Depuis 2022, plusieurs centaines de combattants français sont allés au front en Ukraine. Image d'illustration

Depuis 2022, plusieurs centaines de combattants français sont allés au front en Ukraine. Image d'illustration

Depuis sa chambre d’hôpital à Lviv, un jeune volontaire français blessé sur le front nous raconte par téléphone l’enfer de la guerre en Ukraine. Une musique mécanique, en bruit de fond, rend la scène irréelle. Sa voix grave au léger accent la rend plus vraie que jamais.

 

Domitille Casarrotto : Où êtes-vous actuellement ? Racontez-moi.

Volontaire français : Je suis à l’hôpital, à Lviv. C’était une belle ville, la plus grande et la plus proche de l’Occident. Très européenne, loin de la guerre. Les gens sont un peu déconnectés, il y a une ambiance très étrange. Ici, il y a des voitures de luxe, des touristes lambda qui viennent, et qui rentrent chez eux, et qui diront « j’ai été dans un pays en guerre ». Alors qu’on n’y voit rien du tout.

 

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Mon bataillon se situe dans le même oblast, mais caché dans une forêt. Je suis dans le troisième bataillon d’artillerie. Je reviens des environs Kharkiv, vers l’Est, pas loin de Poltava. Le déroulé de nos missions est simple : une compagnie part, et malheureusement, elle se fait dissoudre la plupart du temps. Parce que beaucoup des mecs sortent blessés ou meurent. Alors on rentre à la base et tout recommence : on reforme une compagnie avec ceux qui restent. Nous sommes restés deux mois là-bas et ils ont fait rentrer ceux qui n’étaient pas blessés. Moi, j’ai été évacué après une opération.

 

D.C : Qu’est-ce qui vous a poussé à partir au front ? Comment êtes-vous arrivé là-bas ?

VF : Ma motivation principale, c’est la défense de l’Europe et ça au-delà des questions politiques. On peut critiquer Zelenski, mais moi je suis venu pour défendre l’Europe, combattre pour le peuple ukrainien qui a été très éprouvé et pas seulement dans l’histoire récente. Quand tu parles avec des Ukrainiens, que tu t’assoies avec eux, qu’ils t’offrent un verre, ils commencent à te parler de l’histoire du pays. Tu te rends compte que cette guerre, ces problèmes entre la Russie et l’Ukraine, ce n’est pas une question récente.

Il y a un écart énorme entre les très riches et les très pauvres ici. Quand tu entres dans la zone de combat, tu rencontres les familles qui sont toujours dans leur village. Ils n’ont pas envie de le quitter parce qu’ils n’ont nulle part où aller. Ou tout simplement parce qu’ils se disent : « c’est ma terre, je n’ai pas envie de partir, je veux vraiment mourir ici ». C’est aussi dans ces moments que tu vois l’extrême gentillesse et la simplicité de ces personnes-là. Ces personnes qui n’ont rien et qui ont tout en même temps.

Tu vois leur mode de vie très solidaire, pas seulement avec les étrangers, mais avec tous les soldats. C’est ce que j’ai vécu. Ces vieilles mamies qui voient le patch français, qui savent que tu ne comprends rien, mais qui t’abordent, puis le lendemain te ramène quelques poissons, et puis le surlendemain des œufs ou du fromage. Des petits détails comme ça qui font chaud au cœur. Ce sont ces personnes-là que je défends.

 

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Même si je ne suis pas Français d’origine, dans ma démarche, j’ai choisi de me battre aux côtés des Français. Je voulais représenter la France et porter le patch français, pour essayer de rendre à la France ce qu’elle a fait pour moi ces dernières années. J’ai eu la chance et l’honneur de porter le patch français sur le front.

 

D.C : Comment êtes-vous arrivé là-bas ?

VF : Pour arriver ici, c’est assez simple. Il y a un site où tu soumets ta candidature, puis deux semaines après, on te contacte et tu as un rendez-vous avec un recruteur. On te pose quelques questions sur tes raisons de venir, ton expérience militaire, puis on te dit ok et on t’envoie une lettre d’acceptation qui te permet de traverser la frontière plus facilement.

Pour traverser la frontière à pied, je suis allé à Medyka du coté Pologne, puis je suis passé de l’autre côté vers Shehyni. Une fois que tu y arrives il y a un bureau d’accueil de la légion. A partir de ce moment, tu es pris en charge, logé, nourri et tu vas vers le centre d’entraînement. Ils proposent ensuite à ceux qui ont déjà de l’expérience de sauter cette étape, et d’aller directement dans un bataillon de la légion.

Il y en a quatre, le quatrième est le bataillon d’entraînement. On m’a proposé d’aller dans celui de mon choix et j’ai rejoint une unité du troisième bataillon, en novembre. Je ne sais pas si j’ai choisi la bonne période. Apparemment, la légion a aussi de plus en plus de difficulté à recruter, car c’est de plus en plus connu que les missions sont à très haut risque. Il faut savoir que tout le front est difficile, mais il y a des zones ou c’est beaucoup plus chaud.

On est souvent déployés dans les secteurs où les Russes sont en train de pousser fort. Il y a beaucoup de légionnaires qui meurent. Mais c’est normal : beaucoup d’Ukrainiens meurent aussi. Et un étranger qui meurt à la place d’un ukrainien, c’est mieux pour les stats. On se fait charcuter quand on va là-bas, mais pour les autres, c’est pareil.

 

D.C : Est-ce que des éléments, des situations de cette guerre de haute intensité vous ont surpris, malgré vos expériences de combat précédentes ?

VF : La camaraderie. Il y a des liens qui se créent forcément. Cette notion de frère d’arme, de camaraderie, c’est incroyable ! Ça prend une dimension complètement différente quand tu sais que le mec à côté de toi est prêt à mourir pour te sauver, et que tu es prêt à mourir pour lui aussi. Je ne peux pas en dire plus. Une fois qu’on est sur le front, les questions politiques sont mises de côté, cela devient une question de survie.

 

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Et puis les drones, la puissance d’artillerie. Ce n’est pas ma première guerre, mais c’est la première fois que je participe à une guerre de haute intensité comme c’est le cas ici. Ça a complètement changé la logique de la guerre. Le combat d’infanterie classique devient assez rare. La plupart des dégâts sont causés par des drones, donc par des opérateurs qui sont à plusieurs kilomètres et qui vont te tuer de loin. C’est très dur, mais visiblement la guerre prend cette voie-là : une guerre technologique.

J’espère qu’après cette guerre, on essaiera d’encadrer l’usage des drones. Si tu as la malchance de te faire suivre par un drone FPV (kamikaze), tu l’entends quand il va exploser, donc tu l’entends quand tu n’as déjà plus beaucoup de chances de survie et ça, c’est terrible. Et puis il y a les drones qui lâchent des grenades ou des munitions de RPG, tu les entends pendant longtemps, car ils se posent sur toi et font des calculs avant de lâcher les explosifs. C’est une sensation qui fait très peur, quand tu es entouré de drones et que tu entends toutes les explosions autour de ta position. Et le pire, c’est que tu ne peux rien faire contre ça.

 

D.C : Pouvez-vous nous raconter une de vos missions ?

VF : Oui, la dernière fois que je suis allé au front par exemple. J’ai survécu par miracle. Je me suis retrouvé en lisière, au milieu d’une attaque d’artillerie, il faisait moins 20 degrés, je n’avais pas de manteau, rien sur moi. Ce jour-là, il y avait eu une évacuation et je devais être évacué avec cette voiture. J’ai décidé de donner ma place à un Ukrainien blessé à qui nous avions effectué les premiers secours, et de partir plus tard dans la journée. C’était un monsieur de cinquante ans, il avait un poumon perforé et des éclats de grenade ou de mortier un peu partout.

 

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Je lui ai laissé ma place dans le véhicule et je suis resté encore un jour sur la position. Mais j’avais mis mes affaires dans le véhicule avant qu’il ne parte, mon casque et mon sac à dos avec le peu d’eau qu’il me restait, et ma veste. Quand le véhicule est parti, je me suis retrouvé sur le front sans casque et sans veste d’hiver, sans mon équipe qui avait évacué. Je me suis retrouvé seul sur le point d’extraction et cette nuit-là, il y a eu une grosse attaque d’artillerie qui a duré 4h.

Une attaque d’artillerie, c’est un coup toutes les deux ou trois minutes, puis ça s’arrête et ça reprend. Ils recalibraient pour être plus précis et tiraient. Et ça continuait, ça continuait. Toutes les deux ou trois minutes, un obus tombait à côté de moi. Et les tirs au mortier que tu n’entends pas. Pour l’artillerie, tu entends un sifflement qui vient du ciel. Plus il est long, plus ça va tomber proche de toi. J’entendais les sifflements très longs et à chaque fois, je me disais que c’était la fin. Je n’avais pas vraiment peur : j’avais déjà accepté ma mort et je me disais: « j’ai tourné mon cœur vers Dieu et je demande pardon à maman », parce que je ne lui pas dit que j’étais au front.

Et ça à chaque fois que j’entendais le sifflement, je me disais juste que c’était la fin de ma vie, le dernier chapitre. Je n’aurais pas aimé que ça finisse comme ça. J’avais encore des choses à faire de ma vie. Me marier, avoir des enfants… Mais je me disais ça y est, mon histoire finit comme ça, et c’est honorable, au moins, je serais mort mon arme à la main, pour défendre ma vision du monde. Et ça pendant 4 h, par à-coups. Comme si toutes les trois minutes, je mourrai à chaque fois, en acceptant que c’était la fin pour moi.

 

D.C : Comment êtes-vous rentré vivant finalement ?

VF : Dieu m’a sauvé. Pour me cacher des drones à la fin de l’attaque, j’ai creusé dans le sol, il faisait -20° et je n’avais pas de pelle, rien. J’avais seulement mon fusil et l’espoir que j’allais y échapper. J’ai essayé de gratter, de faire un trou avec mes ongles. La terre était congelée. J’avais du sang sur les mains, mes ongles étaient éclatés, mes doigts saignaient. Puis j’ai aperçu une petite cahute dans un grand arbre qui était tombé là, couché. Et je me suis caché là.

 

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J’ai juste pris les branches tombées autour et j’ai tenté de me faire un petit abri comme ça. Je suis sûr que c’était un miracle, il n’y avait aucun moyen d’en sortir vivant. A chaque fois qu’un obus tombait et s’éclatait, je voyais le flash blanc à quelques mètres, la terre qui retombait sur moi. Je me suis pris beaucoup de blast. Je suis sorti blessé, c’est là que je me suis blessé la jambe et j’ai eu de contusion de la tête et du thorax, j’étais très mal.

A chaque fois que je partais en mission, j’avais surtout l’envie de ne pas mourir parce que ma motivation c’était ça, sortir vivant pour un jour raconter à ma mère la vérité. Pendant cette mission-là par exemple, pendant que je parlais à Dieu, je lui ai promis que si je sortais vivant de là, je ferai tout pour voir ma mère et lui dire la vérité.

 

D.C : Et à quoi pense-t-on au cœur de l’attaque ?

VF : Mon expérience m’est personnelle, en tant que catholique et engagé volontaire. Dans les moments durs, je n’avais pas peur. Tout ce que je me disais, c’était que j’acceptais ma mort et que c’est Dieu qui avait décidé que je ne resterai pas là. Tout ce que je faisais c’était cela, accepter ma mort, prier et combattre. J’espérais seulement que j’irai au paradis. C’est une situation assez particulière, mais je n’avais pas peur, car j’avais accepté sciemment le grand risque que l’on prend quand on vient ici.

 

D.C : Pour vous, de quelle manière est-ce que le combat change une personne ?

VF : La guerre ça te change forcément. Quand tu vois les premiers blessés, les premiers morts, ça te touche de près… C’est ton camarade qui est mort. Celui qui s’est entraîné avec toi pendant des mois. Ça te marque à jamais. Je dirais que ça change ta vision de la vie. Ça m’a sûrement fait apprécier la vie beaucoup plus maintenant qu’avant. Certains aiment les conduites à risque, la bagarre, l’alcool ou la drogue, les choses comme ça. Ce n’est pas mon cas. Mais à vrai dire, après avoir survécu par miracle plusieurs fois, j’ai envie de profiter de tous les moments de la vie.

 

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Je profite de mon chocolat chaud du matin, du petit thé que je bois le soir, des petites choses qui étaient un peu banales avant, mais que j’apprécie beaucoup aujourd’hui. D’un coup, le chocolat a un meilleur goût. D’un coup, tu n’as pas la flemme d’appeler ta maman, tu apprécies bien plus les petits messages que tes amis t’envoient, les petits coucous pour savoir si ça va. Tu goûtes tout ça bien plus qu’avant quand tu sais que tu aurais pu mourir sans dire au revoir aux personnes qui te sont chères. Ça change à vie oui…

 

D.C : Avez-vous pu tisser des liens avec des Ukrainiens rencontrés entre deux missions ?

VF : La grande majorité des Ukrainiens que j’ai rencontrés sur le front avaient plus de 45 ans. J’ai vu des messieurs de cinquante ans qui avaient du mal à se relever, à courir. La mobilisation passe par le service militaire obligatoire, à 25 ans. Dans l’une des nombreuses nuits que j’ai passé dans un bunker avec des Ukrainiens, un d’entre eux m’a raconté qu’il était là pour éviter que son fils n’ait à s’engager dans l’armée. C’est une démarche héroïque parce que ces gens n’étaient pas militaires avant. Cela faisait deux ou trois ans qu’il était à la guerre, avant il travaillait sur des chantiers. Les vieux préfèrent aller faire la guerre pour sauver la vie des jeunes.

Et puis il y a le système de dons aux volontaires : on ne reçoit aucun supplément au bataillon, mais par contre ce dont on peut profiter, c’est ce qu’on reçoit des soutiens que l’on a sur place. Chaque soldat se crée son propre réseau. Par exemple, tu commences à parler avec des Ukrainiens, tu sympathises avec eux, on te met en relation avec une autre personne qui voulait parler avec un français et cette personne-là te fais des dons. Quand j’ai été évacué de la zone de combat, je suis allé à Kiev parce qu’il y avait les funérailles d’un camarade. J’y suis resté trois ou quatre jours. C’est en me promenant simplement dans la ville, qu’on m’a abordé. Je cherchais un salon de tatouage, pour me faire tatouer mon groupe sanguin, vrai truc de milouf ou de mercenaire.

Un gars d’une association m’a mis en contact avec une dame et sa fille, qui parle français. Je leur ai raconté mon histoire et celle de mon binôme qui n’a plus ses jambes. Ça les a touchées, elles m’ont proposé de l’aide très vite. Et samedi dernier, la dame et sa fille sont venues me voir et m’ont demandé ce que je voulais. Je leur ai demandé de quoi faire un apéro, ça me manquait beaucoup, et elles m’ont ramené du pâté Henaff, des petits paquets de chips, des bières. C’était génial ! Et pour mon collègue, elles ont acheté des vêtements et de quoi manger. Elles m’envoient des messages tous les jours pour savoir comment ça va, elles viendront me voir après l’opération pour m’apporter un repas fait maison. C’est très généreux.

 

D.C : En s’engageant, on se crée parfois beaucoup de mythes sur la guerre. Est-ce que vous avez croisé des personnes qui étaient venu par romantisme et qui n’ont pas supporté sa réalité ?

VF : Beaucoup arrivent avec une idée très différente de ce qu’est la guerre. Certains ont l’air physiquement plutôt solide, mais au check-point, quand tu entres dans la zone de combat et que tu commences à entendre des explosions, ça laisse un aperçu de ce qui se passe sur le front et on commence à voir les têtes changer, des gars qui ne sourient plus, qui deviennent plus pâles… Certains ont reconnu après leur première mission qu’ils n’étaient pas faits pour ça. Et c’est bien normal, le front, c’est très effrayant ! C’est normal d’avoir peur. Il y a beaucoup de gens qui acceptent de ne pas être fait pour faire la guerre.

 

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J’ai un très bon camarade dont le véhicule a roulé sur une mine papillon, dès sa première mission. Une mine qui n’explose pas tout à fait le véhicule. Le véhicule a été renversé. Ils sont sortis vivants, avec quelques bleus. Et lui, il est retourné en disant qu’il avait eu trop peur. C’est mieux que de déserter. Déserter, c’est très mal vu, tu es considéré comme un lâche, car tu abandonnes et tu n’assumes pas de ne pas avoir le courage de combattre… Mais il y a aussi y a des gars qui n’ont aucune expérience militaire, qui arrivent à la légion, partent au front assez vite et on se rend compte que ce sont de très bons soldats, très solides mentalement.

La guerre tue les gens au hasard. C’est parfois de notre faute, ça ne pardonne pas quand tu commets une erreur. Même pour les meilleurs soldats, les mieux préparés. Dans l’unité, les deux plus jeunes d’entre nous sont morts assez rapidement. En fait, parmi toute l’unité, c’était les mecs qui méritaient le moins ça, enfin façon de parler… Ça arrive, on est venus pour ça, on a signé pour ça. Mais c’est très difficile, ça te touche plus ou moins selon tes affinités avec la personne.

En l’occurrence avec le camarade qui avait vingt ans, nous étions très proches, on était ensemble depuis le début. Il était solide, c’était un très bon soldat qui effectuait bien les ordres. Mais ce type de choses : les pertes, les camardes blessés et tombés, tout ce qu’on vit ici, les familles qu’on rencontre dans les villages… c’est des choses qui changent notre mentalité. Ça donne envie de rester, de continuer le combat.

 

D.C : Comment voyez-vous votre retour en France, dans la vie civile ?

VF : Je ne sais pas comment mon retour à la vie civile se passera. Par exemple, je pense à tous les problèmes que je rencontrais avant. Maintenant, en ayant failli mourir plusieurs fois, tous ces problèmes-là qui avaient l’air très importants, tout cela parait très futile. Mais je ne sais pas si c’est une bonne chose de relativiser autant. La guerre, ça désensibilise. Justement, je n’ai pas envie de revenir, de retrouver mes amis, de penser que leurs petits soucis, ce n’est rien comparé à la guerre. L’enjeu est un peu autour de ça, je pense. Je ne sais pas quel sera exactement le changement que j’ai vécu. Ça m’inquiète un peu, mais j’ai hâte de reprendre mon métier. J’étais assistant social dans ma vie civile. Je n’ai jamais arrêté d’aider les gens.

C’est juste que ma manière de les aider ait changé un petit peu. Je suis venu aider des Ukrainiens, je suis toujours au service. Si Dieu le veut, je vais retrouver mon métier et je pourrai aider les personnes en difficulté. C’est ce que je trouve beau : la création de lien. Et c’est ce que j’ai retrouvé ici. Quand tu es dans la zone de combat et que tu vis dans des villages où il reste encore quelques civils, un soir, ils viennent te saluer avec curiosité.

 

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Le lendemain, ils t’apportent des œufs, te ramènent un matelas. Cela nous conduit à connaître ce peuple ukrainien qui subit la même chose que nous. Quand un village se fait attaquer, nous sommes équipés, mais les civils sont toujours là, ils n’ont rien pour se défendre et ils attendent en silence. Les lendemains d’attaque, je vais voir s’ils sont toujours en vie, si tout va bien pour eux. C’est ça ma vocation, aider, mais aider de près, sur le terrain.

 

D.C : En regardant en arrière, avez-vous parfois quelques regrets sur votre engagement ici ?

VF : La seule chose que je regrette, c’est d’être allé m’engager à la légion des étrangers plutôt que dans un autre régiment. J’ignorais qu’on recrutait des étrangers partout. Quand je suis arrivé, je le savais. C’est connu, que la légion envoie les étrangers à la mort, façon de dire.

Après mes quelques mois de service, je vois aussi toutes les failles et les défauts liés au jeune âge des cadres qui la plupart n’ont pas d’expérience de combat. Beaucoup d’amateurisme et d’improvisation, à la légion. Ça rend le travail plus difficile. Par exemple, nous avons tout l’équipement anti-drone mais on ne peut pas l’emporter en mission parce que ça coûte trop cher. C’est un sac à dos muni de plusieurs antennes qui bloque les drones qui t’entourent. Mais on ne peut pas toujours s’en servir… Ça signifie que la vie d’un légionnaire vaut moins que son matériel.

Avec mon binôme, on voulait aller ensemble à Azov. Mais on dirait qu’il y a une phrase maudite ici : quand on dit « je fais ma dernière mission et après, j’irai faire ceci ou cela ». C’est ce qu’on s’est dit. On l’a faite cette dernière mission, et il a perdu ses deux jambes et moi, je ne suis pas sûr de pouvoir reprendre le combat bientôt. C’était mon binôme depuis le début, on s’est bourré la gueule hier soir encore. Ça faisait des mois qu’on combattait ensemble, on avait pris beaucoup de risques ensemble.

 

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A part ça non, aucun regret. Ou peut-être si. Ma famille. A part mon frère, ils ne savent pas que je suis là, il n’y a que mon frère qui est au courant. Mon seul regret, c’est peut-être d’avoir caché ça à mes parents, surtout à Maman. Ça aurait été terrible si j’étais mort sur le front, elle aurait reçu un jour un appel et d’un coup, on lui aurait expliqué que son fils était en Ukraine depuis plusieurs mois. Mort au combat. L’apprendre comme ça aurait été sûrement trop brutal pour elle. Maintenant ma mission principale, c’est d’aller voir Maman et après ça, on verra.

 

Propos recueillis par Domitille Casarotto.

 


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