Édouard Corniglion-Molinier : derrière le sourire, une passion pour l’aviation, en temps de paix comme en temps de guerre

Édouard Corniglion-Molinier combattit lors de deux guerres mondiales, produisit au cinéma cinq films et fut plusieurs fois ministre. Sa vie constitue un témoignage du bouleversement que fut l’aviation pour une génération de chevaliers célestes qui, d’une guerre à l’autre, firent démonstration de leur goût pour l’aventure.

 

Né à Nice le 23 janvier 1898, Édouard Corniglion refuse, malgré de brillantes études secondaires, le chemin tracé pour lui par son père notaire. Au sein du lycée Masséna de Nice, il fait la rencontre de Roland Garros, son aîné de dix ans et trublion débarqué de Cochinchine. Ce dernier l’initie au football, à la bagarre, à l’aviation mais surtout à l’école buissonnière, ce qui lui permet d’assister au fameux meeting aérien de Nice d’avril 1910, lors duquel il réalise son baptême de l’air. Issu de la même génération que Hubert Latham, Jorge Chávez ou Georges Legagneux, tous pionniers de l’aviation fauchés dans les airs avant 1914, Édouard Corniglion découvre, parcourant les salons aériens, sa véritable vocation. Dès l’âge de 17 ans, Édouard Corniglion, qui portera aussi le nom de sa mère, Anne Molinier, rêve de s’engager.

 

LIRE AUSSI → Roland Garros : un aviateur qui donna son nom à un terrain de tennis

 

Dès 1915, encore âgé de seize ans, il maquille son état-civil et s’engage au 27ème bataillon de chasseurs alpins. Face à l’insistance de son père, il rejoint très vite la cavalerie et passe au 5ème régiment de dragons à Saumur. Un mois plus tard, il demande sa mutation dans l’aviation et décroche son brevet de pilote de chasse à Ambérieu, le 27 avril 1916. Brigadier, il est envoyé en Italie et intègre l’escadrille N392 où il combat les austro-hongrois dans le ciel adriatique. Il se porte volontaire pour toutes les missions, d’observation, de bombardement ou de chasse et obtient plusieurs victoires, malgré une blessure et le paludisme. Démobilisé avec le grade de sous-lieutenant en 1919, décoré de la Légion d’honneur et médaillé militaire, il est le plus jeune pilote de chasse français de la guerre, l’un des seuls rescapés d’une génération d’as qui comptait Georges Guynemer, Maurice Boyau, Michel Coiffard et tant d’autres.

 

Nieuport 23 d’Édouard Corniglion. L’avion porte le juron vénitien qui est sa marque de reconnaissance : « Ocio ! Fiol d’un can » (« Attention ! Fils de chien. »). ©Collection Paolo Varriale

 

Entre-deux-guerres : des rêves plein la tête

Docteur en droit et licencié ès lettres après-guerre, Édouard Corniglion-Molinier est peu emballé par la perspective paternelle. Fasciné par le Napoléon d’Abel Gance, l’un des derniers chefs d’œuvre du cinéma muet, il achète en 1927 les studios Victorine de Nice, où se rencontreront Marcel Carné et Jacques Prévert, duo iconique du cinéma d’entre-deux-guerres. Après l’adaptation du roman d’Antoine de Saint-Exupéry Courrier Sud (1937), il produit Drôle de drame (1937), devenu un classique par le célèbre « Moi j’ai dit bizarre ? Comme c’est bizarre » prononcé par Louis Jouvet. Lié à André Malraux depuis 1934, il produit son unique film, Espoir, sierra de Teruel, interdit en Espagne et censuré en France. Collaborateur du journal Paris-Soir puis de L’Intransigeant dans les années 1930, il participera en 1945 à la fondation du magazine Point de Vue.

 

LIRE AUSSI → Marcel Dassault : le capitaine de l’industrie aéronautique française

 

Le regard toujours tourné vers les cieux, il accepte en 1934 ce qu’Antoine de Saint-Exupéry et Jean Mermoz ont refusé : accompagner André Malraux sur les traces du royaume de Saba. Sans plan de vol, sans autorisations, sans connaissances archéologiques précises, ils éprouvent leur amitié au Yémen, vivant mille aventures. Sans jamais rapporter de résultats, ils deviennent les héros du magazine de comics américain Argosy, alors célèbre diffuseur de la série Tarzan. En 1936, aidés par Jean Moulin, le duo inséparable livrera des avions aux républicains espagnols. Enfin, Édouard Corniglion-Molinier s’embarque fin 1936 pour le Cap aux cotés de Jim Mollison, le plus jeune pilote britannique de la Première Guerre Mondiale, tentant de battre un record de vitesse depuis l’Angleterre.

 

Seconde Guerre Mondiale : les ailes de la Liberté

Fin août 1939, il est appelé comme capitaine de réserve à l’état-major, et demande immédiatement une affectation à la chasse, renonçant à tous les privilèges de son grade et de son âge. Entre mai et juin 1940, lors de la campagne de France, il abat trois appareils ennemis et devient ainsi l’un des trois pilotes français à avoir descendu un avion dans les deux guerres. Prenant contact avec Emmanuel d’Astier de la Vigerie dès août 1940, il fonde le mouvement de sabotage et de recrutement La Dernière colonne. Surveillé par le Ministère de l’Intérieur du fait de sa proximité avec Malraux, il est arrêté à Marseille mais vite libéré : il rejoint alors New-York et s’engage au sein des Forces françaises Libres.

 

LIRE AUSSI → Adrien Conus : du chasseur de brousse à la France libre

 

Inconnu du général De Gaulle, qui avait ordonné « Que Corniglion me rejoigne et que Molinier reste en France », il devient chef d’état-major des Forces Aériennes Françaises Libres (FAFL) au Moyen-Orient. Au cours des campagnes de Lybie et de Cyrénaïque, il constitue le groupe de chasse « Alsace » et le groupe de bombardement « Lorraine » et détruit une colonne de chars de l’Afrikakorps. Commandant des FAFL en Grande-Bretagne à partir de 1942 puis commandant des forces aériennes de l’Atlantique chargées de la neutralisation des poches de résistance de La Rochelle et Royan, il finit la guerre comme général de division aérienne. Édouard Corniglion-Molinier se voit alors proposer un poste en état-major, ce à quoi il répond « Je suis la mode, en temps de paix, je suis toujours en civil ». Compagnon de la Libération par décret du 20 novembre 1944, il ajoute à ses nombreuses décorations étrangères de 1914-1918 une deuxième Croix de Guerre, avec quatre citations.

 

Mener sa vie sans chercher à l’écrire

La guerre terminée, Édouard Corniglion-Molinier revient à ses passions : l’aéronautique, le cinéma et la presse. Administrateur de grandes sociétés, il est vite séduit par l’aventure parlementaire. Il est élu député des Alpes-Maritimes en juin 1951, après avoir été sénateur de la Seine et conseiller de la République en 1948. Lors de ses meetings, il s’associe au cinéaste Marcel Pagnol, entré en 1946 à l’Académie française. Il participe également, au travers du conseil général, dont il est membre, à la création du Festival international du film. Membre de la commission de la défense nationale et de la commission de la presse, de la radio et du cinéma, il se voit confier plusieurs portefeuilles ministériels : d’abord ministre d’Etat chargé du Plan puis Garde des Sceaux, ministre de la Justice, il devient ministre d’Etat chargé du Sahara et délégué général permanent de la République de Côte-d’Ivoire en France.

 

LIRE AUSSI → Pierre Lazareff : un des plus grands patrons de presse français du XXème siècle

 

Rallié au gaullisme au sein de l’Union pour la nouvelle République, il est à nouveau élu député des Alpes-Maritimes en 1962, mandat qu’il exercera jusqu’à sa mort. Membre de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, il reste conseiller général des Alpes-Maritimes et maire du village de Roquebillière. Très attaché à la modernisation de l’aviation civile et militaire, le général Édouard Corniglion-Molinier réalise le 18 juin 1955 le record de vitesse du trajet Paris-Nice à bord d’un Mystère IV N aux cotés de Gérard Muselli. Il est alors ministre des Travaux publics en fonction.

 

Le général Édouard Corniglion-Molinier passe les troupes en revue, 1945 © Service historique de la Défense

 

Ayant refusé toute sa vie la mollesse de la conformité, il demande, toujours ministre, l’autorisation de sauter sur Diên-Biên-Phu, ce qui lui est refusé. Édouard Corniglion-Molinier avait déclaré « ne pas vouloir mener de vie tranquille et refuser de mourir dans son lit » : il meurt le 9 mai 1963 à bord de la Caravelle qui le ramène de Nice à Paris. Son éloge funèbre est prononcé en la cathédrale Saint Louis des Invalides par Gaston Palewski, lieu d’où, entourée des Compagnons de la Libération, s’éleva l’âme d’un chevalier du ciel.

En 2019, dans une biographie intitulée Édouard Corniglion-Molinier : un paladin au XXème siècle, son gendre Maurice Ligot lui rendit hommage en livrant le récit d’une vie qui fut « un hymne aux facettes nouvelles et passionnantes du génie humain ». Du 2 octobre 2023 au 4 février 2024, le Musée de l’Ordre de la Libération, situé au cœur de l’Hôtel national des Invalides, consacre une exposition temporaire à « Un chevalier du ciel : Édouard Corniglion-Molinier ».

 


Vous avez apprécié l’article ? Aidez-nous en faisant un don ou en adhérant

Laisser un commentaire

RSS
YouTube
LinkedIn
LinkedIn
Share
Instagram

Merci pour votre abonnement !

Il y a eu une erreur en essayant d’envoyer votre demande. Veuillez essayer à nouveau.