Shane MacGowan en concert au Beechmount Leisure Centre de Belfast en 1998.

Ce 30 novembre 2023, la musique est en deuil : la journaliste Victoria Mary Clarke annonce le décès de son mari, le musicien Shane MacGowan, icône de la scène rock celtique des années 1980. Il affirmait ne jamais avoir été sobre depuis ses quatorze ans. Il aura surtout transporté durant plus de quarante ans, avec son groupe « The Pogues », les cœurs d’une jeunesse résolument punk, résolument irish.

 

Shane Patrick MacGowan est né en Angleterre le 25 décembre 1957 de deux parents irlandais. Son père, employé de magasin, lit et écrit, sa mère chante, pose comme mannequin et danse aux rythmes de la musique traditionnelle irlandaise. Rentré en Irlande dès sa naissance, Shane est complètement immergé au sein de la culture du « pays fertile ». L’alcool, les cigarettes, le jeu, le catholicisme : tout est en accès libre au sein d’une famille permissive qui laisse Shane plonger dans tous les domaines, dès la plus petite enfance. Enfant timide mais brillant, il obtient en 1971 une bourse d’études musicales et intègre le Royal College of Saint Peter de Londres, la prestigieuse Westminster School. Teintée d’un accent cockney attrapé dans les faubourgs de la capitale britannique ainsi que d’un intérêt marqué pour les drogues, une vie publique démarre.

 

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Exclu dès la deuxième année de son collège londonien pour possession de drogues, Shane adopte le nom d’O’Hooligan et fréquente toute la scène punk londonienne, alors marquée par les succès des Sex Pistols. L’une des premières photographies connues du jeune musicien est issue d’un article de 1976 titré « Cannibalism At Clash Gig ». Elle présente Shane couvert de sang, le lobe d’oreille déchiré par la parolière du groupe Mo-dettes, Jane Crockford, qu’il avait tenté d’embrasser lors du concert du groupe londonien The Clash. Membre du groupe The Nips du punk Shanne Bradley, O’Hooligan signe un premier succès avec un titre extraordinairement mélodique et nostalgique, « Gabrielle ». Il y rencontre, alors à la guitare, son futur accordéoniste, James Fearnley.

 

Le prince irrévérencieux

Après l’éphémère groupe The Millwall Chainsaws des années 1970, Shane, redevenu MacGowan, fonde avec Peter Stacy et Jem Finer le groupe qui le fera connaître : « The Pogue Mahone », traduction de la délicate expression gaélique « óg mo thóin », ce qui signifie « embrasse mon cul ». Refusé dans de trop nombreuses radios, le trio deviendra bien vite The Pogues et se produira pour la première fois le 4 octobre 1982 au Pindar of Wakefield. Rejoint par un ensemble de basses et de guitare, le groupe présente un harmonica, deux banjos et une flûte irlandaise. Ouverture des Clash lors de la tournée de 1984, The Pogues sort un premier album, « Red Roses for Me », qui réalise un bon résultat au Royaume-Uni. En 1985, avec le churchillien « Rum, Sodomy and the Lash », clin d’œil aux traditions de la Royal Navy, Shane MacGowan développe ses textes et réalise des tubes, dont « Sally MacLennane » et « Dirty Old Town » ainsi qu’une reprise de « And the Band Played Waltzing Matilda », désormais plus connue que l’original. 

 

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Aux dires de Shane MacGowan, avec The Pogues, « l’idée n’était pas compliquée : jouer de la musique traditionnelle irlandaise mais à fond la caisse ». Le succès devenu international grâce à « Dirty Old Town », le groupe se trouve confronté à la personnalité de son meneur. Tirant son originalité d’une voix rauque nourrie au tabac et à l’alcool, il titube à tous les concerts, performe ivre, sous acides et amphétamines. Dans The Dark Stuff : L’envers du rock (Naïve, 2006), le journaliste Nick Kent, autorité en la matière, livre ce qui est sans doute la plus belle description du personnage : « Il fait preuve d’un attachement très romantique à son héritage celtique, mais ses manières, son attitude, sont celles du zonard punk londonien typique. Disons qu’il y a chez lui un délicat mélange d’aristocrate et de crétin, de dandy et de dadais. Il n’a pas son pareil pour faire rimer académique avec bordélique ». Shane MacGowan fut un prince de la mélodie, un ivrogne scénique, un déchaîné sensible, un catholique chaotique : le plus brillant cas social qui puisse être présenté à l’establishment.  

 

Un conteur d’Irlande

Produisant de superbes pièces de musique traditionnelle, dont une reprise de « Irish Rover » en collaboration avec The Dubliners, The Pogues s’emparent dans les années 1980 de deux places au classement des « 1001 albums qu’il faut avoir écoutés dans sa vie ». En 1988, « Fairytale of New-York », proposant un duo entre Shane MacGowan et Kirsty MacColl, cri de détresse de la jeunesse irlandaise émigrée, devient un énorme succès commercial qui achève d’inscrire The Pogues à la postérité. Incontrôlable, MacGowan quitte le groupe en 1991 et fonde The Popes, support de nombreuses collaborations. Il rejoint The Pogues pour une tournée de Noel en 2001 et multiplie les apparitions en festival, de Chicago (2011) à Landerneau (2014).

Présent dans tous les foyers de culture celte à Noël, Shane MacGowan est également adulé par les républicains irlandais comme l’un des meilleurs dénonciateurs des erreurs britanniques dans les « troubles » d’Irlande du Nord de 1988. Avec « Streets of Sorrow/Birmingham Six », The Pogues crient à l’injustice en faveur des six Nord-Irlandais condamnés à tort dans l’explosion du pub de Birmingham en 1975. Suspectés d’être membres de la Irish Republican Army, ceux-ci ne seront innocentés qu’en 1991 ce qui représente la plus grande erreur judiciaire du pays. Le « champion de la justice sociale » salué par le Sinn Fein devint, par ses chansons, le grand frère de toutes les âmes démunies de l’émigration irlandaise en Angleterre.

 

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Atteint d’une encéphalite virale et se déplaçant en chaise roulante depuis 2015, Shane MacGowan succombe le 30 novembre 2023 à l’âge de 65 ans. Le président irlandais Michael D. Higgins salue en lui « l’un des plus grands paroliers de la musique », auteur de « poèmes parfaitement rédigés ».    

 

Un seul mot d’ordre : « Póg mo thóin ! »

Comment porter un jugement sur le punk alors que celui-ci est, cette fois-ci, bel et bien mort ? Le souvenir de quinze ans d’une modernité exceptionnelle s’est envolé, après avoir tout contesté, tout déchiré, après avoir crié à la face du monde l’impensable. Impardonnable pour son nihilisme pré-déconstructiviste, le mouvement réalise cependant une synthèse merveilleuse de mélodies traditionnelles et de paroles argotiques révoltées. Shane MacGowan nous permet, pour l’éternité, de dépasser l’immonde idéologie « No future » des Sex Pistols pour celle de « Un jour peut-être ».

Ceci parce qu’un « punk » incarne depuis des siècles la « personne sans roi », l’esprit jeune et libre des déchirés de la vie, de ceux dont l’avenir s’écrit par la débrouille, de ceux dont le groupe, qu’il soit peuple ou génération, a été maté. Le punk celtique résume ce cri, celui d’un peuple soumis à la rigueur de l’occupant depuis toujours, du Cygne de Jean IV de Bretagne aux morts du Bloody Sunday, d’une jeunesse désemparée par la négation de son héritage. Shane MacGowan avait hissé le punk au plus haut, conjuguant tradition et modernité dans un élan énergique, sacrifiant un corps irlandais pour des idées universelles, celles des peuples libres. Car en Irlande, sous les pavés, on trouve l’herbe verte, moteur des hommes depuis deux mille ans.

 


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