Pesellino. Silius Italicus De bello punico. Manuscrit (Lat. XII. 68), vers 1450, Biblioteca Nazionale Marciana, Venise.

Silius Italicus est un poète et homme politique romain du Ier siècle. Il est l’auteur des Punica ou Guerre punique, épopée en 17 chants et 12 000 hexamètres racontant la Deuxième guerre punique.

 

« Je chante cette suite de combats qui ont porté aux cieux la gloire des descendants d’Enée, et forcé la fière Carthage à subir le joug romain ». Ainsi commence un chant épique, le Punica, plus long poème latin qui nous soit parvenu depuis le dernier âge du règne de l’éloquence romaine. Tombé dans l’oubli jusqu’en 1417, son auteur, Silius Italicus, souffrit longtemps des préjugés nés, dans les contreforts des études latines menées au XIXème siècle, d’une trop fréquente comparaison aux écrits de Virgile. L’œil innocent et contemplatif qui le lit vingt siècles plus tard doit cependant lui reconnaitre un mérite : celui de nous transporter.

 

Une réputation forgée par des portraits ennemis

Silius Italicus semble être né vers 25 après Jésus-Christ, ce qui fait de lui le spectateur de la fin des Julio-Claudiens (27 avant J.-C.-68), du règne des Flaviens (69-96) et de l’avènement de Trajan (98-117). Issu d’une famille plébéienne aux mérites anciens et reconnus, Silius paraît être le dernier disciple des préceptes de Cicéron (106-43 avant J.C.) et ainsi, l’ultime représentant de la brillante éloquence à la romaine. Le poète Martial (40-104) en fera l’égal de Virgile (70-19 avant J.C.)  et l’inscrira au panthéon des auteurs qu’il considère comme « vraiment romains ». Certains lui reprocheront de ne jamais avoir étudié la poésie : en réalité, c’est sans doute ce qui le sauva.

Silius Italicus ne nous est parvenu qu’uniquement par le Punica. Pourtant, il ressort des témoignages de ses contemporains qu’il ait été doté des plus belles facultés d’éloquence qui soient. Plongé au cœur d’une époque où Sénèque (1-65) incarne une pratique oratoire nouvelle, en rupture affichée avec les préceptes cicéroniens, lesquels avaient illuminé le passage de la République à l’Empire, Silius Italicus fait figure de résistant. Néron (54-68) semble avoir été sensible à cet attachement de l’orateur à ne jamais franchir les canons établis par le rhéteur de référence de Rome.

Elevant Silius à la magistrature consulaire, il voulu vraisemblablement récompenser les efforts d’un serviteur loyal, qui avait comme principale occupation la poursuite devant les tribunaux des ennemis de l’Empereur. L’excellence de Silius transparaît assez grossièrement dans la description peu élogieuse qu’en fait Pline le Jeune (61-113) : en soulignant qu’il servit ensuite l’empereur Vitellius sapienter et comiter, c’est-à-dire sagement et amicalement, celui-ci pare l’auteur du Punica du manteau honnit du délateur. Une telle critique de la part d’un ennemi, que nous devons bien entendu envisager au sens romain, ne doit-elle pas être prise comme le plus beau des hommages ?

 

Une vie au cœur de l’Empire

Consul en 68, année de la mort de Néron, Silius Italicus est de fait une figure majeure d’un Empire à la portée de la ruine. De juin 68 à décembre 69, plus d’un an de guerre civile, la première depuis Auguste, manqua de déchirer Rome pour longtemps. Cette période, baptisée « année des quatre empereurs », voit s’affronter Galba, empereur de juin 68 à janvier 69 ; Othon, empereur de janvier à avril 69 ; Vitellius, empereur d’avril à décembre 69 et Vespasien, empereur de décembre 69 à juin 79. Période trouble dont les enjeux principaux résident en la capacité de chaque prétendant à faire reconnaitre sa proclamation par les légions à Rome ou à cacher ses défaites au Sénat, cette longue année acte l’accession au pouvoir de Vespasien et l’établissement de la dynastie des Flaviens. Vraisemblablement présent aux cotés de Vitellius alors que les légions de l’Est, qui ont proclamé Vespasien en Judée, marchent sur Rome, Silius Italicus s’inscrit comme un magistrat essentiel. Preuve en est, il sera conservé auprès du nouvel empereur après avoir servi son concurrent, pourtant lapidé par la foule et jeté dans le Tibre.

Envoyé en Asie Mineure comme proconsul vers 77, il « s’acquit », selon les mots de Désiré Nisard (1806-1888), alors maître de conférences à l’Ecole Normale Supérieure, « d’une gloire alors difficile et des richesses qui devaient lui permettre de s’abandonner librement et sans partage à ses goûts littéraires ». Un doute subsiste quant à la place de Silius Italicus comme consul aux cotés de Domitien (81-96), deuxième successeur de Vespasien. Quoi qui l’en soit, il ne semble plus avoir fréquenté les tribunaux à cette période et avoir mis sa vie politique à jamais derrière lui, cela afin de se consacrer à inscrire son nom dans l’Histoire par les Lettres.

Etabli à Rome et éloigné des affaires publiques, Silius Italicus se serait alors allongé, selon Pline, tout en gardant « un maintien grave et un air majestueux » : l’ancien consul devint « poète fécond et philosophe aimable ». Une cour choisie parmi les plus doctes personnages de la capitale de l’Empire fit alors profession de s’adonner à son conseil en toute matière et Silius passa maître dans l’art de converser. Il ne lui convient pourtant bien vite plus d’être pressé de demandes d’expertises et choisi l’exil, loin du monde et au plus près de son art.

 

Exil et mort en Campanie

L’exil choisi a cela de beau qu’il confère à jamais un sentiment de pleine liberté : Silius ne s’en priva pas. Associée au Latium depuis Auguste, la Campanie, région entourant Naples et irriguée par le Garigliano lui offrit un espace de contemplation dont il se satisfit. Il y acheta plusieurs maisons et trouva grand plaisir à les meubler jusqu’à l’excès, l’une après l’autre, jusqu’à s’en lasser et s’adonner à un nouveau cycle d’entassement ordonné. Ce fut entre les livres et les portraits d’hommes célèbres qu’il fit naître ce que nous connaissons comme l’œuvre de sa vie. Si Cicéron avait inspiré en lui un consul, ce fut Virgile qui le fit poète.

A Pouzzoles, il acheta à un paysan le tombeau de Virgile et s’adonna à sa dévotion, lisant sans doute quotidiennement l’épitaphe qui gardait le lieu : « Naples maintenant me garde. J’ai chanté les pâturages, les campagnes, les héros. ». Il alla même, comme nous le rapporte Martial, jusqu’à célébrer « tous les ans le jour natal de Virgile avec plus de joie et de solennité que le sien propre. C’était pour lui un lieu sacré, et qu’il respectait comme un temple ». Si l’ombre des grands hommes est favorable au génie de ceux qui les succèdent, Silius Italicus y trouva les auspices d’une mort au sommet. Il composa auprès de ce tombeau une littérature sans doute nombreuse, dont seul le Punica nous est parvenu.

Silius Italicus devait pourtant mourir en l’an 100, sous le règne de Trajan, à l’âge de 75 ans, se laissant gagner par l’inanition après s’être vu déclaré atteint d’un mal incurable. Martial, qui devait bientôt le suivre dans l’autre monde, lui promit l’immortalité que confèrent les Lettres. Celle-ci eut pu vaciller pourtant, mais fut couronnée quelques quatorze siècles plus tard par sa redécouverte dans une prison souterraine du monastère suisse de Saint-Gall. Poggio Bracciolini (1380-1459), qui accompagnait l’antipape Jean XXIII (1360-1419) au concile de Constance en 1414, l’ajouta à la liste de ses découvertes et le rendit au monde.  

 

Une plongée épique dans l’épopée de la deuxième guerre punique

Plus long poème latin de l’Antiquité, le Punica compte environ 12 000 lignes, réparties en 17 livres. L’épithète épique qui lui a été de toute éternité accolé, tant la pureté de sa langue fut reconnue par les contemporains et les lecteurs futurs de son auteur, ne doit pourtant pas nous faire oublier son caractère éminemment historique. Imitant Virgile et se gardant de toute fabulations, Silius Italicus réussi, encore aujourd’hui, le pari de faire voyager celui qui l’écoute au cœur du plus tragique conflit que connu la république romaine. Dans son Histoire abrégée de la Littérature romaine, Frédéric Schoell (1766-1833) explique en des mots admiratifs l’équilibre d’une telle réalisation : « Il parait que Silius fut un de ces hommes auxquels la nature a donné une certaine facilité, qui les fait réussir en tout ce qu’ils entreprennent, et qui, lorsqu’elle est secondée par de l’instruction et du goût, peut, jusqu’à un certain point, tenir lieu de génie ».

Lire un poète autodidacte au cœur de l’Empire, c’est soulever un coin du voile qui recouvre une des plus belles époques qu’ait connu l’homme occidental, tant celle-ci, par ses foisonnements, peut sembler peu appréhendable. Quelle époque que la deuxième guerre punique (218-202 avant J.-C.), qui vit, au travers des velléités vengeresses de Junon à l’égard de Vénus, s’affronter des hommes qui inscriront, par la gloire seule, leur nom dans l’Histoire ! Car si l’intérêt des Romains pour l’ouvrage de Silius Italicus fut si important, c’est parce qu’il incarne pleinement l’épopée.

En contant les affrontements d’Hannibal et de l’Africain, « premier des Romains honoré du nom de la terre conquise », Silius a transporté ses contemporains au cœur du IIIème siècle et fait des Scipion, de Paul-Emile, de Tiberius, de Sempronius Longus, de Varron et de Hasdrubal, Magon, Hannon et de tant d’autres noms ceux « que Rome croit issus du sang des Dieux ». Engagées dans une guerre totale, les rivales Rome et Carthage se verront soumises aux caprices des dieux et à la bravoure de leurs chefs, si bien que « la Fortune chercha longtemps dans laquelle de ces deux villes superbes elle établirait le gouvernement de l’univers. […] Mais, ce fut dans la seconde de ces guerres, que l’on vit les deux peuples accumuler leurs ressources pour mettre fin à la lutte et s’anéantir l’un ou l’autre : celui qui triompha fut le plus près de succomber. ».

Du siège de Sagonte à la bataille de Zama en passant par le Rhône, Cannes, Syracuse, Capoue, Carthagène et Utique, ce récit nous offre un voyage sur les pourtours de la mare nostrum qui ne mérite qu’une chose : être lu. Le parti-pris par son auteur fera sans doute frémir les plus attentifs au juste récit apartisan qui est privilège et devoir de l’historien. Or, quand le verbe accompagne et transporte le lecteur à un tel point, le bon sens gaulois nous rappelle d’abord que Rome est éternelle et puis qu’après tout, Vae victis !  

 

Cet article a été établi après une lecture de la traduction du Punica parue en 1837 dans la collection des Classiques latins avec la traduction en français, dirigée par Désiré Nisard, maître de conférences à l’Ecole Normale Supérieure.

 


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