Le musée national d'Irak à Bagdad a été pillé en 2003 après l'invasion américaine. Capture d'écran YouTube

Le gouvernement de Bagdad a annoncé le retour sur son territoire de plus de 23 000 objets antiques pillés en Irak suite à l’invasion américaine du pays en 2003. Mais des dizaines de milliers d’objets – d’Irak ou d’autres zones de conflit de la région – continuent de faire les choux gras des trafiquants pour finir aux Etats-Unis ou en Europe. Un véritable trafic d’antiquités mondial.

 

À Bagdad, le ministre de la Culture a le sourire. Le pays a une bonne nouvelle à célébrer : 23 000 objets antiques auraient ainsi réintégré leur pays d’origine ces trois dernières années. Une information qui a fait les gros titres sur les berges de l’Euphrate et du Tigre en juin dernier. L’Irak est une terre riche d’histoire, avec les royaumes babylonien et assyrien, le passage des empires Perses, Sassanides ou Abbassides et l’enracinement de communautés religieuses musulmanes, juives ou chrétiennes. Si ces périodes lointaines sont aujourd’hui méconnues du grand public, elles font la fierté de tout un peuple, des responsables du patrimoine irakien et des conservateurs du musée national de la capitale. Mais elles ont aussi ravi les pilleurs et les collectionneurs d’objets volés au cours des deux dernières décennies.

 

Un pillage venu avec les Américains

Avril 2003. Une dizaine de jours après le début de l’invasion de l’Irak, les soldats et les blindés américains prennent possession des grandes artères de Bagdad et font tomber les centres névralgiques du pouvoir de Saddam Hussein. Les ministères sont sécurisés, les entreprises de premier plan – surtout dans le domaine des hydrocarbures – également. Mais le musée national, lui, n’a pas les mêmes égards : ses portes grandes ouvertes sont une invitation au pillage. Parmi les dizaines de milliers d’objets qui disparaissent, certaines pièces sont si rares qu’elles n’ont pas de prix, tel que le masque taillé dans le marbre de la Dame de Warka, considéré comme la Joconde de Mésopotamie.

Mais de nombreux autres objets, moins célèbres et de valeur plus modeste, ont fait l’objet de trafics. Leur traçabilité était pour beaucoup impossible à établir. « Il est tellement facile d’en falsifier la provenance » explique Oya Topçuoğlu, maître de conférences à l’Université Northwestern et spécialisé en archéologie mésopotamienne. « Vous pouvez dire : « Mon grand-père a acheté ceci lors de sa visite au Moyen-Orient en 1928 et il est depuis dans notre grenier » ou « Cela appartient à la collection d’un gentleman suisse qui l’a acheté dans les années 50 ». Personne ne peut prouver le contraire, et personne n’en saura rien. » Ces dernières années, tout le problème pour le gouvernement irakien a consisté à dresser une liste des objets volés.

« Le musée national contenait des milliers d’objets et des manuscrits rares, mais il n’existe aucune statistique officielle sur le nombre d’antiquités volées dans le musée en 2003, déplore l’expert en antiquités Haider Farhan. « Les forces américaines sont directement et indirectement responsables du vol du contenu du musée. » Les autorités irakiennes avancent tout de même une estimation : selon elles, quelque 120 000 objets auraient été dérobés et exfiltrés d’Irak entre 2003 et 2017, entre le pillage sous supervision américaine et celui de Daesh au musée de Mossoul. Vingt ans plus tard donc, une page se referme. Le ministre de la Culture irakien, Ahmed al-Alaywi, fait ses comptes : avec 23 000 objets de retour au pays, c’est une victoire toute symbolique. Car l’immense majorité du butin reste introuvable.

 

Des plaques tournantes du trafic d’antiquités

« La grande majorité des antiquités volées en Irak ont été envoyées vers l’un des pays du Golfe persique, puis vers les États-Unis, poursuit Ahmed al-Alaywi. Certaines, suite au pillage du musée national par les soldats américains, d’autres par des entreprises mafieuses qui ont profité du chaos sécuritaire. »  En 2017, une affaire a fait grand bruit dans le monde feutré des collectionneurs internationaux : celui de la société américaine Hobby Lobby, condamnée par la justice de son pays à une amende de 3 millions de dollars pour avoir acheté illégalement 5 500 objets anciens venus d’Irak – des tablettes gravées de cunéiformes principalement – auprès de revendeurs basés dans des pays du Golfe persique dont les Émirats arabes unis.

Le plan d’action de Hobby Lobby était simple : les revendre aux plus offrants, aux États-Unis, grâce à de faux certificats d’authenticité. Acculé, le président de l’entreprise américaine, Steve Green, a reconnu à l’époque qu’il « aurait dû exercer davantage de surveillance et remettre en question soigneusement la manière dont les acquisitions avaient été gérées ». Un euphémisme. Depuis 2004, la justice américaine avait totalement interdit l’importation de biens culturels et patrimoniaux venus d’Irak. Tandis que le gouvernement irakien, dès sa remise sur pied, avait lui aussi voté une loi stipulant que toute antiquité originaire d’Irak était propriété de l’État irakien et qu’aucun individu ne pouvait en posséder sans l’autorisation express du gouvernement de Bagdad. Suite au scandale, plusieurs personnes avaient été arrêtées, des Israéliens et des Émiratis. 

 

Un trafic qui nourrit la violence

Certains analystes vont même plus loin, au-delà du « simple » trafic d’antiquités. Selon The Docket, une initiative de la Clooney Foundation for Justice, les trafiquants de la région se sont largement servis dans le patrimoine irakien, mais aussi plus récemment en Syrie, en Libye et au Yémen. Leurs butins servent avant tout à alimenter les efforts de guerre des belligérants et des milices. « Le pillage d’antiquités est souvent considéré comme un crime sans victime, mais c’est loin d’être le cas », dénonce Anya Neistat, directrice juridique de The Docket. « Le pillage d’objets culturels est destructeur physiquement et socialement, et la vente d’antiquités permet aux groupes armés de financer les conflits, le terrorisme et d’autres crimes contre les civils. »

Selon le rapport publié en 2022 par The Docket, « Les zones franches – essentiellement des entrepôts hors taxes créés pour conserver temporairement des produits manufacturés – jouent un rôle important dans le trafic international d’antiquités pillées. » Reste maintenant aux instances internationales – à commencer par l’UNESCO – de continuer à faire son travail.

 


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