Christiane Desroches Noblecourt, à Tôd en 1982 (cliché G. Lecuyot - collection Christian Leblanc)

Christiane Desroches Noblecourt est une archéologue française spécialiste en égyptologie. Elle est connue pour avoir sauvé dans les années 1950-1960 les temples de Nubie en Égypte notamment celui d’Abou Simbel.

 

Il est des épopées bien réelles que la mémoire de l’homme ne saurait oublier, et que le temps, pourtant, vient à effacer. Loin de la métropole, par-delà la première cataracte du Nil, se dressaient autrefois dans l’Antique Nubie les vestiges d’une civilisation à nulle autre pareille. Œuvres d’un peuple singulier, ayant régné plusieurs millénaires auparavant sur la terre pharaonique, les trésors de Nubie étaient voués à disparaître sur ordre du président de la République arabe unie : « le Raïs » Gamal Abdel Nasser.

La construction du Haut barrage d’Assouan censée préserver le peuple nilotique de la faim et générer une dynamique d’émancipation de l’Égypte sur le plan international (notamment vis-à-vis de la France et du Royaume-Uni ayant une position hégémonique sur le canal de Suez) par une logique de modernisation et d’industrialisation, signait en outre la disparition du patrimoine nubien et le délogement de son peuple. Philæ submergée, Debod inondé, Abou Simbel englouti, par les eaux de la modernité prête à reléguer le passé aux poissons pour affirmer sa nouvelle indépendance.

 

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Peu se soulevèrent contre le désastre annoncé, les islamistes voyaient dans ces temples l’incarnation d’une génération de cultes impies dont la disparition était souhaitable, la population égyptienne dans sa grande majorité ne s’en préoccupait pas et allait même jusqu’à démembrer les temples de leurs pierres pour édifier leurs propres maisons. Seules quelques voix s’élevèrent dans le désert intellectuel pour affirmer la nécessité de protéger ce patrimoine multi-millénaire de la destruction des eaux du Haut barrage. Parmi ces dernières, la plus flamboyante fut sans aucun doute possible celle de Christiane Desroches Noblecourt, une archéologue française qui remua Ciel et Terre pour alerter l’opinion nationale et internationale sur le désastre historique qui se préparait.

 

Une vie pour l’histoire

Née à Paris en 1913 sous le nom de Clémence Christiane Desroches, notre héroïne suivit durant sa jeunesse des cours d’égyptologie et devint en 1934 chargée de mission au sein du Département des antiquités égyptiennes du musée du Louvre dont elle prit la tête en tant que conservateur en chef en 1974 au départ de Jacques Vandier. Protectrice des antiquités égyptiennes, elle le fut déjà durant la Seconde Guerre mondiale quand elle participa à la mise à l’abri de ces antiquités en zone libre. Ces faits de résistance furent d’ailleurs constatés par la collaboration qui l’emprisonna un temps sur ordre de la milice française.

 

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Peu atteinte dans sa quête de vitalité, Christiane Desroches épousera en 1942 André Noblecourt et donnera naissance à un enfant. Professeur à l’école du Louvre en épigraphie égyptienne puis en archéologie égyptienne, elle sera la première femme titulaire d’un poste à l’Institut français d’archéologie orientale et l’une des premières femmes à diriger un chantier de fouilles. Forte de cette expérience, Christiane Desroches Noblecourt fut un lien puissant entre les nations françaises et égyptiennes, qui malgré quelques périodes de froids, firent toujours confiance à cette femme agissant au nom des intérêts communs des deux pays.

Apprenant le drame historique qui allait se dérouler, sous les yeux d’organisations internationales au regard absent, Christiane Desroches Noblecourt se mit à édifier une machine de guerre archéologique, politique et médiatique afin d’empêcher l’impensable : la destruction par les eaux de trente-deux temples et chapelles, mémoire de tout un peuple. Mais malgré sa légitimité peu l’écoutèrent, les historiens, scientifiques et autres politiciens préférant voir en cette quête pour la préservation historique les lubies d’une femme nécessairement hystérique. Peu importe, cela n’empêcha pas « la Noblecourt » de continuer son œuvre.

 

Sauvegarder le patrimoine nubien

Le projet de barrage est annoncé en 1954 par Nasser qui s’allie pour le projet aux Soviétiques. Christiane Desroches Noblecourt de son côté convint certains scientifiques de rallier sa cause et ces derniers répondent par la publication d’un rapport sur les antiquités de Nubie menacées de submersion par les eaux du Haut barrage un an plus tard (édité en français, en anglais et en arabe). Elle fonde par la suite le Centre d’études et de documentation sur l’Ancienne Égypte. Le 8 mars 1960, elle intervient à la tribune de l’UNESCO, peu après le début des travaux du Haut barrage, et lance un appel à la solidarité mondiale aux côtés du ministre égyptien de la culture Saroite Okacha (ami de Noblecourt et de Nasser) et d’André Malraux qui plaidera avec son lyrisme habituel pour la préservation aussi bien des personnes que des biens culturels.

 

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Il déclara ainsi que « Pour le patrimoine artistique des hommes, nous faisons appel à l’univers comme d’autres le font […] pour les victimes de la catastrophe d’Agadir » et espérait ne pas avoir « à choisir […] entre les effigies et les vivants ! » car pour lui, « la survie des effigies est [peut-être devenue] une forme de la vie. ». L’appel de Malraux lance la campagne internationale pour la sauvegarde des sites et monuments de Nubie qui durera vingt ans et se caractérisera par la difficulté de trouver des financements. De nombreux Etats faisant des promesses de dons qui resteront non tenues, partiellement tenues ou actées trop tardivement.

Pendant ce temps, Christiane Desroches Noblecourt s’entretient avec Saroite Okacha dans l’objectif de rédiger une lettre officielle devant être signée par le Président Nasser et visant à envoyer des missions archéologiques pour établir des relevés et garder la trace du patrimoine tendant à disparaître. La lettre est envoyée à René Maheu, sixième Directeur général de l’UNESCO, et ami de Noblecourt. Les missions d’inventaire des antiquités nubiennes puis d’inventaire des antiquités chrétiennes en Nubie sont constituées et donnent lieu à des rapports. Des campagnes de fouilles sont lancées sous un soleil accablant et presque criminel (la température atteignant 58°c à l’ombre cumulée à l’interdit de boire en période de Ramadan) et permettent de faire sortir du sable du désert de nouveaux artefacts et temples. Christiane Desroches Noblecourt n’a pourtant qu’une obsession, non pas ce qu’elle pourrait trouver au fil des fouilles, elle pense d’ailleurs à tort qu’ils « ne trouveront pas grand-chose », mais bien de préserver le temple d’Abou Simbel et ses colosses, érigés à la mémoire de Ramsès II.

 

L’oeuvre d’une vie

L’argent est donc une nécessité première. Comme les Etats versent au compte-gouttes, Christiane Desroches Noblecourt décida de reprendre la main et monta de toute pièce une exposition dédiée à Toutankhamon à Paris dont les bénéfices allèrent au sauvetage d’Abou Simbel. Parallèlement, des mécènes inattendus se font jour, des enfants, des centaines d’écoliers français, ainsi que des retraités firent parvenir une partie de leurs revenus (ou de leur argent de poche) par la Poste pour sauver le patrimoine égyptien. Et de l’autre côté de l’Atlantique, Jacky Kennedy fit pression sur son mari pour financer le sauvetage des temples, ce qu’il accepta en échange d’intérêts commerciaux, en bon américain qu’il était. Les Egyptiens quant à eux décidèrent de faire don de leurs temples nubiens de moindre importance en l’échange de financements (à titre d’exemple, le temple dédié à Amon de Debod finira ainsi dans la capitale espagnole).

 

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L’eau monte inexorablement pendant ce temps, ce qui impliquait pour les archéologues de prendre des mesures radicales pour sauver les temples, même les plus folles. Le temple d’Abou Simbel, construit à même la roche fut ainsi découpé en briques grossières afin d’être déplacé un peu plus haut sur un plateau désertique au-dessus duquel fut construit une montagne artificielle, permettant de recréer un paysage semblable. Fruit du travail des meilleurs ingénieurs de la planète et de la passion d’une femme dont « la foi transportait les montagnes », le sauvetage fut la première et dernière véritable réussite à ce jour de l’UNESCO et de la communauté internationale dans une action ayant pour but de donner sens et corps au concept juridique qu’est « le patrimoine de l’humanité ».

Et bien que l’eau ait ravagé les paysages antiques et le lieux de vie d’une population millénaire, le patrimoine le plus précieux de Nubie fut tout de même préservé grâce au travail de Christiane Desroches Noblecourt, Saroite Okacha, René Maheu et plus subsidiairement du Général de Gaulle. L’anecdote est amusante et mérite d’être racontée. Souhaitant sauver le temple d’Amada, Noblecourt annonça que la France prendrait en charge les dépenses y étant liées. Puis, elle prit contact avec un ami du Général de Gaulle pour que ce dernier lui permette de contacter « Le Connétable ». Elle fut par la suite introduite à l’Élysée pour rencontrer le « Grand Charles » prêt à blâmer son action. Ce dernier lui demanda comment avait-elle pu engager la parole de la France sans se référer au Président. Elle lui répondit de but en blanc « Mais, Général, en avez-vous référé au gouvernement de Vichy avant de lancer votre appel du 18 juin 1940 ? ». Le Général amusé lui répondit que la somme nécessaire pour le sauvetage du temple en ruine avait déjà été réunie avant son arrivée, le dossier fut clos comme ce modeste coup d’État au bénéfice de l’égyptologie.

Christine Desroches Noblecourt s’éteignit forte de ces miracles civils le 23 juin 2011 à Épernay. Ce jour marqua la disparition d’une femme d’exception qui a, à jamais, inscrit son nom au frontispice de l’éternité, aux côtés des représentations des antiques monarques qu’elle s’évertua à préserver pour la postérité.

Pour approfondir : Les Immortels, l’épopée de Christiane Desroches Noblecourt pour sauver les temples de Nubie, ouvrage de Claude Le Tourneur d’Ison, élève de madame Desroches Noblecourt.

 


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