Centrale nucléaire de Civaux (Vienne). ©Daniel Jolivet

En mars, le Canard enchaîné révélait des pressions américaines sur le fleuron nucléaire français, Framatome. Les États-Unis n’aurait pas apprécié la récente alliance entre la société française et son homologue russe, Rosatom. Une coopération qui permet au leader tricolore de fournir en combustible des centrales nucléaires des pays de l’Est, majoritairement de conception soviétique (VVER). En conséquence, Washington a décidé de se séparer de l’uranium faiblement enrichi russe.

 

Le 13 mai, le président Biden a signé le Prohibiting Russian Uranium Imports Act. A partir d’août 2024, les États-Unis ne se fourniront plus en uranium faiblement enrichi non irradié en provenance de Russie. Selon l’Energy Information Administration (EAI), 24% de cette ressource, utilisée jusqu’à présent aux États-Unis provient de Russie.

Peu surprenante, cette annonce est à mettre en lumière avec un article du Canard enchaîné (N°5394) indiquant une offensive américaine contre une alliance franco-russe dans le nucléaire civil. Cette coopération de long terme entre les groupes nucléaires français Framatome et russe Rosatom a été signé à l’occasion du salon World Nuclear Exhibition en décembre 2021 à Paris. Il s’agissait d’un « accord stratégique de coopération à long terme visant à consolider les efforts des deux entreprises pour développer des technologies de fabrication de combustible et de systèmes de contrôle-commande » des réacteurs nucléaires, avait expliqué Framatome dans un communiqué.

 

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L’article révélait une note de l’ambassade de France à Washington adressée au Quai d’Orsay, mi-février, dans laquelle l’instance indique avoir été soumise à un questionnaire du Sénat américain à propos des relations entre Framatome et Rosatom. Celui-ci survient après une proposition de loi à la Chambre des représentants du parti républicain, visant à « affranchir les pays occidentaux de tout lien avec la Russie dans le nucléaire civil ». Katherine Earle, du Parti Républicain, aurait « posé des questions sur une éventuelle dépendance de l’industrie nucléaire française à l’égard de l’industrie russe, en particulier sur le volet cycle du combustible ».

 

Ni monopole russe, ni monopole américain

Dans le cadre de cet accord, les deux entreprises ont fondé la co-entreprise« European Hexagonal Fuel », afin de construire une usine sous licence russe destinée à fabriquer du combustible nucléaire en Allemagne. Ce projet avait nourri la polémique dans ce pays qui a définitivement arrêté sa dernière centrale nucléaire productrice d’électricité l’année dernière. L’usine est basée à Ligen, en Basse-Saxe, et fabrique des crayons du combustible pour 19 autres réacteurs de type VVER, c’est-à-dire de conception russe, répartis dans les pays de l’Est : Slovaquie, Bulgarie, République tchèque, Finlande et Hongrie.

Sur fonds de guerre russo-ukrainienne et de rivalité historique, les Américains n’ont pas uniquement l’objectif de contre-carrer la dépendance russe au combustible, mais même de s’y substituer. Depuis 2023, le groupe nucléaire américain rival Westinghouse parvient ainsi à produire un combustible capable d’alimenter les réacteurs VVER qu’il fournit déjà à l’Ukraine, et partiellement à la République tchèque et la Bulgarie. Westinghouse est présente en Europe grâce à des accords avec le constructeur espagnol Enusa (usine de Juzbado) et avec la Suède (usine de Västerås).

 

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La collaboration entre ces deux entités a également permis à Westinghouse d’obtenir 2 millions d’euros en 2015 de la part d’Euratom (organisme public européen séparé de l’UE chargé de la coordination des programmes de recherche dans le nucléaire civil), pour piloter le projet HORIZON 2020 d’approvisionnement européen en combustible nucléaire sûr (ESSANUF). La solution européenne semble donc avoir été choisie, au détriment du français Framatome, et serait en partie pilotée par un acteur étranger à l’UE.

La co-entreprise avec Rosatom est donc un moyen pour les Français de concurrencer rapidement ce marché de fabrication et de fourniture. La licence russe a déjà obtenu les multiples autorisations d’utilisation dans les pays d’Europe de l’Est avant la guerre. pays. Framatome n’a plus besoin que d’exploiter cette licence en fabricant le combustible alors que Westinghouse est encore sous instruction de demandes d’autorisations pour certains pays. Rosatom n’est gagnante que par l’obtention de quelques millions d’euros sur quelques années via les redevances d’exploitation. Pour la Russie, il s’agit de freiner l’influence économique et technologique de l’aigle outre-Atlantique.

Pour pallier cette solution à court terme, Framatome se lance de son côté dans le développement d’une solution indépendante basée sur un nouveau design afin de proposer une troisième voie d’approvisionnement, d’origine française. Cependant, le combustible produit devra passer un processus d’autorisation conséquent qui ne devrait pas permettre à l’entreprise de livrer ses clients avant 2030.

 

Une intimidation récurrente

Parmi les risques encourus, Framatome peut voir sa filiale Framatome Inc intimidée aux États-Unis. Celle-ci a déjà été victime d’un piratage en avril dernier. Il est aussi possible de priver le groupe EDF de personnel américain. Pour rappel, EDF avait dû engager des soudeurs américains, faute d’avoir du personnel en France, celui-ci n’ayant pas été renouvelé, pour réparer ses centrales dont une part non-négligeable avait subi une corrosion sous contrainte rendant impropre la production d’électricité en 2022.

 

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Ces avertissements sont d’autant plus crédibles que ce ne serait pas la première fois que l’Oncle Sam sanctionne une entreprise française pour contournement de sanctions américaines. Il semble tout aussi important de rappeler l’intimidation subie par Alstom pour la vente des turbines Arabelle qui sont utilisées par de nombreuses centrales nucléaires dans le monde, dont Rosatom. Ce harcèlement étasunien est allé jusqu’à l’emprisonnement de Frédéric Pierucci, sous couvert d’examen pour corruption grâce à l’extra-territorialité du Foreign Corrupt Practices Act. Un scandale auquel l’ancien ministre de l’Économie, Emmanuel Macron, aujourd’hui Président de la République, était empêtré. A ce sujet, les turbines Arabelle (vendues aux américains 600 millions d’euros en 2015) sont récemment repassé sous pavillon français pour un montant de 1,1 milliard. Une fierté de racheter deux fois plus cher une activité que la France a vendu et que les Américains ont volontairement fait péricliter en Europe en prenant les technologies durant 8 ans.

Ces multiples pressions s’inscrivent dans un contexte où la France s’est déjà vue damée le pion plusieurs fois ces deux dernières décennies par les États-Unis sur des contrats très lucratifs. En 2015, 2022 ou 2023, la banque BNP Paribas a écopé d’une amende de 8,9 milliards de dollars pour avoir traité avec Cuba, l’Iran et le Soudan. En 2021, l’alliance AUKUS (australiens, britanniques et américains) avait torpillé un contrat de sous-marins australiens conclu avec les Français à hauteur de 56 milliards de dollars. Encore aujourd’hui, les États-Unis déversent leurs avions de combat F-35 au détriment du Rafale français dans le marché européen.

 


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