Charles Michon : un chef pour les Cadets de Saumur
Publié le 28/08/2025

Officier de cavalerie blessé en 1915, le colonel Charles Michon est à l’initiative de la résistance des Cadets de Saumur sur les bords de la Loire en juin 1940.
Le colonel Charles Michon est un militaire français commandant les Cadets de Saumur qui, en juin 1940, ont résisté à l’armée allemande avec leurs armes d’instruction.
Le 20 juin 1940, une section de la Wehrmacht rend les honneurs militaires aux élèves aspirants de réserve de l’École de cavalerie de Saumur, après deux jours de combat pour la défense de la Loire : ils entreront dans l’Histoire sous le nom de « Cadets de Saumur ». Vétéran du Maroc, blessé de la Grande Guerre, leur chef, le colonel Charles Michon, qui est à l’origine de cet acte de résistance, reste pourtant méconnu.
« Ils s’instruisent pour vaincre »
François, Marie, Charles Michon naît le 17 juillet 1882 à Joigny, sur les bords de l’Yonne, d’un père lieutenant de dragons. Son ancêtre direct, Pierre Bénigne Michon fut fait chevalier d’Empire et mourut lors d’une campagne napoléonienne. Étudiant dans un collège jésuite de Dole, Charles Michon est tiré au sort pour le service militaire en 1902, à vingt ans. Catholique fervent, attiré par l’expansion coloniale de la France en Afrique et conquis par cette première expérience au sein des Armées, il présente le concours de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr l’année suivante. Il intègre la promotion « La Tour d’Auvergne », décimée entre 1914 et 1918, plus d’un tiers des élèves ayant été déclaré « morts pour la France ».
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Affecté au 14ème régiment de chasseurs à cheval de Dole, le jeune sous-lieutenant est d’abord formé à Saumur, au sein de l’École de cavalerie. Noté « très bien » malgré un apprentissage laborieux de l’équitation militaire, il est déjà remarqué pour ses qualités d’officier et son aptitude au commandement. En 1906, après avoir choisi le 2ème régiment de chasseurs d’Afrique, unité qui répond au cri d’« En avant, tout est vôtre ! » depuis les combats face à Abd el Kader, il découvre l’Oranais et la frontière marocaine. Atteint d’une fièvre typhoïde, il devance la fin de sa convalescence pour vivre son baptême du feu lors de l’affrontement de Port-Say, où deux mille marocains assaillent les troupes françaises.
« C’est dans cet endroit délicieux que j’ai eu la vision nette de ce que peut être l’Enfer » [1]
Marié en 1912 et père d’un premier fils l’année suivante, Charles Michon apprend l’attentat de Sarajevo à Beaune, où il sert au sein du 16ème régiment de chasseurs. Dès août 1914, il prend part à la bataille de la trouée de Charmes et assure la liaison téléphonique de sa division sous feu nourri durant trois jours. Cité à l’ordre de la division à la suite des combats d’Apremont et du bois d’Ailly, il est promu capitaine en février 1915. Volontaire pour « l’arme du martyre » déjà décimée, il est affecté au 106ème régiment d’infanterie en tant que commandant de compagnie, comme l’est alors Maurice Genevoix. Il rejoint son affectation cinq jours avant l’attaque des Éparges.
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Le 26 avril 1915, à proximité de l’endroit où tombait, un an auparavant, l’écrivain Alain-Fournier, Charles Michon reçoit une balle qui lui transperce trois côtes. Enseveli durant deux jours sous les cadavres, il est porté disparu. Retrouvé par des soldats allemands, il est soigné à Stuttgart, avant d’être transféré, comme prisonnier de guerre, en Suisse, où le rejoint sa femme. Chevalier de la Légion d’honneur en 1917, Charles Michon souffrira toute sa vie du fait de cette blessure, qui l’invalidera à 30%.
Nommé attaché militaire auprès du consulat français de Lausanne dès la fin de la guerre, le jeune capitaine est muté en Turquie, où les tendances nationalistes exacerbent les tensions avec la Grèce et occasionnent les massacres des chrétiens grecs et arméniens. Cette parenthèse diplomatique close, il reprend ses fonctions militaires dans plusieurs régiments de cavalerie, où il assure la formation des escadrons et se consacre à ses six enfants, nés au gré de ses différentes affectations. En 1935, il est affecté à l’École d’application de la cavalerie et du train à Saumur, dont il prendra le commandement en second cinq ans plus tard : commence alors un nouveau chapitre de sa vie, insoupçonné.
A la tête des Cadets de Saumur
Mai 1940. Alors le commandement des armées françaises, sous l’impulsion du général Weygand, tente d’enrayer l’irrésistible percée des troupes allemandes, échoie à l’École de cavalerie de Saumur la défense de quatre ponts à proximité de la ville. Minés, ces ponts offrent à des millions de réfugiés une porte de sortie vers le sud de la France. Le 14 juin, dans la cour de l’École, le colonel Michon convoque ses 768 élèves et clame : « On nous demande de combattre sur place pour sauver l’honneur de l’armée. Si vous êtes d’accord, vous le dites ! ».
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Devant l’assentiment général, il organise, en lien avec le Ministère, la défense de son secteur, au mépris du discours du maréchal Pétain et des réticences des édiles locales, qui déclarent Saumur « ville ouverte ». Après le départ de ses chevaux vers Montauban, l’École accueille plusieurs unités dispersées, portant à 1890 hommes les effectifs combattants.
Malgré les difficultés annoncées de la mission, la bataille de Saumur s’engage le 19 juin, dans la nuit. Sacrifiant tout repos à la coordination des combats et aux destructions successives des ponts, le colonel Michon apprend, par épisodes successifs, les actes héroïques des Cadets de Saumur, ainsi baptisés par un officier allemand persuadé, à l’issue des combats de la ferme d’Aunis, d’avoir combattu un régiment entier. Après trois jours d’acharnement allemand et de faits d’armes français, le commandant de l’École décide, avec hauteur de vue, d’ordonner le repli général.
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A la tête d’une colonne surarmée, il se rend à Montauban, tandis que ses élèves sont déclarés libres par le commandement de la 1. Kavallerie Division, admiratif de l’impétuosité des jeunes élèves-officiers de réserve. Cité à l’ordre de l’armée le 24 août 1940 par le général Weygand, le colonel Michon entre dans l’Histoire : « Reflétant l’âme de son chef, l’École Militaire et d’Application de la Cavalerie et du Train a combattu les 19, 20 et 21 juin 1940, jusqu’à l’extrême limite de ses moyens de combat, éprouvant de lourdes pertes, prodiguant les actes d’héroïsme et inscrivant dans les fastes de la cavalerie une page digne entre toutes de son glorieux passé, a suscité, par sa bravoure l’hommage de son adversaire ».
Sur 560 élèves-officiers, 79 sont morts ou disparus, 47 sont blessés, 366 restent vivants. 12 officiers et 30 élèves recevront la Croix de guerre. Le colonel Michon est terrassé par une embolie pulmonaire à Montauban, le 26 octobre 1940. Son corps est inhumé, à Dole, dans le caveau de sa famille.
« Nous vous avions confié nos enfants. Je vous remercie d’en avoir fait des hommes » [2]
En faisant des Cadets de Saumur un nom de légende, la Grande Histoire a failli, laissant le grand public ignorant du nom de leur chef. Réparation fut faite de cet oubli en 2020, lorsque sa petite-fille, Pascale Michon, publie, avec le journaliste et biographe Thierry Dromard, une biographie richement sourcée. Avec « Le colonel Charles Michon, Chef des Cadets de Saumur, L’honneur au prix du sacrifice », ressuscite la vie héroïque d’un officier français resté debout, dans le tumulte des journées de juin 1940.
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A l’occasion de la préface de cet ouvrage, le général de brigade Patrice Dumont Saint Priest, ancien commandant de l’École de cavalerie, souligne que « cette décision n’est pas celle d’un irresponsable ou d’un va-t-en-guerre, c’est au contraire celle d’un colonel d’expérience, ayant déjà beaucoup souffert, celle d’un homme de devoir, de caractère et de convictions, celle d’un officier de cavalerie qui n’avait rien à gagner et tout à perdre, et enfin celle d’un chef respecté par ses hommes ».

[1] Lettre du colonel Charles Michon à son épouse, 11 avril 1915. Cité par Pascale Michon et Thierry Dromard, Le colonel Charles Michon, Chef des Cadets de Saumur, L’honneur au prix du sacrifice, 2020, Éditions Lamarque, p. 19.
[2] Hommage du père de l’un des Cadets de Saumur au colonel Charles Michon. Cité par Pascale Michon et Thierry Dromard, op. cit.
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