Fabrice Drouelle : «J’explore le passé pour en traquer les résonances»

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Le journaliste Fabrice Drouelle dans l'émission Le Tube diffusée sur Canal + en 2018. Capture d'écran de l'émission.

Rencontre avec Fabrice Drouelle, producteur d’Affaires Sensibles sur France Inter. Son émission raconte ​les grandes affaires, les aventures et les procès (f​aits divers, politiques, économiques, sociaux ou culturels) ​qui ont marqué les cinquante dernières années. 

  

Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis Fabrice Drouelle, présentateur et producteur de l’émission Affaires sensibles ​sur France Inter, tous les jours de 15h à 16h.

Affaires Sensibles,​ c’est l’aboutissement d’un parcours, d’un rêve de gosse. J’avais eu cette idée il y a 20 ans, pendant l’été 94, où chaque jour,  j’ai raconté une partie de l’histoire des Beatles. J’avais déjà cette appétence pour les archives, pour raconter des histoires. Je trouvais ce mélange harmonieux et efficace, et 20 ans après cette émission ressemble à ce qui était mon rêve il y a 20 ans. J’ai réussi à faire de mon labeur quotidien une récréation.

 

Quand vous étiez petit vous vouliez être «le monsieur qui parle à la radio». Ce rêve ne vous a  jamais quitté ?

Il m’a suivi quand j’étais plus jeune puis à un moment il est parti. Je pensais que c’était un rêve irréalisable, pas fait pour moi, trop compliqué à réaliser. Mais un jour à 17 ans, j’ai eu un petit problème de santé et j’ai passé quelques jours à l’hôpital. Je m’ennuyais, donc je suis allé à la bibliothèque et je suis tombé sur le livre Le Pull-over rouge​ ​ qui raconte l’histoire d’un jeune homme condamné à mort et guillotiné alors qu’on n’avait prouvé ni sa culpabilité, ni son innocence mais en tout cas pas sa culpabilité. Ça m’a frappé et j’ai lu ce livre pendant 7h, sans m’arrêter (je ne lisais pas beaucoup à l’époque !) et là je me suis demandé d’où m’était venue cette appétence soudaine pour la lecture. Là, j’ai compris que c’était mon rêve, le réel me faisait rêver. La fiction aussi certes, mais surtout le réel. Je me suis alors demandé : quel est le métier dont le réel est la base et qui est le récit du réel ? Le journalisme. J’ai donc voulu faire de ma vie le récit du monde et ça m’a amené à la narration.

 

Comment s’est passée la création de votre émission Affaire sensibles ?

Je travaille avec Christophe Barreyre qui est coproducteur de l’émission. C’est avec lui qu’on a décidé de faire une émission qui regroupe à la fois une partie narrative et des documents d’archives. Pour que ce ne soit pas un systématisme narration-archives, on a mis en place tout un univers sonore pour en faire un spectacle radiophonique. On a voulu garder le côté vintage de la radio “installez-vous, on va vous raconter une histoire” tout en modernisant la forme. J’aime bien faire l’analogie avec la FIAT 500 italienne : elle représente la tradition de l’Italie, on a fait une nouvelle voiture qui lui ressemble, qui marche beaucoup mieux, mais qui a gardé l’esprit vintage de la tradition.

 

Comment choisissez-vous l’affaire dont vous allez parler ?

Elle doit répondre à certains critères. Tout d’abord, cela doit être une affaire dont les gens ont parlé pendant plusieurs jours, quelle que soit sa nature ou son intensité dramatique. Il faut qu’elle ait laissé des traces.

Au début, je parlais seulement des affaires qui sont arrivées dans les 60 dernières années mais maintenant je remonte jusque dans les années 30. C’est un puits sans fond car l’actualité génère des faits divers tous les jours, qui deviendront des affaires sensibles dans 3 ans !

 

Quelle est l’affaire que vous avez préféré raconter ?

J’en ai plusieurs. Par exemple l’affaire de la démocratie corinthiane au Brésil, qui raconte l’histoire d’un mouvement idéologique et d’une manière innovante de diriger un club de football,​  reconnue au Brésil comme l’une des plus importantes actions menées dans l’intention de combattre la dictature militaire brésilienne.

J’ai beaucoup aimé également le match RDA – RFA également pour sa dimension géopolitique : en 1974, le premier tour de la coupe du monde voit se dérouler un match à caractère hautement politique. En effet, l’équipe d’Allemagne de l’Ouest et l’équipe d’Allemagne de l’Est s’affrontent à Hambourg : c’est la première et la dernière fois que ces deux équipes se rencontrent sur un​ terrain de football.

J’ai également été passionné par l’affaire de Jean-Claude Romand : ce type qui se faisait passer pour médecin parce qu’il avait raté son diplôme. Ne supportant pas d’avoir échoué alors que tous ses amis avaient réussi, il s’est enfoncé dans un mensonge incroyable en faisant croire à toute sa famille qu’il était médecin à l’OMS, il passait ses journées à lire des livres de médecine. Il a pu feinter pendant 20 ans, empruntant de l’argent à ses amis, leur mentant, sans que personne jamais ne le soupçonne. C’est incroyable cette histoire. Il a tué ses parents, sa femme,​ ses enfants et son chien parce qu’il considérait que si ses proches découvraient la vérité, la douleur du mensonge serait plus forte que la douleur de leur propre mort. Il a donc préféré les tuer plutôt que de leur apprendre la vérité.

 

D’où provient la popularité d’Affaires Sensibles ?

Il y a une dimension de redécouverte des affaires : souvent la plupart des gens connaissent l’affaire dans les grandes lignes, mais en écoutant ils se rendent compte à quel point la ligne de bascule peut-être parfois fine. Les choses auraient pu tourner bien autrement et sont parfois liées au hasard d’une rencontre. C’est très intéressant de comprendre le chemin qui a mené jusqu’à cette fin. C’est pour cela que souvent, je commence par le meurtre ou la fin de l’histoire avant de dérouler tout le chemin antérieur pendant l’émission pour tenter de comprendre comment on a pu en arriver à cette fin.

Il y a aussi une dimension géopolitique très intéressante dans cette émission : il y a des éclairages qui sont intéressants à comprendre pour étudier la résonance. Chaque époque a ses codes, ses références, sa façon de parler. Si on avait un slogan pour cette émission ce serait : explorer les années du passé pour en traquer les résonances.

 

Selon vous, quelles sont les qualités requises pour faire un bon journaliste ?

Avoir la capacité de comprendre, de viser au plus juste et surtout d’anticiper quelle trace va laisser l’information qui arrive : c’est LE grand exercice intellectuel du journaliste. En effet la difficulté, c’est d’arriver à saisir au moment où l’information tombe, quelle place elle va laisser dans l’histoire et surtout si elle va en laisser. C’est pour cela qu’intellectuellement, c’est dur le journalisme. Parfois on en fait trop sur une affaire qui n’en valait pas la peine et parfois on se rate en ne parlant pas assez d’une affaire qui aurait mérité plus d’attention. Seul le recul rend le regard lucide sur une affaire et avec Affaires sensibles​ ​ on est dans le recul, c’est donc plus facile.

Il faut aussi être curieux car on va toucher à tous les secteurs de la vie, et on va se retrouver dans des situations dans lesquelles on ne se serait jamais trouvés.

 

Si vous aviez un conseil à donner à quelqu’un qui souhaite se lancer dans le journalisme mais qui n’ose pas, ce serait lequel ?

Soyez libre et n’écoutez personne ! Protégez-vous des tous les gens qui vont vous dire “c’est bouché, ne le fais pas”. De façon générale il faut que les jeunes protègent leur liberté de choisir leur métier, bouchez-vous les oreilles. C’est un pouvoir de nuisance très important, de faire peur en disant que ça va être difficile. On a toujours ce réflexe de la peur aujourd’hui, ce n’est pas parce que c’est difficile qu’on n’ose pas, c’est parce qu’on n’ose pas que c’est difficile !

J’aime également beaucoup cette phrase du président Kennedy, prononcée lors de son magnifique discours pour envoyer un homme sur la Lune  “ce n’est pas parce que les choses sont faciles qu’on les fait, c’est parce qu’elles sont dures”.

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