Le président de l'Azerbaïdjan Ilham Aliyev et le président de la Turquie Recep Tayyip Erdogan lors d'une rencontre dans le cadre de l'OTAN en 2014.

ENTRETIEN. La guerre éclair de six semaines menée par l’Azerbaïdjan entre septembre et novembre 2020 au Haut-Karabagh a fait plusieurs milliers de victimes. Retour sur le bilan de ce conflit avec le représentant français du Haut-Karabagh, Hovhannès Guévorkian, fervent défenseur de la reconnaissance de cet état dans la région.

 

Charles de Blondin : Suite à la guerre au Haut-Karabagh, quel bilan tirez-vous de ces sept semaines de conflit ?

Hovhannès Guévorkian : Le bilan est assez sombre naturellement. L’objectif annoncé de l’Azerbaïdjan était de détruire la république d’Artsakh. Celle-ci est un élément central de la sécurité des Arméniens vivant dans cette région. En effet, l’État que nous avons construit nous a permis d’assurer notre sécurité et de continuer à exister au Haut-Karabagh. C’est précisément pour cette raison que la dictature azerbaïdjanaise a visé toutes les composantes de cet État : sa population, en la terrorisant pour l’obliger à quitter son territoire – un territoire qu’elle est parvenue à morceler et à amputer – ; les institutions et les infrastructures pour mettre fin à l’existence des Arméniens dans cette région.

 

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Aujourd’hui la ville de Chouchi, la région de Hadrout et de nombreuses communes d’autres régions de l’Artsakh se trouvent sous occupation armée de l’Azerbaïdjan. Par ailleurs, l’Artsakh est en situation d’enclave intégrale et son lien terrestre avec l’Arménie est fragilisé. Les communes artsakhiotes ont subi beaucoup de destructions. Or, la précarité des logements et des infrastructures due à l’agression azerbaidjanaise ne favorise pas le retour des réfugiés qui ont fui leur commune dans la précipitation. Pour information, les trois quarts de la population artsakhiote ont été contraints de prendre le chemin de l’exode vers l’Arménie. Pour résumer, l’Artsakh est fragilisé aujourd’hui, politiquement, économiquement et sur un plan territorial et sécuritaire.

 

CDB : Un conflit de cette ampleur était-il prévisible avec l’Azerbaïdjan et ses alliés ?

H.G : Le conflit était prévisible. L’Azerbaïdjan n’a jamais fait mystère de son intention de supprimer l’État d’Artsakh, et ce depuis son accession à l’indépendance en 1991 et malgré le cessez-le-feu instauré en 1994. D’ailleurs, bien que le conflit ait semblé gelé pendant des années, les épisodes d’affrontements armés n’ont pas manqué. L’Azerbaïdjan s’est surarmé pendant de nombreuses années, son objectif étant déclaré d’avance. Simplement, cette fois-ci le contexte géopolitique était sans doute très favorable au déclenchement d’une guerre massive avec la diversion que constituaient les troubles liés au processus électoral américain et la crise sanitaire de la Covid. Le pouvoir azerbaïdjanais n’a pas hésité à se saisir de l’opportunité pour parvenir à ses fins. La Turquie y a joué un rôle décisif.

 

CDB : Pensez-vous que la communauté internationale et en particulier la France a été à la hauteur des enjeux lors de ce conflit ?

H.G : D’habitude, une guerre sonne l’échec de la diplomatie. Il est difficile de ne pas en convenir. Avec cet acte d’agression, l’Azerbaïdjan a ignoré les efforts de médiation que menait la communauté internationale dans le cadre du Groupe de Minsk de l’OSCE coprésidé comme vous le savez par la France, les États-Unis et la Russie.

 

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Un des objectifs du Groupe de Minsk était précisément d’éviter la guerre et de parvenir à une solution négociée et pacifique du conflit. De ce point de vue, la communauté internationale a été écartée indéniablement. Dans les limites qui sont les siennes, la France, par la voix du Président Macron, a cependant clairement établi et dénoncé les responsabilités. Aucun autre État n’est allé aussi loin.

 

CDB : La République d’Artsakh n’est actuellement pas reconnue par la communauté internationale. Cependant, le 25 novembre 2020, le Sénat français a voté pour une proposition de résolution appelant à la reconnaissance de la république du Haut-Karabagh. Pourquoi souhaitez-vous que ce territoire soit reconnu ? 

H.G : La reconnaissance internationale de la République d’Artsakh a toujours été considérée comme le moyen le plus efficace de mettre la population arménienne d’Artsakh sous la protection juridique de la communauté internationale et d’empêcher l’Azerbaïdjan de commettre l’irréparable. Autrement dit, nous avons toujours vu cette reconnaissance comme une garantie de sécurité. Et les récents événements nous ont donné raison dans le sens où l’absence de cette reconnaissance a encouragé l’Azerbaïdjan à se considérer en droit d’agresser l’Artsakh. Hélas, il a fallu que l’agression de l’Azerbaïdjan et de la Turquie se matérialise, que les djihadistes mercenaires soient déployés durant cette guerre pour que des acteurs politiques internationaux prennent conscience de cette évidence.

 

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Dans ce contexte, je tiens à saluer chaleureusement l’adoption par le Sénat et l’Assemblée nationale français des résolutions sur la nécessité de reconnaitre la République d’Artsakh, comme les nombreux appels, motions, vœux et déclarations adoptés par les collectivités territoriales françaises. Ce sont des initiatives très constructives qui, de manière lucide, appellent à protéger les vies désormais menacées des Arméniens de l’Artsakh.

 

CDB : Quelle place tient l’Arménie dans votre processus de reconnaissance ?

H.G : L’Arménie s’est déclarée garante de la sécurité de l’Artsakh. Aujourd’hui affaiblie, elle est amenée à partager ce statut avec les forces russes de maintien de la paix. Au risque de me répéter, je dois rappeler que la reconnaissance de la République d’Artsakh demeure pour nous une garantie importante de sécurité qui mettrait l’Artsakh à l’abri de toute tentation de décider de son sort par la force.

 

CDB : À terme, une paix est-elle réellement possible dans la région ? Si oui, comment y parvenir ?

H.G : Oui, elle l’est. Pour y parvenir il est indispensable de tenir compte des droits des Arméniens d’Artsakh, dont le droit à la vie. Pendant plus d’un siècle, la Turquie et l’Azerbaïdjan (ces deux États se considèrent comme une seule nation) ont mis en place une politique d’extermination des Arméniens. Génocide, massacres de masse, nettoyages ethniques et autres pogroms jalonnent l’histoire des Arméniens depuis la fin du XIXème siècle. Les temps changent, les acteurs et leurs objectifs sont les mêmes : prendre possession des territoires sans les Arméniens. C’est probablement la manière turco-azérie de régler la question et d’instaurer la paix dans la région. Une alternative existe : admettre le droit à l’existence et à la souveraineté nationale, qu’il s’agisse de l’Arménie ou de l’Artsakh. Parvenir à une paix durable ou définitive ne se peut sans l’acceptation de ces droits. C’est ma profonde conviction.

Propos recueillis par Charles de Blondin

 

Le représentant du Haut-Karabagh en France, Hovhannès Guévorkian

 


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