«Contre Macron» : le livre de Juan Branco qui dénonce le macronisme
Juan Branco est avocat et collaborateur régulier du Monde diplomatique. Selon ce qui figure sur le quatrième de couverture, Contre Macron constitue le pendant théorique et politique de Crépuscule, ouvrage publié en 2018 dans lequel l’auteur critique les conditions très particulières par lesquelles Emmanuel Macron est parvenu au pouvoir.
Contre Macron nous propose un sous-titre étonnant : « Ontologie du monarque ». En effet, que ce soit sur le fond ou la forme, l’actuel locataire de l’Elysée ne ressemble en rien à un monarque, encore moins à un despote même si, aujourd’hui, beaucoup laissent entendre le contraire. Les personnes exprimant cette idée n’ont jamais vécu sous la dictature. Ceci étant dit, le livre débute par un récit de la rencontre de Branco avec Macron lors d’une conférence à Sciences Po. La description de l’événement est assez cocasse. L’auteur explique que Macron « venait d’aborder, à la Fondation Jean-Jaurès, l’un de ses anciens professeurs pour tenter de le convaincre qu’il l’avait eu comme élève à l’Ecole normale. »
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Dans l’amphithéâtre Emile-Boutmy de Sciences Po, Macron a donné une conférence qui ne marqua pas positivement Branco : « Au cours d’un interminable exposé, bouillie intellectuelle jonchée, tels des cadavres avariés emportés par un microbiote saturé, de citations d’auteurs jetées indifféremment en pâture, dans un contexte d’énonciation où la lecture mot-à-mot tuait toute possibilité d’éloquence, emporté par un univers référentiel exclusivement libéral, c’est-à-dire de droite, le serviteur d’un pouvoir qui se voulait socialiste donnait l’impression d’une insignifiance si marquée qu’elle interrogeait, à travers ses hésitants mouvements, quant aux dysfonctionnements d’une élite qu’il avait ainsi conquise, et qui l’avait déjà en son sein intégré. » Quoiqu’on pense de Macron, il est vrai que celui-ci a souvent multiplié les phrases creuses, vides de sens ou totalement incompréhensibles lors de ses nombreuses et souvent atterrantes prises de paroles publiques. Qui ne se souvient pas de son fameux « pensez printemps » ?
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Branco pointe du doigt les élites, car elles ont accepté et façonné Macron en leur sein. Il a raison de relever ce point. Cependant, une question se pose, et mêmes plusieurs : les élites sont-elles vraiment ce que leur titre prétend ? Comment d’ailleurs définir l’élite ? Par l’argent ? Le pouvoir ? Le copinage et les réseaux qui permettent d’occuper les meilleures places ? Branco répète en outre une erreur en présentant le libéralisme comme « de droite », alors qu’il est philosophiquement et ontologiquement de gauche. Il nous semble difficile de regarder John Locke et Montesquieu, pères de cette philosophie moderne, comme des penseurs classiques ou traditionnels…
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Quand Branco rencontre Macron, celui-ci « était encore un inconnu du grand public, et j’en gardais un souvenir irrité. Nous étions en 2014. » Par la suite, l’auteur ne cache pas son étonnement, voire plus, d’apprendre que « quelques mois plus tard, l’inconnu qu’était encore M. Macron se retrouvait, à la surprise générale, nommé ministre de l’Economie du pays, et les unes de presse du groupe détenu par M. Niel et ses alliés – dont son beau-père, M. Arnault, détenteur notamment des Echos et du Parisien, M. Lagardère, quant à lui détenteur de Paris Match, Europe 1 et du JDD, et ancien client de M. Macron – ainsi que quelques autres commençaient à louer un être au regard bleu acier, porteur de mille qualités invérifiables, et dès lors par leurs rédacteurs inventées ». Chacun a pu constater le nombre de « unes » qui lui ont été consacrées entre 2016 et 2017 : c’était totalement disproportionné, si on prenait en compte – et de manière purement objective – ses mérites personnels… et surtout ses réussites politiques et économiques en tant que grand argentier de la Cinquième République.
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Concernant le supposé libéralisme de droite de Macron, lui qui fut un ancien membre du Parti Socialiste, une fois arrivé au pouvoir, n’a clairement pas appliqué une politique nationale, et moins encore d’union nationale… Le moins que nous puissions dire, c’est qu’à grand coup de petites phrases bien hasardeuses, il a divisé les Français comme jamais : les jeunes contre les anciens, les actifs contre les chômeurs, les retraités contre les travailleurs, les CRS contre les pompiers, les policiers contre les avocats. Il a aussi mis dans la rue aussi bien le personnel médical, que les enseignants, les étudiants, etc.
Que Macron soit critiquable pour sa politique qui ne favorise pas la grandeur de la France, bien au contraire – c’est une chose. Ceci étant, assimiler comme le fait Branco le macronisme au fascisme revient à méconnaître l’Histoire et notamment l’histoire des idées politiques. « C’est le propre des fascismes que de crever la gueule ouverte après en avoir laissé tant d’autres expirer, défigurés, humiliés, dévastés par l’inconséquence du dirigeant. » Branco relève cependant avec justesse : « Chaque jour, Emmanuel Macron nous le fait sentir un peu plus, nous sommes les riens. Nous sommes à ses yeux ceux qui sont fabriqués pour connaître humiliations, vexations, caprices et sourires en coin, exploitations par des jouisseurs et des vainqueurs couronnés. » Branco aurait-il lui-même été exploité une fois dans sa vie ? Humilié par des recruteurs ou des chefs de services à l’esprit étroit et médiocre, pétri d’idéologie sans souffle ni grandeur ?
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Toutefois, nous soulignons qu’il existe du vrai dans les diatribes de Branco contre le président de la République : « Voilà un être qui promettait tout, qui était prêt à tout, dévoré par une ambition sans contenu, pourvu qu’on l’aidât à aller jusqu’au bout de son obsédante quête d’apparat. » L’auteur exprime une pensée que nous trouvons pertinente : « Une partie de nos élites s’est naturellement précipitée vers lui, trop heureuse d’enfin trouver un produit prêt à les servir. Voilà un être qui s’apprêtait à être, de bout à bout, et sans même le réaliser, exploité. » Branco poursuit de cette manière : « N’accablons donc pas M. Macron, car il n’aura été que cela, exploité, et qu’il faut de bien rares qualités pour en être arrivé à ainsi séduire pour se soumettre et se laisser dévorer par tant de pouvoirs et d’intérêts. » Chacun sait que le pouvoir corrompt… parfois même il dissout.
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Branco effectue des rappels salutaires, pour ceux qui ont la mémoire courte comme pour ceux qui ne connaissent pas très bien le sujet : « De la commission Attali à la présidence de la République en passant par la Banque Rothschild, la direction intérimaire de l’Inspection générale des finances, le secrétariat général adjoint de l’Elysée ou encore le ministère de l’Economie, ce ne sont pas que des êtres mais aussi des institutions auxquelles M. Macron s’est asservi. » Il précise même que « tout au long de son parcours long de deux décennies, il n’a là encore laissé nulle part trace de sa personnalité, n’engageant jamais sa responsabilité, et se contentant, de dîners mondains (…) en passant par des projets de loi inconséquents et des opérations de fusions-acquisitions ». Le constat semble sévère, mais l’est-il vraiment ? Ne s’agit-il pas tout simplement d’un propos objectif que tout être animé par un esprit libre et critique peut faire ? En tous les cas, c’est ce que nous pensons.
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La victoire de Macron en 2017 est, pour l’auteur, le « fait révélateur d’une société en état de dégradation avancée, incapable de freiner les promotions d’êtres sans scrupules se déployant de façon prédatrice au détriment de l’intérêt général, loués au contraire pour des parcours faits d’errements, pillages et trahisons, en répondant aux impératifs de bienséance élaborés par ce qu’il reste des pouvoirs établis ». En fin de compte, Branco appelle à la révolte car il conclut : « A ceux qui pensent le nouveau monde, que la chose leur soit exigée : il est temps de se soulever. » Vaste programme !
Branco a le mérite de dénoncer Macron et ses puissants réseaux, sans pour autant aller au terme de ce mouvement intellectuel en tirant les conclusions qui réellement s’imposent. L’auteur appelle à une prise de conscience sur le pouvoir macronien et sur la dérive « policière et fascisante » que celui-ci connaît d’après l’auteur. Cependant, indépendamment d’un esprit satirique plutôt intéressant, jamais Branco ne remet en cause les piliers du système, qu’ils soient officiels ou officieux. Il ne produit de fait aucune critique profonde et sérieuse du suffrage universel ou des institutions républicaines.
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En définitive, en bon élève de Sciences Po, Branco s’inscrit totalement, sur le plan philosophique comme sur le plan intellectuel, dans le cadre préétabli. Il ne veut pas dépasser la République pour un autre projet politique, il désire – seulement – changer de République en lui appliquant plus de démocratie. Pourtant, en deux cents ans, cette expérience a déjà été tentée de nombreuses fois. Nos diverses constitutions rencontrèrent-elles des succès ? Contre Macron prouve aisément et formellement que non. Faudra-t-il donc repasser une fois encore par une énième et forcément éphémère république inadaptée au génie français ? Nous ne l’espérons pas…