Le centre-ville d'Antioche est un champs de ruines. ©Charles de Blondin

Le 25 février 2023, un séisme ravage le sud de la Turquie et le nord-ouest de la Syrie. Bilan officiel : 60 000 morts et plusieurs centaines de milliers de personnes déplacées. La ville d’Antioche, témoin de la grandeur de l’empire romain, a été presque rasée.

 

Des pelleteuses brisent le silence matinal d’Antioche, la plus grande ville à proximité de l’épicentre. L’ambiance y est glaçante. Ce haut-lieu antique, autrefois émaillé d’une richesse multimillénaire est en partie en ruine. Ce ne sont pas seulement des immeubles, mais des quartiers entiers qui ont été sinistrés. D’importants tas de gravats sont déposés çà et là.

 

Antioche, la ville martyr

« Les destructions et les pelleteuses ont fait complètement disparaître certaines rues. Dans de nombreux quartiers, nous ne reconnaissons plus rien, c’est une catastrophe ! » témoigne Kozma Sayek, consul honoraire de France dans la région du Hatay dont dépend la ville d’Antioche (« Antakya » en turc) et Alexandrette (« Iskenderun »). Une partie du vieux souk est détruite et se retrouve à ciel ouvert. Des immeubles sont éventrés laissant voir l’intérieur des appartements vides, des commerces sont rasés et d’autres ne rouvriront jamais faute de moyens suffisants pour assurer les travaux. Sur les hauteurs de la ville et dans les parages l’église Saint-Pierre, des dizaines de tentes financées par la Chine sont encore installées en août dernier, 6 mois après le séisme, pour héberger ceux qui ont tout perdu à Antioche.

 

Les pelleteuses transforment certains quartiers d’Antioche en désert urbain. ©Charles de Blondin

 

Dans les faits, plusieurs millions de personnes ont fui la région à la recherche d’un avenir meilleur. « Je pense que le chiffre officiel de 60 000 morts du gouvernement est sous-estimé. Il est au minimum de 100 000 morts » nous précise Santiago, un chef de projet colombien travaillant pour l’ONG Operation blessing, une organisation qui met en œuvre des programmes humanitaires d’urgence dans le monde entier. Un chiffre très contesté, y compris par la représentation française locale. « Très sincèrement, nous sommes au minimum à 200 000 victimes » pense le consul honoraire de France de la région, Kozma Sayek. « Le gouvernement fait tout pour minimiser et ne compte que les victimes officielles recensées. Il ne prend pas en compte les milliers de disparus dont nous n’avons toujours pas retrouvé la trace » explique le représentant qui a agi à sa manière dans sa ville d’Arzuz dont la population a doublé au sud d’Alexandrette.

 

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Avec son association Fusun Sayek, le consul a agi localement pour aider les familles les plus démunies. « Dans les premières semaines, nous avons mis en place tout un système avec des volontaires permettant de fournir jusqu’à 2 000 repas par jour. J’ai pris tout mon matériel agricole pour aider à la logistique avec des bénévoles à plein temps parfois venant de Colombie. Ils m’ont aidé à organiser toute la logistique. J’ai rempli et vidé 20 fois tous mes entrepôts » développe-t-il. Une aide qui n’a visiblement pas été encouragée par le gouvernement qui a vu d’un mauvais œil le poids pris par certaines associations venant en aide aux plus démunis. Cette région, qui a été rattachée à la Syrie sous mandat français jusqu’en 1938, abrite encore des populations arabophones musulmanes mais aussi chrétiennes. Une politique d’islamisation est d’ailleurs en cours dans ce territoire historique de la Méditerranée orientale. « Il nous a mis la pression pour que nous limitions voire arrêtions notre aide car il souhaite maintenir un système de pauvreté qui entretient un électoralisme. »

 

Les rues ressemblent à des zones de guerre. ©Charles de Blondin

 

Les problématiques continuent pour les propriétaires d’appartement dont l’immeuble, endommagé doit être détruit. Ils sont contraints de quitter leur maison et ont l’interdiction d’y retourner pour récupérer certains effets personnels. Les revenants sont sévèrement sanctionnés. « C’est comme si leur appartement ne leur appartenait plus ! » explique le frère de Kozma Sayek, frère du consul honoraire de France et lui-même vice-consul. « Les entreprises de démolition peuvent y pénétrer et faire ce qu’elles veulent. Certains propriétaires ‘s’arrangent’ ainsi avec ces entreprises pour y accéder une dernière fois. Il y a un vrai système de corruption. Certains viennent en cachette pour récupérer certains objets ». Une double peine.

 

Alexandrette, l’ombre d’elle-même

Sur la digue d’Alexandrette à quelques mètres de la mer Méditerranée, un parc d’attraction semble être à l’abandon. Les manèges sont à l’arrêt, pour certains renversés, comme des témoins d’une époque révolue. Le terrain semble avoir été inondé récemment. Partout, la ville est engloutie dans un silence funèbre. Nombreux sont les bâtiments qui se sont effondrés et d’autres seront bientôt détruits. Mais les destructions d’Alexandrette sont sans commune mesure avec celles d’Antioche.

 

Le parc d’attraction d’Alexandrette dont certains manèges sont retournés, semble à première vue abandonné. ©Charles de Blondin

 

Ici aussi, des pelleteuses brisent le silence matinal du littoral. Elles transportent des blocs de pierre qu’elles déposent dans la mer pour renforcer la digue. « Notre objectif est de reconstruire la digue qui a été détruite par le séisme pour empêcher que la mer n’inonde le centre-ville » nous explique Vasfi, l’ingénieur qui coordonne les travaux de reconstruction. Malheureusement, tout ne se passe pas comme prévu. « Même si nous avons fait du remblayage, nous observons encore de nombreuses infiltrations d’eau qui inondent jusque dans le centre-ville » renchérit-il. Dans ce tumulte, les voitures sont contraintes de passer à contresens pour se rendre à leur destination et cela sur une centaine de mètres A quelques mètres, un restaurant se retrouve complètement entouré par les eaux.

 

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Sans surprise, les touristes ont déserté la région. « Nous n’accueillons plus de touristes depuis février » témoigne le gérant de l’hôtel Aykut. « Durant les quelques semaines qui ont suivi le séisme, nous avons accueilli beaucoup de journalistes et d’humanitaires du monde entier. Depuis plus rien ! ». Malgré les inondations et les destructions, la ville est toujours vivante ; même si tous ses habitants n’ont pas tous été traités de la même manière par mère nature. Les édifices religieux ont souffert. Une mosquée a été complètement détruite, une église catholique dont il ne reste que les murs et une église orthodoxe dont le toit est éventré dans le centre-ville.

 

Malgré la reconstruction de la digue, la mer remonte jusque dans le centre-ville. ©Charles de Blondin

 

Les bureaux du consulat honoraire de France de la ville ont été détruits. Désormais, ils se retrouvent dans une station essence possédée depuis 50 ans par la famille du consul lui-même. Le cimetière français où reposent les soldats français morts au champ d’honneur dans les campagnes d’Orient a également été endommagé. Un projet de travaux est en cours. En face de celui-ci, se trouve un camp de déplacés qui a accueilli une quarantaine de familles au plus fort de la crise. En août 2023, la moitié a réussi à se reloger. « Il en reste une vingtaine dans le camp. Les autres sont parties en Turquie ou ont immigré en Europe » explique notre interlocuteur de l’ONG Operation blessing que nous avons rencontré dans ce camp. Une situation délicate que le gouvernement turc gère de façon très discutable.

 


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