L'euthanasie active n'est légale que dans cinq pays dans le monde : la Colombie, les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg et l’Espagne. ©Rod Long / Unsplash

Présentée au premier abord comme humaniste et restrictive, « l’aide à mourir » (euthanasie) proposée par le président de la République semble en réalité, en lisant entre les lignes, bien plus permissive que prévu. Interrogé par les rédactions de La Croix et de Libération Emmanuel Macron a pu dresser les grandes lignes d’un projet de loi qui se veut à la fois protecteur de la personne et en même temps libéral, permettant de (mé)contenter à la fois l’opinion conservatrice et les promoteurs du geste euthanasique, au risque peut-être, de passer à côté des enjeux que soulèvent ses propos.

 

La première question à se poser avant de proposer l’avènement d’une nouvelle loi est de savoir si celle-ci est utile et nécessaire. Montesquieu affirmait en effet, à raison, que « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires » (De l’esprit des lois). Le projet présenté par le président mérite-t-il en somme que l’on s’y intéresse ? Ajoute-il quelque chose de nouveau au droit français actuel ? La réponse est oui.

Depuis la fin des années 90, le Parlement français a pu voter des lois mais ces dernières ne vont pas aussi loin que le projet de loi proposé. La loi de 1999 garantissait l’accès aux soins palliatifs, celle de 2005 (Leonetti) prohibait l’obstination déraisonnable et encadrait la décision d’arrêt des traitements tandis que la loi de 2016 (Claeys-Leonetti) renforçait la valeur des directives anticipées et introduisait la sédation profonde et continue.

La loi de 2016 consacrait ainsi, avec la sédation profonde et continue jusqu’au décès, la théorie du double effet : la sédation ayant pour effet recherché de soulager les douleurs mais pour effet second de donner (possiblement) la mort. Cette euthanasie indirecte qui ne dit pas son nom souffre toutefois d’un défaut contrebalancé par une « qualité ». Son principal défaut étant, sur le plan intellectuel, de dire que la sédation profonde et continue a vocation à n’être qu’une source de soulagement des patients alors qu’elle est en réalité bien une pratique euthanasique. Sa « qualité » ? Permettre aux personnels de santé de ne pas culpabiliser, leur geste étant un acte humaniste (soulager la douleur) ayant eu un effet second, connu, mais non recherché (amener la mort).

 

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Le projet de loi à venir (2024 ?), lui, semble introduire une « euthanasie active » en droit français et donc potentiellement dépasser le cadre juridique actuel. La loi ne semble donc pas inutile, mais est-elle nécessaire pour autant ? Devrait-on nous passer de cette loi ou au contraire devrions-nous en envisager sa promulgation ? Parlant de sujets humains, et plus exactement de la santé humaine, la nécessité de la loi peut se jauger à l’aune de la liberté de la personne humaine d’agir comme bon lui semble (l’autonomie) mais également à l’intérêt général de protéger les sujets de droit, notamment les plus vulnérables (l’ordre public).

L’argument de la pente glissante, souvent utilisée par les milieux conservateurs, doit être rejeté au nom de l’autonomie des personnes. Cet argument consiste à interdire un changement, notamment légal, en citant les changements successifs qui pourraient en découler. Or, la logique pure et simple nous interdit de nous priver d’un potentiel bien au motif que ce dernier pourrait engendrer des maux à venir si les fondements de ce bien devaient être changés. Le mal étant le changement postérieur des fondements et non ces derniers.

Le projet de loi ainsi présenté ne doit donc, en tout état de cause, pas être discuté au regard des conséquences qu’il pourrait potentiellement avoir dans un avenir incertain mais bien au regard des conséquences concrètes que ce projet induirait à l’instant T au regard de l’ordre public. Et il n’est pas nécessaire d’inventer des textes de loi à venir, plus permissifs, pour constater que ce projet de loi est en l’état actuel des choses assez peu sûr voire clairement nocif.

 

Un intitulé au visage masqué

La première chose à noter est que le président de la République se refuse de nommer les choses, et même, ment de manière flagrante sur l’objectif de cette loi. Ce dernier dit souhaiter l’ouverture d’une « aide à mourir » qui ne serait pas à confondre avec l’euthanasie et le suicide assisté.

Pour ce qui est de l’euthanasie, il la définit comme étant « le fait de mettre fin aux jours de quelqu’un, avec ou même sans son consentement ». Le Sénat a pu dans une note de synthèse donner une définition plus claire et précise de l’euthanasie active comme étant « l’administration délibérée de substances létales dans l’intention de provoquer la mort, à la demande du malade qui désire mourir, ou sans son consentement, sur décision d’un proche ou du corps médical ».

Pour ce qui est du suicide assisté le président le définit comme étant le « choix libre et inconditionnel d’une personne de disposer de sa vie. ». Le Sénat pour sa part, dans cette même note, indique que l’aide au suicide ou suicide assisté existe quand « le patient accomplit lui-même l’acte mortel, guidé par un tiers qui lui a auparavant fourni les renseignements et/ou les moyens nécessaires pour se donner la mort. ».

Qu’en conclure ? Que le président ne sait pas donner des définitions précises ? A priori non, puisque ce dernier cite un article du projet de loi explicitant ce qu’il entend par « aide à mourir ». Cette dernière se caractériserait par « L’administration de la substance létale […] effectuée par la personne elle-même ou, lorsque celle-ci n’est pas en mesure d’y procéder physiquement, à sa demande, soit par une personne volontaire qu’elle désigne lorsque aucune contrainte d’ordre technique n’y fait obstacle, soit par le médecin ou l’infirmier qui l’accompagne ».

Ainsi, « l’administration de la substance létale effectuée par la personne elle-même » revient à parler de suicide. Il est difficile de savoir si ce suicide est pour autant assisté, le texte ne prévoyant pas à ce stade l’aide d’un tiers mais restant un élément d’un texte voué à une médicalisation de la fin de vie. Pour ce qui est de la seconde partie du texte aucun doute n’est possible, le président aborde la question de l’euthanasie active effectuée par un tiers [potentiellement par un professionnel de santé] au moyen de l’administration d’une substance létale, la seule limite exposée étant ici la nécessité que la personne ne soit pas en mesure de s’administrer elle-même la substance létale.

Deux critiques sont à soulever ici. D’une part le président, par peur d’assumer les conséquences de ses propos, rejette le terme d’euthanasie et de suicide assisté. Pour autant, force est de constater que le texte consacre à tout le moins la possibilité d’une euthanasie volontaire. Le terme d’« aide à mourir » est donc trompeur et fallacieux. D’autre part, sur un point un peu plus technique, nous pouvons constater que l’article de loi destiné à être discuté est sécable en deux à partir de la conjonction de coordination « ou » séparant le simple suicide (médicalisé ?) d’une euthanasie volontaire.

Or, il est précisé par la seconde partie du texte que l’administration de la substance létale, en cas d’impossibilité d’y procéder physiquement, est effectuée « à sa demande » [celle du patient]. Compris dans un raisonnement a contrario l’on pourrait penser que l’administration de la substance létale effectuée par la personne elle-même pourrait « ne pas être effectuée à sa demande » (le geste étant fait par la personne elle-même mais la demande pouvant éventuellement émaner de quelqu’un d’autre). Un oubli malheureux au vu des enjeux que le texte suscite.

 

Un régime juridique incertain

Nous pouvons ensuite noter que le raisonnement juridique du président semble avoir peu de sens. Celui-ci affirme que le projet de loi « ne créé […] ni un droit nouveau ni une liberté, mais elle trace un chemin qui n’existait pas jusqu’alors et qui ouvre la possibilité de demander une aide à mourir sous certaines conditions strictes ». Or, une possibilité de demander une « aide à mourir » sans que l’État ne soit obligé de garantir son effectivité revient à consacrer une liberté, qui plus est nouvelle puisqu’elle n’existait pas dans les textes. Pourquoi alors parler de voie nouvelle et rendre la portée de ce texte incertain ? Si ce texte consacrait un droit, l’État serait en effet tenu de le garantir, sous réserve des conditions de sa mise en œuvre, ce qui ne semble pas être le cas dans cet extrait.

 

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Peut-être parce que les fondements du texte ne sont pas si imperméables à l’existence d’un « droit à la mort » qu’il prétend rejeter. Si Emmanuel Macron dit ne pas partager philosophiquement l’existence d’un droit à mourir étant comprise, selon ses termes, comme étant la capacité « d’obtenir assistance pour se suicider quand, l’âge ou la maladie aidant, la vie devient trop lourde », il concède toutefois que cette vision de « l’aide à mourir » semble « plus ample, ambitieuse voire parfois aventureuse ». Si le mot « aventureux » semble démontrer un rejet de principe, le mot « ambitieux » semble inapproprié à la présentation d’un projet de loi qui se veut limitatif. A fortiori lorsque, dans un lapsus révélateur, le président affirme que « cette loi n’interdit pas de disposer de sa vie» et donc autoriserait à « disposer de sa vie », slogan libertaire bien connu n’ayant aucune valeur en droit français.

 

Un intérêt limité pour les droits actuels des patients

Par la suite, le président précise que son ambition est de dépasser le cadre de la loi Claeys-Leonetti car cette dernière « ne permettait pas de traiter des situations humainement très difficiles » et image ses propos en donnant l’exemple de personnes souffrant de cancers en phase terminale. Pour autant, le président fut bien obligé d’admettre que le principal problème avec la loi de 2016 n’est pas son cadre mais bien sa mise en application. Il affirma lui-même que 21 départements ne possédaient pas d’unité de soins palliatifs en France et que ceux existant sont sous dotés, promettant au passage un investissement d’un milliard d’euros sur dix ans. Libération et La Croix concluront en rappelant que « la moitié des patients qui auraient pu avoir droit aux soins palliatifs, en 2022, n’a pu y accéder ». Comment dès lors affirmer que la mort est insupportable pour certains si rien n’est fait de manière concrète pour les soulager ?

 

Un ensemble de critères incompréhensibles et inarticulés

Au-delà des enjeux des diverses définitions et régimes juridiques applicables, nous pouvons nous interroger sur les critères d’ouverture de l’« aide à mourir » proposée par le président. Ces critères sont dits cumulatifs (ou additionnels), si l’un d’eux vient à manquer la personne faisant la demande d’« aide à mourir » ne pourra pas y avoir accès. Le président a établi quatre critères :

Le premier critère est un critère de majorité, ouvrant l’accès à l’« aide à mourir » aux seules personnes majeures. Une décision qui se comprend aisément quand l’on pense à l’impact médiatique qu’aurait le fait de dire que les enfants sont inclus dans cette « aide à mourir ». Un manque de courage politique toutefois, une personne en phase terminale d’un cancer souffrant autant à 17 ans qu’à 18 ans, l’on voit mal pourquoi les mineurs seraient voués à souffrir le martyre pendant que les adultes auraient accès à un moyen de mettre un terme définitif à leurs souffrances. Des conditions de maturité intellectuelle auraient pu être mises en place pour traiter le cas de mineurs, ces derniers atteints par la maladie étant bien plus matures que de nombreux jeunes adultes non soumis à de telles souffrances.

Le deuxième critère est celui de la nécessité du discernement plein et entier. Le président exclut, selon ses propres mots, de l’« aide à mourir » des patients « atteints de maladies psychiatriques ou de maladies neurodégénératives ». Pour autant, il existe des personnes atteintes de maladies neurodégénératives ayant encore, à un stade peu avancé de la maladie, un discernement plein et entier, tout comme il existe des maladies psychiatriques qui n’abolissent pas le discernement de l’individu (troubles du comportement alimentaire, troubles obsessionnels compulsifs, autisme,…). On voit mal pourquoi ces exclusions existent nommément alors que le simple fait de dire que la personne devrait avoir un discernement plein et entier exclut de ce fait ceux qui ne le possèdent pas.

 

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Nous faisons donc face à un critère qui, dans sa jurisprudence présidentielle, présume une incapacité de discernement plein et entier à des personnes qui peuvent potentiellement l’avoir. Reste à savoir, dès lors, si seules les personnes atteintes d’une maladie psychiatrique ou neurodégénérative sont à même de présenter une absence de discernement plein et entier. Que dire des personnes vulnérables physiquement, psychiquement ou matériellement ? Seront-elles considérées comme ayant un discernement plein et entier du seul fait de leur absence de maladie psychiatrique et neurodégénérative ?

Le troisième critère est celui de l’existence d’une « maladie incurable et [d’] un pronostic vital engagé à court ou à moyen terme ». La première question est celui du lien causal, est-ce la maladie incurable qui doit engager le pronostic vital ? En toute logique oui, mais la rédaction à ce stade ne le laisse que supposer, le mot « et » laissant à penser que les deux éléments (à savoir « maladie incurable » et « pronostic vital) pourraient ne pas être liés bien que cumulatifs. Pour ce qui est du court et du moyen terme, ces notions restent largement imprécises, le moyen terme désignant selon les médecins une période pouvant aller de quelques jours à une année.

Le quatrième et dernier critère, enfin, implique l’existence « de souffrances – physiques ou psychologiques, les deux [allant] souvent ensemble – réfractaires, c’est-à-dire que l’on ne peut pas soulager ». Une alternative est ainsi posée entre souffrances physiques et souffrances psychiques, « les deux [allant] souvent ensemble » mais pas forcément ! Le projet semble donc ouvrir la voie à une « aide à mourir » pour motif purement psychologique. Une position qui en plus d’être extrêmement dangereuse (la souffrance psychologique est difficilement être qualifiée de réfractaire, cette dernière pouvant être traitée par une prise en charge adaptée) semble contredire un autre critère qui est celui du discernement. Si la personne souffre psychologiquement « de manière réfractaire », sans possibilité de soulagement, alors il est fort à parier que cette personne souffre en réalité non plus de problèmes psychologiques mais de problèmes psychiatriques qui ne peuvent pas être pris en charge au titre de l’« aide à mourir » comme le précise le deuxième critère.

Un dernier point, le plus important peut-être, aucun critère n’a été posé pour rappeler l’exigence de base qu’est l’existence d’un consentement libre et éclairé. Si le président a pu parler du consentement et de son absence dans l’article de Libération et de La Croix, il ne semble pas en faire un critère permettant de demander une « aide à mourir », alors même qu’il devrait être le critère fondamental de cette prise en charge. « Si cela va sans le dire, cela ira encore mieux en le disant » (Talleyrand).

 

Un assortiment de délais établis au pifomètre

Après avoir établis les critères permettant de demander une « aide à mourir » le président en précise les délais à savoir « un minimum de deux jours d’attente pour tester la solidité de la détermination » suivi d’un avis positif ou négatif du corps médical sous « quinze jours maximum ». Nous pouvons donc penser que la demande du patient à recevoir une « aide à mourir » n’aura souvent bien lieu qu’au bout de dix-sept jours en cas d’avis favorable des professionnels de santé, ces derniers ayant tellement de travail qu’il utiliseront, vraisemblablement, bien souvent le délai complet avant d’exprimer un avis. Dix-sept jours cela peut sembler court, surtout pour une telle décision mais qu’en sera-t-il pour la personne souffrant de souffrances réfractaires et au bord de la mort ? C’est ce type de personne qui devrait avoir accès à l’« aide à mourir » et paradoxalement celui qui y aura le moins accès, dix-sept jours étant un délai bien trop long pour des personnes dont le pronostic vital est engagé à court ou très court terme (quelques heures). Une réflexion sur les maladies et leur stade évolutif afin d’établir des délais précis et personnalisés aurait été préférable à l’établissement de délais au doigt mouillé. Un travail certainement herculéen mais qui aurait le mérite de se soucier réellement de l’intérêt des patients.

 

Un texte unique soumis à la fatalité

Vient le moment de parler de la structure de la proposition de loi qui regroupe en elle-même et en un seul texte des éléments relatifs aux soins d’accompagnement [ou soins palliatifs], au droit des patients et des aidants et à « l’aide à mourir ». Le président explique cette logique unitaire par la volonté de « ne pas laisser penser que l’on fait l’aide à mourir parce que la société n’est pas capable de prendre soin ». Toutefois, l’alignement de ces textes à la suite laisse penser à l’existence d’une fatalité de la vie actée légalement, la personne en souffrance étant vouée à suivre un chemin linéaire allant des soins palliatifs [partie 1 du projet de loi] à « l’aide à mourir » [partie 3 du même projet]. L’ordonnancement des textes peut laisser à penser que « l’aide à mourir » n’est pas une alternative mais un but en soi vers lequel le mourant se dirige inéluctablement.

 

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Pour pallier cet effet tragique, et si le président souhaite réellement « faire connaître » [mieux] et […] « mettre en œuvre » les lois Leonetti en leur donnant la place clef qu’elles méritent, l’inscription dans la loi d’un article introductif tel que celui-ci pourrait être une bonne solution :

« [L’« aide à mourir »] est une option subsidiaire et personnelle qui ne pourra être mise en œuvre que sur la demande du patient ayant été pris en charge au préalable et de manière effective par une unité de soins palliatifs dotée de la compétence et des moyens nécessaire à son soulagement ».

Cette simple phrase qui pourrait avoir valeur de loi permettrait d’éliminer toute tendance mortifère au projet de loi en obligeant l’État à mettre en œuvre, réellement, une politique de soins palliatifs digne, que la France attend depuis un quart de siècle. Le principe étant la vie, l’exception étant la mort, il ne paraît pas aberrant d’interdire toute possibilité à des tiers [comme des médecins] de donner la mort tant que tout n’a pas été fait pour soigner leurs patients / proches (exception faite du droit au refus de soins de la part de ces derniers). Et tout n’aura pas été fait tant que les soignants ne disposeront pas des moyens leur permettant de guérir et de soulager.

 

Le tout pour « Un humanisme de façade ? »

Terminons enfin par soulever quelques points assez déroutants dans l’interview du président de la République. Ce dernier, à son habitude, semble naviguer à vue, perdant, peut-être, au fil de ses propos l’objectif de sa propre loi. S’il a pu marteler au début de l’interview que l’« aide à mourir » sera encadrée de manière stricte, l’on peut voir au fil de ses propos des inflexions inquiétantes, l’exception laissant place à la règle, la liberté encadrée laissant place au droit d’exiger. Rappelons-nous que cette loi n’interdit pas, selon Emmanuel Macron, « de disposer de sa vie » et que l’euthanasie des personnes âgées et non malades est une vision « ambitieuse » même s’il ne la partage pas « philosophiquement » (pour l’heure ?).

Une loi qui permet selon le président « de choisir le moindre mal quand la mort est déjà là », ce dernier semblant oublier que la mort est instantanée et qu’avant la mort il n’y a pas de mort mais seulement une personne vivante, digne d’intérêt et en souffrance. Un texte de loi qui « place la dignité humaine au cœur de son projet » alors même que le président a pu affirmer quelques lignes plus haut que la dignité possède « mille interprétations sur ce que cela peut recouvrir ». Un texte en somme flou, volontairement flou qui cherche à dissimuler ce qu’il énonce.

Les obscurités de la parole présidentielle passent ainsi et surtout par les mots qu’il emploi. La volonté du président de faire passer l’euthanasie pour un acte de soin met mal à l’aise. Parler de « prescription » de « l’aide à mourir » comme parler de la prescription d’un remède interroge. Parler de « loi de fraternité » en la liant à l’autonomie de l’individu et à la solidarité de la nation laisse le lecteur initié dans l’embarras. Si la fraternité suppose l’existence d’un « lien de solidarité » (Larousse), celle-ci ne peut pas se trouver dans l’autonomie de l’individu qui est à proprement parler personnelle et donc sans lien (autonomie venant d’auto/nomos, étant la capacité à déterminer et suivre sa propre loi). La fraternité évoquée par le président ne peut donc que découler de « la solidarité de la nation » et qu’est-ce que la solidarité de la nation si ce n’est la solidarité nationale, donc la sécurité sociale ? Ce que le président confirmera en affirmant que « l’aide à mourir » sera prise en charge par l’assurance maladie « du diagnostic à la mort » donnant un arrière-goût comptable à cette prétendue fraternité.

En somme l’ébauche de ce projet de loi, présentée par le président de la République ce 11 mars 2024, inquiète plus qu’elle ne convainc. Transparaît entre ces lignes la volonté de contenter tout le monde et donc au final de ne contenter personne. Les professionnels de santé sont déjà vent debout pour affirmer la prééminence des soins palliatifs et la volonté de ne pas pratiquer l’euthanasie au nom du principe hippocratique du primum non nocere (d’abord ne pas nuire). Professionnels de santé oubliés par ailleurs dans leur capacité à consentir, la présentation du président ne précisant nullement l’existence d’un quelconque droit de refus de leur part (aucune clause de conscience n’est en effet abordée dans l’interview présidentielle alors qu’elle reste un pilier du droit médical français).

Les associatifs, eux, s’insurgent contre un texte ne leur garantissant pas un droit absolu à mourir. Et entre les deux, une proposition de loi qui esquisse « l’aide à mourir » comme eldorado de la fin de vie au détriment des soins d’accompagnement qui, soyons-en certain, ne seront abondés que des miettes d’argent public restant encore aux caisses de l’État. Un projet de loi qui, au bout du compte, résume la dignité de l’homme à sa capacité à mourir vite, miroir d’une vision élitiste pour qui il existe encore « des gens qui ne sont rien ».

 


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