Haut-Karabagh : «L’impérialisme ottoman d’Erdogan cherche à s’imposer dans la région»
Alors que plusieurs cessez-le-feu ont été décidés entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan sous l’égide de Moscou, la guerre entre les deux belligérants autour du Haut-Karabagh a repris de plus belle. Entretien avec Jean-Eudes Gannat, cofondateur de l’association Solidarité Arménie.
Quelle est l’objectif de l’association Solidarité Arménie ?
L’association Solidarité Arménie est née le 20 octobre 2018 à Angers, de la volonté de jeunes chrétiens français d’améliorer le sort de leurs frères d’Orient. Jean-Armand Komchouyan, d’origine arménienne, et moi-même avons fait le choix de fonder l’association avec l’objectif d’apporter une aide physique et matérielle aux familles précaires d’Arménie, notamment celles se trouvant dans les zones rurales les plus défavorisées du pays.
Pourquoi avoir visé l’Arménie en particulier ?
D’abord parce que l’Arménie était jusqu’à il y a peu un pays assez ignoré des chrétiens français. Ensuite parce que les chrétiens arméniens résistent victorieusement dans une zone géographique où l’islam conquérant les a souvent réduits à l’état de dhimmis.
Avant la situation de guerre actuelle, l’Arménie et sa population étaient-elles déjà confrontées à des difficultés majeures ?
Avant la guerre, l’Arménie était déjà confrontée à une grande pauvreté héritée de la période soviétique, de la grande guerre d’indépendance et d’une corruption endémique. Ces problèmes majeurs ont engendré un chômage de masse et une émigration massive.
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Depuis plusieurs semaines, le conflit du Haut-Karabagh s’est rallumé, alors qu’il était gelé depuis 1994. Pourquoi pensez-vous que l’Azerbaïdjan a bougé « seulement » en septembre 2020 ?
En réalité le conflit n’a jamais réellement gelé. Chaque mois ou presque, des tirs meurtriers sont échangés à la frontière, et des flambées de violences ont régulièrement lieu, comme en 2016 où des dizaines de personnes avaient trouvé la mort. L’Azerbaïdjan semble avoir mené une attaque bien préparée ces derniers jours ; pourquoi ? Nous l’ignorons. Sans doute que poussés par la Turquie, les Azéris espèrent conquérir peu-à-peu le Haut-Karabagh…
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Historiquement et culturellement arménien, le Haut-Karabagh appartient à l’Azerbaïdjan au regard du droit international. N’est-il pas logique que cet État souhaite « pacifier » un territoire lui appartenant légalement ?
Il est tout à fait logique que l’impérialisme ottoman d’Erdogan cherche à s’imposer ; c’est le sens de sa politique depuis toujours, et cela semble dans les gènes turcs. Il est logique également que soient utilisés des arguments juridiques fallacieux. Mais il est plus logique encore que le peuple arménien se défende car c’est pour lui une question de survie dans un environnement hostile dominé par les turcs qui ont montré par le passé leur volonté d’éradiquer physiquement l’Arménie.
Que pensez-vous des informations indiquant la présence de jihadistes et mercenaires syriens du coté Azéri ?
Nous ne sommes guère surpris ; l’époque veut que tout conflit soit instrumentalisé par les islamistes, et Erdogan a montré en Syrie à quel point il savait utiliser cyniquement les djihadistes du monde entier pour abattre ses ennemis.
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La presse française semble vouloir occulter la problématique ethnico-religieuse de la guerre, pour n’en faire qu’un conflit « avant tout territorial » (Pierre Plottu dans Libération), votre avis ?
Le réel effraye souvent Pierre Plottu et les commentateurs en général. Ne croyant pas en Dieu, ni à l’existence d’ethnies différentes, il voudrait qu’il en soit ainsi pour tout le monde. Hélas, partout dans le monde – et la France ne déroge pas à la règle –, il est impossible d’analyser des tensions ou des conflits sans ces facteurs essentiels ; du génocide rwandais en passant par la guerre en Syrie ou la situation au Liban, tout est question d’ethnies et de religions adossées à des problèmes économiques et d’orgueil national. Pour les arméniens c’est clair ; on s’en prend à eux en tant que nation chrétienne, au nom des visées néo-ottomanes du président Turc.
Au-delà des amitiés entre Azéris et Turques, si l’Arménie venait à perdre, le projet panturquiste pourrait-il devenir une réalité ?
Évidemment. Erdogan est l’un des chefs d’État les plus habiles sur la scène internationale et jusqu’ici personne n’a vraiment su le rappeler à l’ordre malgré ses nombreux excès. Dans ces conditions, il continue d’avancer ses pions et ira jusqu’au bout de son projet panturquiste si personne ne lui barre la route. Mais il est probable qu’en s’attaquant à l’Arménie il trouve face à lui un peuple plus déterminé et combattif qu’il ne l’imaginait.
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La Russie a joué le rôle d’arbitre en 1994, alors qu’elle vend des armes aux Azéris, mais compte au sein de sa fédération presque deux millions d’Arméniens. Quelle serait sa diplomatie pour la région ? Autre que les actuels « appels au calme »…
Nul ne connaît les véritables buts de la Russie, mais elle semble tout de même attacher de l’importance à la survie et à l’indépendance de l’Arménie. Gros partenaire commercial de la Turquie, elle est tout à fait en mesure d’exercer une pression importante pour faire avancer la paix.
Le mot de la fin ?
Depuis maintenant 2 ans nous agissons en Arménie : travaux dans des écoles, dons de vêtement, cours de français, aide à des familles en difficulté, camp d’été pour jeunes victimes de la guerre etc. Actuellement nous avons 2 volontaires arméniens et un volontaire français en Arménie pour aider et tenter d’apaiser les souffrances de la population. Tout cela a un coût. Nous avons besoin de l’aide de chacun d’entre vous. Faites connaître Solidarité Arménie et soutenez-nous financièrement : https://www.solidarite-armenie.fr/
Propos recueillis par Jean-Baptiste Ramat