De la « fine de Rhuys » aux cépages actuels, la Bretagne connaît, sur le plan viticole, « une renaissance avec modernité ».

In vino veritas… en Bretagne aussi ! La Bretagne compte aujourd’hui cent hectares d’exploitation viticole, une tendance en pleine expansion ces dernières années. Entre tradition, pratique, formation et revendications, le vignoble breton est tourné vers l’avenir. Entretien avec Guillaume Bauché, trésorier de l’Association des Vignerons Bretons, créée par les premiers viticulteurs professionnels de Bretagne administrative en 2021.

 

Arthur Ballantine : La production de vin dans les « régions non-viticoles » de France métropolitaine (Hauts-de-France, Normandie et Bretagne) a été interdite par la loi dans les années 1930. En 2016, grâce au combat mené par l’Association pour la Reconnaissance des Vins de Bretagne, une directive européenne met fin à cette situation : la France peut désormais accroître ses plantations viticoles à raison de 8 000 hectares par an, cela sur l’ensemble du territoire. Le vin est-il pour autant un produit breton historique ? Assistons-nous au retour d’une tradition ou à un évènement nouveau en Bretagne ?

Guillaume Bauché (AVB) : Je dirais plutôt que nous assistons à une renaissance du vignoble breton avec modernité. Jadis, la Bretagne eut une histoire viticole, et ce depuis le Moyen-Age ! Les premières traces de la vigne remontent à l’an mille à l’abbaye de Saint-Gildas-de-Rhuys. L’existence de la vigne était souvent corrélée à l’existence d’un lieu de culte chrétien pour la production des vins de messe. A l’âge d’or de la vigne, des communes bretonnes comme celle de Sarzeau ont pu recenser jusqu’à 400 hectares servant à élaborer la célèbre « fine de Rhuys » dont la production s’est arrêtée au cours de la première moitié du XX siècle. Aujourd’hui, la surface du vignoble breton avoisine les 100 hectares pour produire principalement des vins blancs de gastronomie. Que ce soit les cépages, les méthodes de production ou encore le produit recherché, tout est différent.

 

A.B. : Il a longtemps été dit que la Bretagne n’était pas une terre favorable à la pratique viticole. Les nouvelles conditions météorologiques observées ces dernières années inversent-elles la donne ?

G.B. : En réalité, aucune instance officielle ne l’a prouvé. L’histoire du vignoble breton nous montre au contraire que ces considérations participent, souvent sans le savoir, au dogme d’une pensée établie au XXème siècle. Les nouvelles conditions météorologiques ne sont pas le signe d’un inversement mais constituent un atout quand on sait que le Sud de la France fait face à des épisodes de sécheresse inquiétants pour le vignoble. En réalité, le Morbihan vit actuellement un phénomène de « méditerranéisation ». Nous bénéficions par exemple autour de Pontivy (Morbihan) des mêmes températures que connaissait l’Anjou il y a quarante ans. La région rennaise traverse, elle, les mêmes conditions météorologiques que connaissant le Bordelais dans les années 1980 ! Le climat breton actuel nous permet de trouver de meilleurs équilibres et d’accéder à un plus grand choix de cépages : si les vignerons bretons utilisent une quarantaine de cépages différents, nous utilisons en majorité le chenin, surtout présent dans la Loire, le pinot noir, connu en Alsace, Champagne et Bourgogne ainsi que le Chardonay. Ces cépages dits « sorciers », nous permettent de produire trois ou quatre types de vin, et, lors des années pluvieuses permettent de produire des effervescents. A ces conditions climatiques s’ajoute une certaine qualité de sol superficiel. Le plateau armoricain, vieux de près de 600 millions d’années, nous donne un sol constitué de granite et de schiste, lesquels forment un patrimoine géologique rare.

 

A.B. : Qui sont les viticulteurs bretons d’aujourd’hui ? A quoi ressemble la formation de ce nouveau territoire viticole ?

G.B. : Notre population de viticulteurs est assez hétéroclite, de tout âge, de toute nationalité, de différents milieux – agricole ou non. Le seul prérequis à l’installation d’une activité viticole en Bretagne est l’obtention d’un diplôme agricole, que ce soit le Brevet Professionnel Responsable d’Entreprise Agricole (BPREA) ou les baccalauréats, licences et master spécialisés. La taille moyenne des exploitations bretonne est de quatre hectares, avec des unités pouvant varier d’un à dix. Notre association regroupe les trois quarts des vignerons bretons, avec 35 membres. Nous comptons, depuis novembre 2021, une installation toutes les deux semaines environ. Le département le plus représenté est le Morbihan, où vivent les deux tiers des vignerons bretons. Tous assez différents, nous avons tous le même objectif : proposer un vin de qualité et engagé. Les vignerons bretons, des quatre départements, recherchent au maximum le respect de la biodiversité sur les parcelles.

 

Autorisée depuis 2016, la pratique viticole professionnelle en Bretagne connaît un développement fulgurant, avec une installation tous les quinze jours depuis novembre 2021.

 

A.B. : La crise agricole qui touche la France en général a des répercussions sur le monde viticole. Le vignoble bordelais, tiraillé entre surproduction et prix tirés vers le bas, opte aujourd’hui pour l’arrachage afin de sauver ses vignerons. Quel est le regard breton sur cette situation ? La plantation de vigne a-t-elle encore un sens aujourd’hui ?

G.B. : Aujourd’hui, la plantation de vigne a un sens si on se donne l’effort de lui donner du sens. Nous autres bretons, nous ne voulons en aucun cas entrer dans une production de masse. C’est pourquoi nous sommes attachés à des valeurs de qualités, d’artisanat, et surtout de durabilité, notamment à travers notre charte, dont la signature est obligatoire. Le vigneron breton doit pratiquer l’agriculture biologique, vendanger manuellement, recycler ses déchets de cave, développer la biodiversité. Tout un programme qui permettra à notre petit vignoble breton de perdurer : seule une agriculture propre peut répondre aux défis d’aujourd’hui.

 

A.B. : Les menaces écologiques, économiques et parfois politiques qui pèsent sur le monde rural et sur notre terroir sont-elles considérées par les vignerons bretons ? La création d’une Indication géographique protégée (IGP) est-elle souhaitable ?

G.B. : L’agriculture n’a jamais eu autant de défis qu’aujourd’hui. Nous ne les prenons pas comme des menaces, mais comme des défis qu’il nous incombe de relever. Une IGP aujourd’hui serait précoce alors que nous savons que seulement deux vignerons ont vendu du vin en 2023. Cependant, elle constituerait, d’ici à un certain temps, la consécration de tout notre travail. Nous ne sommes qu’au début d’une grande aventure : entre 12 et 15 000 bouteilles ont été vendues par deux vignerons en 2023, 40 000 sont attendues en 2024 pour cinq vignerons.

 

L’Association des Vignerons Bretons, créée par les premiers viticulteurs professionnels de Bretagne administrative en 2021.

 


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