Sekigahara : la bataille de samouraïs qui changea l’histoire du Japon

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Carte japonaise représentant la bataille de Sekigahara en octobre 1600.

Julien Peltier est féru d’histoire militaire. Il connaît très bien le Japon médiéval et la figure du samouraï. A ce titre, il a déjà commis le Crépuscule des Samouraïs et Le Sabre et le Typhon. Ce nouvel ouvrage intitulé Sekigahara, revient comme le sous-titre l’indique, sur « la plus grande bataille de samouraïs ».

 

Effectivement, l’auteur définit cette bataille comme une « épreuve de gigantisme, toise de la formidable militarisation du Japon féodal, Sekigahara est une invite aux superlatifs ». Il ajoute le propos suivant que nous trouvons très révélateur : « Sans même faire mention des engagements mineurs qui émaillent la campagne, près de 170 000 combattants s’y sont taillés en pièces, laissant, à en croire les estimations les plus pessimistes, rien moins que 30 000 d’entre eux sur le carreau ». Il précise qu’il « faut attendre l’épopée napoléonienne, deux siècles plus tard, pour voir se lever des effectifs similaires sous nos latitudes ».

Nous ouvrons une parenthèse pour vite la refermer : lors de la guerre de Succession d’Espagne, les batailles de Malplaquet (11 septembre 1709) et de Denain (24 juillet 1712) voient s’affronter respectivement 180 000 et 220 000 hommes. Cependant, cela n’enlève rien au fait que cette « grande bataille de samouraïs » reste un événement majeur de l’histoire du Japon, de par les effectifs engagés pour l’époque, et par le fait qu’elle marque également la fin de l’ère Sengoku et le début de l’ère d’Edo. Nous lisons donc avec intérêt ce constat : « Sous la férule du shogunat établi à Edo, la future Tôkyô, l’empire se fige dans une société étroitement corsetée et traverse une forme d’âge d’or culturel, matrice de nombreux codes et stéréotypes dont nous persistons à affubler les Japonais ».

Pourtant, rien ne fut aisé pour les vainqueurs : « Afin de parvenir à engranger les dividendes de la paix, il aura fallu tout risquer une ultime fois sur le tapis vert des rizières de Sekigahara, mince vallée sise en plein cœur de l’archipel, à la croisée des axes stratégiques reliant Kyôto, antique capitale impériale, à une plaine de Kantô devenue la plus vaste mégalopole au monde, rassemblant 43 millions d’hommes ». Le corps à corps se régla au cours d’une bataille devenue légendaire et fondatrice : « La suprême querelle se vide au matin du 15ème jour du 9ème mois de l’an 5 de l’ère Keichô, le 21 octobre 1600 du calendrier grégorien, mettant aux prises les meilleures capitaines et les plus vaillants champions de leurs temps ».

Cette bataille provoquera de fortes répercussions sur la société japonaise. Peltier nous dit qu’à « la charnière de deux siècles que tout oppose, Sekigahara bruit également du chant du cygne qu’entonnent malgré eux les guerriers de jadis. Car rien ne sera plus jamais comme avant. Le temps des seigneurs de guerre et des citadelles est révolu, tandis que débute à peine celui des marchands, qui feront bientôt prospérer de prometteurs centres urbains, mais aussi des maîtres de l’estampe, qui seront parmi les principaux bénéficiaires de l’essor d’une bourgeoisie citadine nouvelle ». Dans cet ouvrage, nous voyons que « les missionnaires ne manquent pas de relever des similitudes entre les organisations féodales insulaires et européennes, autre signe favorable confirmant à leurs yeux la fertilité du terreau japonais ».

De fait, l’auteur décrit la montée des tensions entre les différents protagonistes et chefs de clans, tous issus de la haute noblesse. Certains restent fidèles au fils de l’Empereur défunt, d’autres veulent prendre le pouvoir pour évincer le rejeton de la dynastie : le conflit armé ne pouvait être évité. Peltier se montre vraiment pédagogue, car il parvient à nous immerger dans ce Japon médiéval en exposant les différents aspects qui nous permettent de bien comprendre le contexte et les nombreux enjeux soulevés par cette crise de régime. Les clans sont décrits avec leurs forces et faiblesses. Nous en apprenons également beaucoup sur « l’art de guerre japonais », car nous suivons véritablement l’évolution de la campagne sous nos yeux.

Les tableaux et surtout les cartes présentées contribuent grandement à la bonne compréhension et à la qualité de l’ouvrage. Il convient d’avoir à l’esprit que Sekigahara a provoqué « un choc d’ampleur quasiment mythologique qui ne pouvait manquer de s’inscrire dans l’inconscient collectif insulaire, au point de s’ériger en repère essentiel, pour ne pas dire matriciel, peuplé d’un panthéon de héros devenus plus familiers que jamais par la grâce du petit écran ». Après la passionnante description de bataille accompagnée de son lot de retournements de situations tous aussi surprenants les uns que les autres, Peltier nous narre avec force le combat pour la paix : Pax Tokugawa. Le vainqueur défendait une haute idée de la politique comme le découvrons au fil des pages. N’oublions pas qu’à la mort de Tokugawa Ieyasu en 1616, le système qu’il mit en place perdurera jusqu’en 1868 avec la restauration Meiji… Il sut donc gagner la paix et installer sa dynastie dans le temps.

A la guerre, la bravoure côtoie la traîtrise, et cette dernière, comme souvent, joue un rôle décisif dans la bataille. Peltier écrit que « les recherches se poursuivent, puisque bien des interrogations subsistent », à commencer par les circonstances de la trahison… L’auteur conclut : « Sekigahara n’a pas encore livré tous ses secrets. La bataille pour la postérité, elle, semble d’ores et déjà gagnée ». En effet, Sekigahara est encore étudiée par les historiens. Les romanciers et le septième art s’en sont également emparés. Il y a aujourd’hui un musée sur le champ de bataille, et les reconstitutions de grande ampleur rappellent « la geste épique de Sekigahara, qui vit s’affronter la fine fleur des guerriers japonais, avec son lot de héros, de félons et de perdants magnifiques ». Cette histoire d’un temps révolu est contée avec talent par Peltier pour le plus grand plaisir des lecteurs…

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