ENTRETIEN – Alexandre Goodarzy : un guerrier de la paix au service des Chrétiens d’Orient

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Alexandre Goodarzy a créé et dirigé de 2015 à 2020 en Syrie la mission permanente de l’ONG SOS Chrétiens d’Orient. ©Alexandre Goodarzy

ENTRETIEN. Alexandre Goodarzy a été chef de mission en Syrie pour l’association SOS Chrétiens d’Orient de 2015 à 2020. Capturé par des milices chiites à Bagdad en Irak lors d’un déplacement en janvier 2020, il nous raconte ses années passées au service des Chrétiens d’Orient, de son arrivée à sa captivité, puis sa libération grâce au coronavirus.

 

Charles de Blondin : En 2014, vous partez en Syrie. Quel a été l’élément déclencheur ?

Alexandre Goodarzy : Je me souviens d’avoir eu de la peine pour ce qu’il s’était passé en Afghanistan, en Irak puis en Libye. J’ai remarqué qu’après chaque intervention, il n’y avait jamais eu de plan pour l’après-guerre. On a laissé les gens mourir alors qu’il y avait, à l’époque de Saddam Hussein ou de Kadhafi, une relative sécurité. Quand la question de l’intervention de la France en Syrie s’est posée, j’ai trouvé admirable que Charles de Meyer et Benjamin Blanchard, les deux fondateurs de SOS Chrétiens d’Orient, se soient souciés du problème. Je me suis dit qu’il n’y avait pas d’excuse, qu’il y avait une possibilité de faire quelque chose. J’étais enseignant en histoire-géographie dans un lycée et j’avais un poste de vacataire à l’Université catholique d’Angers. Un de mes étudiants m’a parlé de cette association. En 2014, je participe au deuxième Noël en Syrie organisé par l’association. C’est en revenant de cette semaine que je comprends que ma vie est là-bas, auprès des Chrétiens d’Orient. En mars 2015, je décide de partir un an en Irak, où l’ONG a ouvert une mission. Elle me propose alors d’en monter une en Syrie, que j’ouvre le 1er juin 2015.

 

C.B : Quels étaient les besoins à l’ouverture de la mission ?

A.G : J’avais appris que les Kurdes avaient profité de la faiblesse du pouvoir central pour prendre d’assaut les écoles publiques pour les forcer à parler le kurde. Comme celles-ci n’ont pas accepté leur chantage, les Kurdes les ont fermées. Tous les enfants sont partis se réfugier dans les écoles privées, détenues par des prêtres, que les Kurdes n’avaient pas encore osé toucher. Ils font attention à l’autorité religieuse. La demande a été multipliée par 3 ou 4 sans que les familles ne puissent payer ces écoles non subventionnées par l’État. La première mission était d’aider les prêtres à financer ces enfants déscolarisés.

À peine revenu, je reçois un message me disant qu’il faut que j’aille à Alep. Un prêtre a besoin de nous. Pour la première fois, SOS Chrétiens d’Orient va emmener des enfants d’Alep en vacances dans la vallée des Chrétiens à côté de Homs. Toutes les semaines, nous avons organisé le départ de plusieurs centaines d’enfants, plus de 3 000 durant ces trois mois.

 

C.B : Comment les Syriens perçoivent-ils les Français ?

A.G : Vis-à-vis des volontaires, il y avait une véritable sympathie. Il y a eu des différents politiques dans l’histoire, mais la culture francophone est bien enracinée en Syrie. Ils aiment la France. Ils étaient contents de voir des étrangers car ils se sentaient moins seuls. Cela signifiait que leur pays n’était pas si fermé que ça. Ils étaient touchés que des jeunes Français quittent leur confort pour venir dans un pays que les habitants veulent fuir.

Au niveau politique, ils ont vécu l’action française comme une agression doublée d’une trahison. Ils n’ont pas compris pourquoi la France s’était acharnée sur eux, sur leur président – qui n’est évidemment pas parfait –, sans voir le véritable danger en face : l’islamisme.  Ils trouvaient qu’ils ne méritaient pas ça. En tant que français, ils ne nous ont jamais fait ressentir leur colère. Ils ont toujours distingué la politique et les personnes.

 

C.B : Le 20 janvier 2020, vous êtes enlevé en Irak avec trois de vos collègues. Comment se déroule cet enlèvement ?

A.G : Nous venions pour faire un enregistrement de l’association à Bagdad, afin de pouvoir travailler en toute légalité. Nous sommes 17 jours après la mort du général iranien Soleimani, un homme à la tête de toutes les milices chiites rattachées à l’Iran, du Liban au Pakistan, qui se battent contre Daesh. Il s’est fait tuer par un drone américain avec son représentant Abou Mehdi al-Mouhandis en Irak en sortant de l’aéroport. Tous les Chiites et même les Chrétiens sont en colère. Ils cherchent des responsables, ils pensent qu’il y a eu des trahisons en interne. . En nous rendant à l’évêché arménien catholique, deux grosses voitures nous ont bloqués. Ils nous ont sortis manu militari de notre véhicule, nous ont ligotés et installés par deux dans les deux voitures. Au début, nous avions un doute. Est-ce que c’est la police ? Est-ce que ce sont des milices chiites ? Est-ce Daesh ? Nous avions peur. Ils nous ont enlevé nos papiers, nos téléphones. Nous pensions qu’ils allaient nous torturer et nous exécuter sans que personne ne sache ce qu’il s’était passé. Nous envisagions tous les scénarios. C’était très angoissant.

 

En compagnie de jeunes syriens à Raqqa, ancienne capitale de l’État islamique. ©Alexandre Goodarzy

 

C.B : Quelles sont les conditions de votre détention ?

A.G : Ils nous ont accusés d’espionnage, d’avoir donné de l’argent à des manifestants anti-gouvernementaux pour déstabiliser l’Irak. Au mieux, nous pensions faire 30 ans de prison Il y a toujours de la lumière là où on est enfermé, on ne peut pas dormir, il y a toujours du bruit. Ils nous mettent le Coran chanté du matin au soir pour nous déstabiliser. Ils font des feux et la fumée qui rentre dans la pièce nous étouffe. Ils nous changent constamment d’un endroit à un autre en nous disant que nous allons sortir dans quelques jours. Une fois, ils nous disent de les suivre et chargent leur arme. Nous pensons qu’ils vont nous tuer. Ils peuvent être très froids mais être gentils à d’autres moments. Ils ne nous ont jamais séparés. C’était très déstabilisant. À côté, on a entendu, via les conduits d’aération, un homme et une femme qui se faisaient torturer à mort. Parfois, on ne mange pas pendant 2 jours voire 3 jours, avec deux boîtes de thon pour quatre. J’ai perdu 15kg. Dès qu’ils rentraient dans la pièce, nous devions mettre des lunettes pour ne pas les voir. Ils nous demandaient comment allaient nos femmes, nos enfants alors que nous n’avions aucun moyen de le savoir.

 

C.B : En mars 2020, c’est la libération. Comment se déroule-t-elle ?

A.G : Ils viennent nous voir et nous racontent qu’il y a un virus qui tue le monde entier, que la planète est confinée, les aéroports fermés. Comme nous ne les croyons pas, ils nous allument la télé. Nous voyons que Rome, Paris, Berlin, Pékin, Téhéran sont vides. Nous voyons les chiffres des personnes qui ont attrapé le virus. Nous comprenons que tout est vrai.

Le coronavirus allait démonétiser notre valeur. Si celui-ci avait raison de nous, ils ne pouvaient pas rendre quatre cadavres à la France. Nous ne connaissions pas vraiment la dangerosité de celui-ci en mars 2020. C’est un vrai miracle. Les jours passent et ils nous annoncent que notre libération serait un dimanche. Dès le mercredi, ils commencent à vider les lieux. Une heure après, ils reviennent en nous demandant de préparer nos affaires. Ils nous ont transférés dans un autre endroit à côté de Bagdad pour passer la nuit, nous ont redonné nos passeports. L’un d’entre eux nous a filmé avec son téléphone en nous demandant de passer ce message à la France : « Dites à la France de cesser son soutien à Daesh et de ne plus laisser les ressortissants français en Irak sinon nous les exécuterons sans sommation. Ils ne bénéficieront pas du même traitement de faveur que vous ».

Une autre voiture est venue nous chercher pour nous amener dans une autre maison. Nous avons pu enlever définitivement nos masques. Là, un homme s’est présenté comme étant un intermédiaire entre le gouvernement français et les milices irakiennes qui nous avaient enlevés. Il s’est excusé pour ce qui était arrivé, nous a dit qu’il avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour obtenir notre libération. Un véhicule nous a ensuite emmenés dans une rue qui menait à la résidence de l’ambassadeur de France. Nous avons marché 200 mètres et avons sonné à la porte. Ils étaient sciés. Ils nous ont dit : « Cela fait une semaine que l’on vous attend chaque jour, que les ravisseurs nous appellent pour nous dire que l’échange aurait lieu ce soir et, chaque soir, ils ne donnent plus de nouvelles. Le lendemain, ils nous rappellent pour nous dire que c’est ce soir. Le jour où ils vous ramènent, nous n’avons aucun coup de téléphone ». Et ils nous ont dit : « c’était peut-être la meilleure chose à faire car souvent il y a des risques d’escalade au moment de la libération. Une geste brusque, un mot de travers et c’est terminé ».

 

C.B : Le 24 mars 2021, vous sortez votre livre Un guerrier pour la paix aux éditions du Rocher. Pourquoi ?

A.G : J’avais besoin d’écrire pour tourner la page. Je ne voulais pas écrire 300 pages racontant mon enlèvement. L’objectif était d’évoquer mes années passées en Syrie. Lorsque j’étais otage, je me rattachais constamment au passé. Le présent était infernal et je n’étais pas sûr d’avoir un avenir. J’y fais mon devoir d’humanitaire et raconte la réalité du terrain. Je prends mon lecteur par la main. Il est enlevé avec moi et je l’emmène dans mes souvenirs de Syrie pendant ma captivité.

 

C.B : Vous avez évoqué la beauté de l’engagement des fondateurs de SOS Chrétiens d’Orient. Notre société et en particulier notre jeunesse manque-t-elle d’engagement, d’idéal ?

A.G : Il y a un manque de transcendance, on ne vit plus l’histoire. Tout ce qui fait la beauté de la France est aujourd’hui souillé. Le problème est que la société ne donne rien aux jeunes, aucun idéal. Aider les Chrétiens d’Orient, c’est aider au Bien commun. C’est aider les Syriens à ne pas fuir, à rester chez eux. Cela ne fait plaisir à personne de quitter son pays, de prendre le bateau, de traverser la mer Méditerranée pour ensuite aller mendier en Europe.

 

C.B : En mars, le Pape s’est rendu en Irak. La Syrie commémore cette année, ses 10 années de guerre civile. Comment voyez-vous l’avenir des Chrétiens d’Orient ?

A.G : Je suis très pessimiste. Ils étaient deux millions en Irak avant l’invasion américaine en 2003, ils sont moins de 200 000 maintenant. Ils étaient deux millions en Syrie avant la guerre, ils ne sont plus que 600, 700 000. Les Chrétiens d’Orient sont un échantillon humain en voie d’extinction. La guerre et la démographie jouent contre eux. Je pense que l’islamisme est une conséquence d’un vide que le chrétien laisse en abandonnant Dieu. Quand on choisit de rejeter le Christ de la société, le communisme, l’Islam ou autres idéologies mortifères profitent de ce vide pour s’installer.  

 

Propos recueillis par Charles de Blondin

 

Guerrier de la paix – Alexandre Goodarzy – 2021 – Éditions du Rocher

 


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