d’anonymat. Le pouvoir parie sur une justice institutionnelle, loin des règlements de comptes armés qui secouent ses voisins du Sahel. Mohamed Ould Ghazouani, successeur d’Aziz, n’a jamais commenté l’affaire, se tenant à la distance nécessaire.

 

Une fin sans éclat

Aziz, jadis redouté, est aujourd’hui seul. Ses soutiens internationaux ont disparu, ses anciens alliés se taisent. Sa chute, méthodique, n’a pas provoqué d’onde de choc. La réponse n’est peut-être pas dans le verdict, mais dans l’oubli, plus éloquent que bien des plaidoiries.

 


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