L'ermitage de saint Charles de Foucauld à l'Assekrem dans le Hoggar algérien. ©Charles de Blondin

L'ermitage de saint Charles de Foucauld à l'Assekrem dans le Hoggar algérien. ©Charles de Blondin

Officier de cavalerie puis moine trappiste, la vie de saint Charles de Foucauld est parsemée d’aventures. De la Terre Sainte jusqu’à son assassinat dans le Hoggar, il alterne une vie d’ermite, faite de prières dans les montagnes de l’Asskrem, et de service auprès du peuple touareg. Récit d’un voyage sur les pas du saint canonisé le 15 mai 2022.

 

6 h. Le soleil n’est pas encore levé. Les premiers rayons lumineux franchiront les montagnes d’ici une petite heure. Tout juste le temps de se préparer, de sortir du refuge, longer le poste militaire et gravir les deux cents mètres de dénivelé restants pour assister au lever du soleil.

 

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Au pied de l’ermitage de saint Charles de Foucauld, construit en 1910 avec quelques soldats, à presque 2 800 mètres d’altitude, le paysage est grandiose. Les montagnes, avec leurs sommets escarpés, laissent peu à peu passer la lumière du jour qui illumine la casemate de cet ancien officier français replié parmi les Touaregs. Le lieu lui permit de vivre à l’écart de Tamanrasset et à l’abri de la chaleur brûlante de l’été.

 

Le rêve saharien

Il existe des lieux magiques avec des paysages qui coupent le souffle. Le Hoggar en fait partie. Un royaume minéral rocailleux à perte de vue où le temps s’efface. Une cathédrale naturelle sculptée par les âges et qui s’élève dans le silence désertique. Ici, pas de dunes mouvantes ni de mirages trompeurs, pas de sable fin non plus, mais de la roche majestueuse qui révèle toute sa splendeur deux fois par jour avec la lumière du soleil. Ce sont des vestiges volcaniques remontant à plusieurs dizaines de millions d’années.

 

Vue depuis l’ermitage de Charles de Foucauld. ©Charles de Blondin

 

La guerre civile et les violences islamiques des années 90 ont mis un coup d’arrêt à toute tentative de développement plongeant le pays dans une « décennie noire ». Une période davantage propice à sécuriser la dépendance économique aux ressources pétrolières et gazières plutôt qu’au développement touristique laissé à ses voisins marocains et tunisiens. Pourtant, le potentiel économique existe bien et le pays dispose de nombreux atouts géographiques en plein cœur du désert saharien. Fermé durant de nombreuses années, le Sud algérien rouvre peu à peu ses portes.

 

A la conquête du désert

La localisation peut d’autant plus faire rêver qu’elle n’est que rarement visitée. Les tensions persistantes entre l’Algérie et la France n’attirent pas le tourisme dans ce pays. Au-delà de la mission diplomatique française, il n’y a que les Algériens et doubles nationaux vivant en France qui se rendent là-bas. Ne dépendant pas des revenus touristiques, les relations sont plus saines avec la population locale.

 

Les trajets entre Tamanrasset et l’Assekrem nécessitaient quelques jours au début du XXe siècle. ©Charles de Blondin

 

« C’est la première fois que je rencontre un touriste » me confie dans l’avion un franco-algérien, chef d’entreprise en région francilienne. Comme de nombreux Algériens, il vit et travaille en France et rentre plusieurs fois par an revoir sa famille natale. « Monter une entreprise dans mon pays d’origine est très difficile tant les hauts dignitaires au pouvoir veulent garder leur monopole sur beaucoup d’activités » reproche-t-il. A côté de lui, un ancien guide touristique confirme ses dires.

 

Le prix du rêve

Les tensions entre la France et l’Algérie qui refuse de reprendre ses ressortissants ont notamment entraîné l’augmentation du prix des visas touristiques. Obligatoire, son prix n’est pas fixe comme dans la plupart des pays, mais proportionnel au nombre de jours de présence : 75 euros (7-8 jours), 145 euros (8-10 jours) et 360 euros au-delà jusqu’à 30 jours. Un véritable budget à prendre en compte et payable exclusivement en espèces permettant au régime algérien de conserver des devises étrangères de la zone euro facilement. L’accès à Tamanrasset et au Sud est de toute façon interdit à toute personne non accompagnée par un local ou un professionnel du secteur touristique.

 

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Le taux de change est lui aussi intéressant car deux tarifs existent. Le premier est le taux de change « officiel » qui ne représente pas la réalité économique du quotidien. Le deuxième est le taux de change « officieux ». Un véritable marché parallèle nettement plus avantageux que le premier permettant d’acheter pour le même prix en euro deux fois plus de monnaie locale. De manière générale, il n’existe pas de bureau de change, tout se fait de la main à la main dans la rue avec des changeurs.

 

Une zone protégée

Après quelques heures de route en 4×4 depuis Tamanrasset, nous arrivons à l’Asskrem, là où vécut Charles de Foucauld jusqu’en 1916, date de son assassinat. Au pied de son ermitage reconstruit entre 1954 et 1956, un petit plateau accueille des refuges pour les touristes de passage. Quelques bâtiments  seulement existent : pas de lit, pas de douche, des toilettes à la turque… Ici, aucun hôtel de luxe ou autres infrastructures permettant de loger des centaines voire des milliers de visiteurs. Une rusticité très visible mais agréable à vivre compte tenu de ce lieu chargé d’histoire.

 

Dans les montagnes, les refuges peuvent être rustiques. ©Charles de Blondin

 

La zone est sécurisée. Au pied de l’Asskrem, un poste de gendarmerie assure une présence militaire toute l’année. A quelques centaines de mètres, un autre poste est également présent, de l’armée algérienne cette fois. Il sert à loger le temps d’une ou de plusieurs nuits, les patrouilles de passage qui encadrent les quelques convois touristiques. Sans escorte au début du périple, celle-ci nous rejoint dans la soirée. Un 4×4 et une camionnette militaires assureront notre sécurité. Chaque déplacement depuis la sortie de l’aéroport de Tamanrasset dans le Sud algérien est accompagné par les autorités.

 

Loin des hommes, près de Dieu

« Cela fait 23 ans que je suis là » m’expliquait la veille au soir l’ermite catalan, arabophone, qui habite sur cette montagne à quelques centaines de mètres de l’ermitage de Charles de Foucauld. Quelques minutes avant, il avait gentiment invité les deux jeunes gendarmes algériens à se pousser pour qu’il me fasse une topographie de cette vue imprenable qu’avait le saint depuis son refuge. Le silence, propice à la prière, est à la fois apaisant et troublant.

« Il faut passer par le désert et y séjourner pour recevoir la grâce de Dieu » Charles de Foucauld

A l’intérieur, le lieu n’est pas grand. Deux pièces et un couloir. Le sol est fait de dalles de pierres brutes. Au fond, une petite bibliothèque recense les principales œuvres du saint : Reconnaissance au Maroc (1888), récompensé par la médaille d’or de la Société de Géographie et le premier Dictionnaire abrégé touareg-français (1918), visant à faire connaître ce peuple saharien. A gauche en entrant, l’oratoire avec un autel, une bible posée et une bougie rouge qui rappellant la présence Réelle dans le Tabernacle. Quelques tapis touareg usés par le temps et posés à même la pierre apportent un semblant de confort au lieu.

 

L’oratoire dédié à la prière et à la méditation. ©Charles de Blondin

 

« Nous sommes deux, mais en ce moment, je suis seul car le deuxième est rentré temporairement chez lui pour raison familiale » continue l’ermite. La vie de ces deux hommes est rythmée de prières quotidiennes, d’accueil pour les quelques visiteurs de passage et d’entretien des lieux, dont l’ermitage du saint qui a été restauré et est entretenu par les différents frères successifs. « Autrefois, nous travaillions à la petite station météo à côté, ce qui nous procurait un petit salaire pour subvenir à nos besoins. Depuis, les Algériens ont repris la station et nous avons perdu notre maigre source de revenu. ».

 

Préserver l’héritage

L’ensemble du site a été aménagé pour accueillir quatre ermitages en plus de ceux des pères de Foucauld, pour des retraites spirituelles de dix jours. Les deux ermites bénéficient d’une petite communauté de fidèles à Tamanrasset qui leur procurent ce dont ils ont besoin comme de la nourriture ou des vêtements.

 

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« Charles de Foucauld n’était pas le premier européen à venir ici mais c’était le seul à rester et à faire quelque chose » précise notre guide locale qui nous accompagne durant le séjour. Autrement dit, le premier à pérenniser une action au service des autres. Dans ce cadre, il s’attelle, en tant qu’ancien soldat, à créer le premier dispensaire pour soigner les malades et à créer la première école pour instruire les plus jeunes du peuple touareg. Un siècle après, la transformation régionale s’est opérée.

 

Panneau situé juste à droite de l’entrée de l’ermitage. ©Charles de Blondin

 

En 1910, Tamanrasset n’était qu’un ensemble de dizaines de huttes et de tentes. Depuis, ce qui n’était qu’un village est devenue une ville vrombissante, une capitale régionale avec plus de 150 000 âmes et un aéroport international. Une marée humaine où s’entremêlent 4×4 et pick-up, poussière de sable et migrants d’Afrique noire ayant traversé les frontières voisines du Mali et du Nigéria. Tamanrasset fait partie des grandes villes carrefours du Sahel ou se rencontrent différents peuples. Une cohabitation entre touages, arabes, harratins, kabyles et une nouvelle population mendiante subsaharienne qui fonctionne plus ou moins bien.

 

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Sur cette transformation du siècle, cette petite communauté chrétienne survit malgré tout. Quelques migrants chrétiens des pays adjacents tentent d’y trouver un refuge pérenne. Une situation qui a conduit la famille de saint Charles de Foucauld à lancer en 2019 un appel pour faire connaître cette communauté qui a sans cesse besoin de prières et de nouvelles vocations pour pérenniser sa présence sur place. Les hommes passent, les empires tombent, mais le Hoggar et l’Asskrem au travers de saint Charles de Foucauld doivent demeurer éternels.

 

 


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