Le château de La Rochepot, un des monuments les plus emblématiques de Bourgogne ©JohnPickenPhoto

Le 10 octobre 2021 s’est tenue à Beaune une vente aux enchères bien particulière. L’ensemble de la collection du mobilier du château de La Rochepot a été vendu, au grand dam des habitants de la commune et des amoureux de patrimoine. La dilapidation d’un trésor régional que rien n’a pu empêcher.

 

Il se dresse fièrement sur son éperon rocheux, dominant le village qui s’étend à ses pieds. Ses hautes tours rondes et les couleurs chatoyantes de ses tuiles vernies semblent suspendre ce lieu hors du temps. Le château de La Rochepot est un des châteaux emblématiques de la Bourgogne. Originellement appelé La Roche-Nolay, il fut construit au XIIe siècle et lié à la maison de Bourgogne, avant de passer à la famille des Pot au XVe siècle. Celle-ci organise le remaniement du château. De grands noms en seront ensuite les propriétaires, tels  le connétable Anne de Montmorency et le cardinal de Retz.

 

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La Révolution française, période noire pour le patrimoine français, n’épargne pas le château. Déclaré bien national, il est racheté par un certain Bélorgey qui le débâtit, ne laissant que quelques pans de murs. Plus qu’un tas de ruines durant tout le XIXe siècle, Cécile Carnot, femme du président de la République Sadi Carnot, le rachète pour l’offrir en 1894 à son fils, Lazare Hippolyte Sadi Carnot. Ce dernier entreprend alors une reconstitution du château tel qu’il fut au XVe siècle, lui redonnant une apparence authentique dans un style néogothique et bourguignon.

 

Un nouveau et mystérieux propriétaire

En 2012, la famille Carnot met en vente le château à la condition que le nouveau propriétaire conserve l’ensemble des lieux et des biens. Ce n’est qu’en 2015 qu’elle trouve preneur. C’est une société luxembourgeoise qui rachète La Rochepot mais le nom du véritable propriétaire reste inconnu. Cependant, celui-ci continue à faire vivre les lieux avec sa femme. Des projets un peu trop ambitieux sont prévus, mais semblent redonner un avenir au château. Le mystérieux propriétaire, se faisant appeler M. Rodolphe, malgré son teint et son accent des pays de l’Est, gagne la confiance de la population.

 

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Mais déjà, des signaux laissent planer le doute. Des artisans ne sont pas payés par les propriétaires, une habitante du village se voit proposer une valise de billets en échange du rachat de sa maison, et le gardien de la propriété, dont la famille était déjà au service du château du temps des Carnot, démissionne, refusant d’être payé en liquide. La gérante des lieux, Ekaterina Russanova, se volatilise et est remplacé par un Moldave. Toute cette agitation, et ce déploiement d’argent, vont attirer les regards des enquêteurs, d’autant plus qu’Europol lance une enquête pour retrouver un homme passé pour mort en Ukraine.

 

Un oligarque ukrainien et des dettes

C’est dans la presse que les habitants finissent par connaître la véritable identité du propriétaire. En octobre 2018 celui-ci est arrêté par la justice française lors d’une perquisition au château. Il s’agit de Dmitri Malinovsky, oligarque ukrainien accusé de fraude et de corruption dans son pays. Il s’était fait passer pour mort, simulant un accident de voiture, afin d’échapper à la justice. La perquisition du château a entraîné la saisie de 4,5 millions d’euros de biens. C’est un coup dur pour la commune qui espérait beaucoup dans le développement touristique du site. Mais le pire, n’est pas là.

 

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Criblé de dettes, le châtelain laisse le château et ses biens dans une situation dangereuse. La saisie pénale empêche toute possibilité de vente du château tant que le procès n’est pas terminé. Le risque en est la dégradation du monument faute d’entretien. Mais le mobilier ne faisant pas l’objet de la même procédure judiciaire, il a été possible d’organiser la vente judiciaire des collections du château afin de rembourser en partie les dettes de Malinovsky.

 

Entre émotion et tentative de sauvegarde

Trois ans après la fermeture du château, le tribunal de commerce de Dijon a ordonné la vente du mobilier. Certains habitants remontés contre cette décision ont tenté de s’y  opposer. Sur des draps et cartons accrochés à l’enceinte du château, étaient inscrits entre autres « Touche pas à mon château ». Indéniablement, les châteaux, même privés, font aussi parti de la vie des habitants qui sont un objet de fierté en même temps qu’une source économique. Malgré le lancement d’une pétition qui a recueilli près de 3 000 signatures, et l’opposition de certains élus, l’affaire est close.

 

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C’est sous le marteau de Me Grégoire Muon qu’ont défilé plus de 550 lots. Le montant de la vente fut bien plus important que prévu avec un total de 450 000 euros. La pièce la plus importante fut un bouddha en bois doré qui aurait été offerte par la dernière impératrice de Chine au président Sadi Carnot, parti à 52 000 euros. Les habitants se sont mobilisés pour sauver une partie de la collection. Une « Vierge à l’enfant », statue du XVe siècle, a été rachetée grâce à la cotisation des habitants de la commune de Nolay au prix de 5000 euros. Par ailleurs, plusieurs objets classés ont été préemptés par le ministère de la Culture. C’est malgré tout une page qui se tourne pour toute une région, endeuillée de voir un patrimoine toujours plus dilapidé.

 


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