Gisant de Guillaume le Maréchal dans l'Église du Temple à Londres. ©-JvL-

Guillaume le Maréchal, issu d’une modeste famille anglo-normande du XIIème siècle, vainqueur de nombreux tournois et survivant à cinq batailles, fut considéré par ses contemporains comme le meilleur chevalier du monde. Elevé par ses dons dans la hiérarchie féodale jusqu’à devenir l’un des hommes les plus puissants d’Angleterre, il devint, sous la plume de Georges Duby, une sublime figure littéraire qui nous transporte aux Âges chevaleresques.

 

La date de naissance exacte de Guillaume le Maréchal nous est inconnue. Les historiens l’on fixée aux alentours de 1145. Toujours est-il que l’homme lui-même n’a jamais su son âge avec certitude. Sur son lit de mort, en 1219, il se plaignait de la lassitude que lui offraient ses quatre-vingt ans passés. Sans doute exagérait-il un peu. Au moins ajoute-il ainsi à sa légende un élément : celui d’avoir su, partant d’un lignage relativement modeste, mourir l’égal des rois, offrant même un festin aux pauvres du royaume le jour de son passage. Un attribut régalien.

 

« Dieu aide le Maréchal » : une fortune faite de bravoure

Fils de Jean le Maréchal et petit-fils de Gilbert, maréchal de la cour de Henri Beauclerc (1168-1135), Guillaume est l’héritier d’une famille de petits barons ayant la charge de seconder les connétables anglo-normands. Par sa mère, Sybille de Salisbury, il est allié à la famille de Tancarville, longtemps dépositaire de la charge de chambellan du duc de Normandie. C’est d’ailleurs auprès de Guillaume de Tancarville, chambellan d’Angleterre, qu’il fera son apprentissage, sur le continent.

 

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Plongé dès son enfance dans les luttes intestines de l’Anarchie anglaise qui opposent les fidèles d’Etienne de Blois, neveu du défunt Henri Ier, à son héritière légitime et désignée, Mathilde l’Emperesse, épouse du roi des Romains, que Guillaume est promis à un engagement politique et militaire. Preuve en est, ce jeune garçon jalousé en Normandie car chéri de son maître, ce qui lui vaut le surnom de « gâte-viande », est ceint dès sa vingtaine de l’épée, que Georges Duby (1919-1996) analyse comme « un outil, mais d’avantage, un emblème du droit et du devoir de combattre ».

Désormais jeté sur les routes comme cherche-fortune, Guillaume se met en quête d’un parti à servir. Le haut lignage de sa mère lui permet de se mettre à la disposition du comte Patrice de Salisbury, alors chargé par le roi Henri II (1133-1189) de veiller à la protection de son épouse, Aliénor d’Aquitaine (1122-1204). C’est à l’occasion de cette mission d’escorte que Guillaume prouve sa bravoure : son oncle Patrice est assassiné « à la poitevine », c’est-à-dire sans respect de l’honneur chevaleresque.

Répondant aux attentes de son lignage, il se jette dans une mêlée qui l’oppose à soixante-huit adversaires ce qui, malgré une défaite rapide, fait de lui un chevalier accompli, n’ayant pas hésité à venger le lieutenant du roi et ainsi, le roi lui-même. Cet épisode lui permet, dès 1170, d’être choisi par Henri II comme membre de la mesnie de son héritier, Henri le Jeune. Cet épisode fondateur nous permet de pleinement comprendre l’homme, à la suite de Georges Duby : « Il n’avait jamais cessé d’agir selon les règles de la chevalerie. En simple chevalier. Il n’avait jamais été que cela ».

 

Guillaume le Maréchal, un tournoyeur devenu régent d’Angleterre

Guillaume le Maréchal relève-t-il de l’anomalie ou poursuit-il une ascension sociale classique à la fin du XIIème siècle ? Pour Georges Duby, l’adresse militaire et politique de cet homme qui ne s’éloigna pas de son éducation chevaleresque lui permirent une fortune certes exceptionnelle, mais toujours juste, ne relevant pas d’autre chose que de son sens de l’honneur. « Lorsque j’interroge ce document si riche afin de suivre la trajectoire d’une ascension personnelle, et ceci dans l’intention de construire, partant de cet exemple, des hypothèses mieux fondées sur ce que purent être les mouvements de capillarité, de promotion dans l’aristocratie d’Occident durant ce demi-siècle qui encadre l’an 1200, un fait m’apparaît très clair : la roue de la fortune élevant les uns, rabaissant les autres, tournait de plus en plus vite en ce temps-là, même dans ce milieu social apparemment stable ». Le seul caractère de Guillaume lui permit donc d’être qualifié à sa mort de « meilleur chevalier du monde ».

 

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Car c’est bien la chevalerie, cet art de vivre guerrier, qui permit au jeune serviteur d’Henri le Jeune d’accèder à l’inaccessible. Prenant le parti du fils contre son père lors de la révolte de 1173 et 1174, il sert l’opposition au roi Henri II formée par ses trois fils, Henri, Richard, Geoffroy et leur mère Aliénor auxquels se joignent de nombreux barons. Cette lutte entre deux partis, Guillaume y participe brillamment au cours des tournois qui prennent place dans le nord du royaume de France. Capturant plus de cinq cent chevaliers lors de ces manifestations guerrières, où les prisonniers s’échangent à prix d’or, il acquiert la réputation d’un tournoyeur redoutable.

En cette époque, ces théâtres de l’honneur réunissaient la fleur de l’Europe presque chaque semaine que compte les beaux jours et opposaient les équipes en « grande noise et grand bruit ». Dix ans de ce jeu qui n’en était pas un firent de lui le serviteur le plus connu des révoltés, si bien qu’à la mort d’Henri le Jeune en 1183, son père le roi le pria à son service. Après une période de croisade au sein de l’ordre du Temple, temps méconnu par les chroniques, il devient le plus fidèle serviteur du roi dans la lutte contre Richard Cœur de Lion.

Le temps des tournois semble alors s’éloigner et Guillaume, confirmé lors de l’avènement au trône de Richard, épouse l’un des plus beaux partis du royaume, « la pucelle de Striguil », Isabelle de Clare (1172-1220). Pupille du roi Henri II, elle était dotée du château de Pembroke et du comté de Buckingham. Petite-fille du roi de Leinster, elle possédait un quart de l’Irlande ainsi que, par ses origines capétiennes, de nombreuses terres au sein de l’honneur de Longueville. A la tête de soixante-cinq fief, Guillaume le Maréchal se transforme : il atteint le cercle étroit de ceux qui dominaient le monde.

 

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Ne défiant jamais Jean Sans Terre, qui usurpe son frère Richard parti pour la Terre Sainte, Guillaume n’en fut pas pour autant son familier : il s’attacha à préserver l’Angleterre, exsangue des dépenses du roi croisé. Ainsi, il s’engagea naturellement à combattre les barons anglais ralliés au prince Louis (1187-1226) et, septuagénaire, remporta la bataille de Lincoln, le 20 mai 1217. Chevalier jusqu’au bout, il tua le jeune comte du Perche, âgé de vingt ans et raccompagna, sans faire de lui son prisonnier, le dauphin capétien sur les rivages sud de l’Angleterre. Dans un ultime élan de fidélité, il accepta la garde de l’héritier de Jean Sans Terre, le futur Henri III (1207-1272), alors âgé de neuf ans. Dans un monde où la chevalerie n’était déjà plus, le XIIIème siècle laissant la politique guider les rapports humains, il se contenta donc, durant deux ans, de veiller à la bonne régence du royaume.

Relique d’un monde qui n’était plus, William Marshal expira le 14 mai 1219, auréolé à jamais d’avoir été celui qui, atteignant au cœur d’une réalité changée le plus haut degré d’humanité, avait fait vivre l’incorruptible esprit chevaleresque du XIIème siècle. Revêtu du manteau blanc à croix rouge de l’Ordre du Temple, il vit ses ultimes heures dans un nouvel état, celui de moine, plus proche de l’hôte de sa dernière demeure.

 

La vie de Guillaume le Maréchal, un testament pour l’Europe

De ses cinq fils, Guillaume (1190-1231), Richard (1191-1234), Gibert (1197-1241), Gauthier (1199-1245) et Anseau (1208-1245), tous comtes de Pembroke, le Maréchal n’obtiendra aucune descendance légitime. Opposé toute sa vie à une succession d’archevêques de Cantorbéry fidèle à Richard Cœur de Lion, il fut, en une génération, dépouillé de tout héritage matériel. Son sang lui survit au travers de ses filles : Maud (1194-1248) par son premier mariage avec Hugues Bigot, comte de Norfolk, est l’ancêtre directe de deux rois Plantagenet puis de tous les monarques d’Angleterre à partir de Henri VIII (1509-1547) ; Isabelle (1200-1240), par son premier mariage avec Gilbert de Clare, comte d’Hertford et de Gloucester, figure parmi les ascendants des dynasties écossaises Bruce et Stuart.

 

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Mort, Guillaume survécu aux siècles au travers d’une chanson biographique narrée par son écuyer, Jean d’Early, et mise en forme par un clerc copiste et trouvère. Financé par Guillaume le Jeune, ce manuscrit, voué à l’ultime hommage d’un fils à son père, détonne avec les éloges de Philippe Auguste ou de Geoffroy Plantagenet, dont le souvenir fut fixé par la langue savante des liturgie ecclésiastiques. Plus proche de la chanson de geste que du modèle qu’était la Vie des douze Césars de Suétone (70-140), ce récit fait du Maréchal un être à part.

Cette œuvre monumentale, octosyllabique rythmé de plus de 19 000 vers, dont subsiste un manuscrit du XIIIème siècle, fut remise à la lumière du jour par Paul Meyer (1840-1917), qui le publia en trois volumes sous le titre Histoire de Guillaume le Maréchal, comte de Striguil et de Pembroke, régent d’Angleterre. En 1984, l’historien Georges Duby grand spécialiste du Moyen-Âge et auteur en 1978 du célèbre Les Trois Ordres ou L’Imaginaire du féodalisme, lui consacra un ouvrage en 1978, Guillaume le Maréchal ou Le meilleur chevalier du monde, dans lequel, sur le modèle du Dimanche de Bouvines (Fayard, 1973), il présente une analyse d’un homme dans une société et dans un environnement donnés : « Mon propos est d’éclairer ce qui l’est encore très mal, en tirant de ce témoignage, dont j’ai dit l’exceptionnelle valeur, ce qu’il apprend de la culture des chevaliers. Je veux simplement voir le monde comme le voyaient ces hommes ». Véritable œuvre théâtrale, cette œuvre moderne donne l’un des plus beaux récits de chevalerie.

 

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Le dernier hommage notable qui accompagne le nom de Guillaume le Maréchal est celui que lui rendit le royaume de France. Apprenant la nouvelle de sa mort, Philippe II, qui portait le surnom des empereurs romains, l’annonça à son plus preux serviteur, Guillaume des Barres (1160-1234), qui, par son éclatant esprit chevaleresque reste, pour l’éternité, l’Achille de son temps. Ce dernier, se levant, souffla au roi de France que seul le Maréchal devait être digne des éloges du capétien : « Sire, je juge que ce fut le plus sage chevalier qui fut vu, en nul lieu, de notre temps ». Ainsi, le royaume de France, celui du premier lieutenant de Dieu sur Terre, rendit à son plus grand adversaire le plus juste des hommages.

 


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