Dom Robert, artiste tapissier et moine bénédictin, laisse derrière lui une exaltation religieuse et poétique de la Nature

Guy de Chaunac-Lanzac, devenu moine bénédictin sous le nom de Dom Robert, fut un dessinateur et peintre cartonnier qui marqua, aux côtés de Jean Lurçat, le printemps artistique que connut la tapisserie d’Aubusson au cours du XXème siècle. Devenu très célèbre grâce à des travaux éminemment poétiques réalisés au sein du monastère tarnais d’En-Calcat, il offre désormais à qui les contemple plus qu’une œuvre : une flânerie illimitée.

 

Né le 15 décembre 1907 à Nieuil-l’Espoir dans la Vienne, Dom Robert est le fils de Henri de Chaunac-Lanzac, officier colonial stationné en Indochine. Elevé par l’une de ses tantes, elle-même artiste, il montre dès le plus jeune âge une forte appétence pour le dessin : « J’avais une table dans un grand couloir ; je hissais une chaise sur la table et, à la lingerie, il y avait du charbon de bois. Je faisais ainsi de grands dessins sur le mur. C’est comme cela que j’ai pris contact avec les arts décoratifs ». Ses premières promenades, les longues chasses ainsi que l’initiation à l’histoire de l’art qui lui sont offertes sont hélas bien vite refroidies par son entrée au collège des Jésuites de Poitiers. Cette épreuve de jeunesse lui permet cependant de rejoindre l’Ecole des Arts Décoratifs à Paris, alors sous l’influence du cubisme et de l’abstraction.

 

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Peu convaincu par les travaux qui lui sont demandés, il passe ses journées à croquer la vie des champs de courses et acquiert le sens du mouvement. L’école du croquis le poursuit à Marrakech et dans l’Atlas lors de son entrée, en 1927, au sein du 2ème Régiment de Spahis Marocains. La pratique du dessin devenant irrésistible, il « gardait même [ses] carnets à cheval où [il] dessinait sur le pommeau de la selle ». Ses premiers contacts avec l’aquarelle lui permettent, rentré à Paris en 1929, de travailler aux dessins des tissus de la Maison Ducharme.

A Paris, il fréquente notamment le théologien jusnaturaliste Jacques Maritain (1882-1973), qui, au tournant des années 1930, clôt sa période de passions politiques pour rejoindre l’idée de rassemblement portée par la démocratie chrétienne. Sous son influence, certains jeunes artistes, tel le prometteur compositeur Maxime Jacob (1906-1977), embrassent le catholicisme et choisissent, comme ce dernier, de rejoindre la jeune communauté bénédictine de l’abbaye d’En-Calcat, au pied de la montagne Noire, limite sud du Tarn. Guy de Chaunac-Lanzac, tout à fait fasciné par le succès surréaliste de Picasso, choisit alors, aux côtés de son ami Maxime Jacob tout juste encensé par Ravel, de s’adonner aux cycles de formation bénédictins, où l’étude stricte de la philosophie et de la théologie l’oblige à abandonner le dessin.

 

Découvertes et révélations : la tapisserie d’Aubusson

Ordonné prêtre en 1937 puis mobilisé et projeté en Lorraine en 1939, la vocation artistique semble s’être effacé chez ce moine pieux, dont le caractère affirmé transparaît dans tous les témoignages. Pourtant, en 1941, Dom Robert est confronté à une véritable révélation dans l’Aude, aux environs de Carcassonne : une cour de ferme peuplée de paons amorce la quête d’une vie : « Le plus beau cadeau de la nature, c’est d’être intarissable, une affaire de poursuite, non de contemplation ». La Nature exaltée, réduite à sa plus simple expression pour en révéler toute la Magnificence, tel sera l’objet des premiers dessins du désormais Dom Robert.

 

« Scolopendres », 1969, laine, tapisserie d’Aubusson.

 

En 1941, le destin du jeune dessinateur est bouleversé par la venue à En-Calcat de Jean Lurçat (1892-1966), qui incarne alors le renouveau de la technique de tapisserie mise au point depuis six siècles à Aubusson, dans la Creuse. Frappé par la vision de la Tenture de l’Apocalypse à Angers, il se prend de passion pour cet art séculaire et le renouvelle en adoptant une technique de dessin préalable sur carton. Contemporain de Matisse, Braque et Picasso, Lurçat est alors au summum de sa renommée, il crée une vingtaine d’oeuvres à Aubusson, côtoie Raoul Dufy (1877-1953) et expose à Paris, Londres, New-York et en URSS.

 

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Décidant Dom Robert à embrasser une carrière d’artiste cartonnier, il participe à la fois au rapide succès du moine, mais aussi à la construction du dilemme qui entourera un moine-artiste désormais tiraillé entre vie monacale et gloire artistique : « Après un succès rapide, trop rapide, sous l’impulsion de Lurçat, j’avais maintenant la pénible sensation d’entrer dans un épais brouillard. J’ignorais encore que tout être traverse une crise entre trente et quarante ans et l’on dut se débarrasser de moi, comme j’avais voulu être débarrassé de moi-même ». Après plusieurs œuvres tissées à Aubusson chez Tabard puis chez Suzanne Goubely, Dom Robert s’exile, d’abord au monastère de Kerbénéat dans le Finistère en 1947, puis, jusqu’en 1958 au monastère de Buckfast en Angleterre.

 

« La chasse aux papillons », 1968, laine, tapisserie d’Aubusson

 

Peindre les Psaumes, célébrer la Création

« Faire difficilement des choses faciles. Règle de Racine qui me paraît être la racine de toutes les règles : tout un monde de complications les plus enchevêtrées traduit par l’expression la plus simple ». Telle fut sans doute la clef du succès de Dom Robert, qui, depuis l’Angleterre, connaît un succès mondial et poursuit une quête intérieure qui le conduit à affirmer qu’« il y a quelque chose qui est avant le Beau. C’est le Vrai. ». La Vérité, sans doute la chose qu’il recherchera tout au long de son œuvre, mêlant la Création qui l’environne à la célébration des Psaumes qui guident les moines d’En-Calcat.

 

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L’abbaye, au sein de laquelle Dom Robert fait son retour en 1958, devient progressivement le lieu de vie de tout ce que la France compte de génies marginaux habités par la Grâce : les mélodies nouvelles du désormais Dom Clément Jacob influencent toute la chrétienté, le pianiste Thierry de Brunhoff s’y retire à quarante ans… L’abbaye bénédictine procure, sous l’influence du frère David d’Hamonville, le cadre nécessaire à des personnalités excentriques, originales et caractérielles : l’ordre choisi devient ainsi l’espace de liberté nécessaire à la création artistique. Persuadé d’être un artiste religieux, Dom Robert se conforte en visitant à Albi le musée Toulouse-Lautrec, qu’il admirait. Il démontre en effet que si l’on peut faire des chefs d’oeuvres à partir de maison closes, on peut, à plus forte raison, en faire d’après le langage divin, celui de la Nature. D’où sa croyance ferme en le fait qu’il concevait un art religieux, une représentation des Psaumes.

Dom Robert, dont la réputation après-guerre dépasse largement celle de l’abbaye elle-même, s’y épanouit : la seule observation de la clôture du lieu, dans l’ombre impénétrable de la Montagne Noire, fomente un univers pictural simple entre fleurs, insectes, oiseaux et petit bétail. Car c’est bien la plus simple, la plus quotidienne des promenades qui figure au sein de ses œuvres : « Dans une tapisserie, on se promène… Une promenade sans but précis, on se plait à flâner. Un détail vous conduit vers un autre… le même plaisir qu’en un sous-bois, une sorte de jeu de cache-cache ». Entouré de moines dont certains, grands intellectuels, redécouvrent la lectio divina, Dom Robert trouve au sein des Psaumes l’expression biblique de ses observations campagnardes : « Il n’y avait plus qu’à chanter tout cela en aquarelle ». Dans son Journal d’un curé de campagne, Georges Bernanos (1888-1948) tirera les mêmes conclusions, écrivant que « les petites choses n’ont l’air de rien mais elles donnent la paix. C’est comme les fleurs des champs, vois-tu. On les croit sans parfum, et, toutes ensemble, elles embaument ». L’artiste de ce petit monde de Dieu s’éteint en 1997, entouré de ses frères moines.

 

« Le grand Inquisiteur », 1944, gouache, aquarelle, encre de Chine, feuille d’or sur papier

 

L’abbaye-école royale militaire de Sorèze, située à quelques kilomètres d’En-Calcat, abrite depuis 2015 le musée Dom Robert et de la tapisserie du XXème siècle.

 


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