Statue du corsaire, Robert Surcouf, à Saint-Malo pointant l'Angleterre. Image d'illustration. ©Pierre Likissas

Statue du corsaire, Robert Surcouf, à Saint-Malo pointant l'Angleterre. Image d'illustration. ©Pierre Likissas

Bertrand Leblanc-Barbedienne est le fondateur de Souveraine Tech, un média qui couvre l’actualité quotidienne des enjeux et des acteurs de la souveraineté technologique. L’association organise le 20 septembre prochain un colloque à Saint-Malo sur le thème « Marchés et Souverainetés » en présence d’Arnaud Montebourg.

 

Charles de Blondin : Qu’est-ce que Souveraine Tech, quelle est la genèse de cette association ?

Bertrand Leblanc-Barbedienne : Souveraine Tech est un média d’influence qui a vu le jour il y a plus de quatre ans, dont le but est d’assurer « la veille, la défense et l’illustration » de la souveraineté technologique française. L’association est née d’un constat : Est devenue performative la croyance limitante selon laquelle tout ce qui se fait d’ingénieux, de créatif ou de puissant au plan technologique vient nécessairement des « States » ou de Chine. Or rien n’est plus faux. Il fallait donc que quelqu’un prît le quart qui consiste à le clamer haut et fort matin, midi et soir.

 

CDB : La prise de conscience de cette nécessité de souveraineté semble bien présente dans la société française. Néanmoins, constatez-vous au travers de Souveraine Tech que cette prise de conscience se matérialise par des projets concrets, des petites victoires ?

BLB : Oui, bien sûr. La première victoire est de nature intellectuelle. Jamais on n’a autant parlé de souveraineté ! Quelques retardataires et ceux qui sont payés à ne pas comprendre, continuent d’attirer notre compassion en essayant de faire croire autour d’eux que la souveraineté, c’est le « repli sur soi ». Mais chassez le naturel, et les nations souveraines reviennent au galop ! Cela se manifeste aussi par une prise de conscience concrète du risque auquel nous nous exposons en massifiant le traitement de nos besoins numériques chez les « Big Tech ».

 

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Aujourd’hui, dans le public comme dans le privé, plus personne en charge des systèmes d’information ne passe à côté de la question cruciale de l’extra-territorialité du droit américain. Le premier devoir d’une organisation, c’est d’assurer sa pérennité. Dans une économie mondiale assise sur la donnée, la souveraineté revient donc au tout premier plan. Et le jour où nos données de santé auront été rapatriées depuis les serveurs américains de Microsoft sur des serveurs français, sera symboliquement une des matérialisations les plus importantes de cette prise de conscience. Vos lecteurs peuvent d’ailleurs y contribuer en signant une pétition pendante qui approche des 11 000 signatures.

 

CDB : Quels regards portez-vous sur le « Choose France » porté par le président de la République, Emmanuel Macron depuis sa création en 2018 ?

BLB : Ces comices agricoles de l’investissement planétaire reflètent une vision particulière de la croissance. Il s’agit là d’attirer sur notre sol des moyens économiques que nous n’avons ni su ni pu obtenir de la part de la puissance publique ou du secteur privé. Mais cela se traduit surtout par des installations chez nous d’entreprises étrangères et des potentielles prises de contrôle d’actifs français. Ce que nous serions en droit d’attendre d’un tel dispositif, c’est qu’il se place bien plutôt au service de la commande de biens et de services français par des acteurs étrangers. Il faudrait vendre !

 

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Trouver des contrats pour nos entreprises, petites et grandes, qu’il conviendrait d’inviter à Versailles en grande pompe, elles aussi ! Travailler à notre balance commerciale. Il y a certes dans ce grand show quelque chose de flatteur, mais surtout de trompeur, à convoquer chez nous le gotha du business international. Or passés les effets d’annonces (tous les chèques ne sont pas signés) et les licenciements massifs consécutifs, quelques mois plus tard, aux « créations d’emplois », l’amertume est au rendez-vous. Et notre intérêt bien compris aux abonnés absents.

 

CDB : De Charles de Gaulle à François Giscard d’Estaing en passant par Georges Pompidou, la France disposait d’une réelle politique industrielle durant plusieurs décennies. Manquons-nous de vision de long terme ?

BLB : Hélas, nous n’avons plus aucune vision politique tout court. Il suffit de considérer la farce actuelle dans laquelle sont plongées nos institutions. Pour porter une vision politique, il faudrait deux choses : Un authentique chef disposé à le faire de manière quasi-oblative. Et un peuple soudé par des valeurs humaines communes au point d’être capable de lui obéir (étymologie : de l’entendre).

 

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Or qu’observe-t-on aujourd’hui ? Une « élite » parisienne nombriliste entretenue selon le principe de l’économie circulaire, condescendante et intéressée. Un peuple agacé, manipulé, littéralement parcouru de divisions plus ou moins naturelles. Certains commentateurs évoquent la nécessité de « refaire société ». Très bien, mais autour de quoi ? Eh bien pourquoi pas autour de ce qui a précisément permis à ce pays de devenir ce qu’il est aujourd’hui ? Une fois que nous aurons été capables à cette humilité-là, il sera toujours temps de reparler de « politique industrielle » et de faire de l’ouvrier français la pierre angulaire de cette ambition.

 

CDB : Une économie saine se fonde aussi sur une notion de rentabilité pour les entreprises, sans d’éternelles subventions étatiques, ce qui suppose un marché intérieur conséquent. Par rapport aux Américains, Chinois, Indiens ou Russes, développer des « technologies souveraines » ou mettre en place une « réindustrialisation française » est-il mission impossible en par « manque de consommateurs » ?

BLB : Je vous prie de me croire si je vous assure que je ne botte pas en touche en vous disant que le problème tient d’abord au fait que nous n’envisageons plus notre destin que sous l’angle de l’économie, de la consommation. Mais pour quoi faire ? Cependant, ce qui manque pour assurer le succès de technologies souveraines en France (et c’est possible), c’est une confiance renouvelée dans notre génie, une assomption (le fait d’assumer) de notre héritage culturel, et une capacité à l’imprimer dans des solutions efficaces à des problèmes ou des besoins réels.

Une technologie géniale née en France, racontée au monde avec ce talent si particulier des États-Unis pour le marketing, auquel ils doivent d’ailleurs assez souvent leur domination, et le monde entier l’adoptera massivement. Quand un dramaturge noircit son cahier au fond d’un restaurant, il ne songe pas au nombre de lecteurs minimum qui assurera son succès. Des États-Unis, nous n’avons malheureusement emprunté que le plus inutile. Cette manière de les singer en tout.

 

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Il suffit d’observer la fierté avec laquelle nos dignitaires baragouinent l’anglais avec le fier sentiment de recevoir ipso facto le sacrement du succès en affaires. Les Américains se comportent en pionniers. Et nous, qui reposons sur une civilisation fabuleuse, sommes hélas devenus des contrefacteurs d’ambition, des copycats affamés de pâtée atlantique. Il tient à si peu de choses que la donne change.

 

CDB : Nous entendons souvent que la France est « trop petite », que notre marché intérieur est trop faible et qu’il faut penser à l’échelle de l’Europe. Une souveraineté française est-elle possible au sein de l’Union européenne ?

BLB : Vous avez parfaitement raison, mais votre question s’appuie sur une vision d’un monde qui est heureusement en train de passer. Les peuples ont été les grands perdants du marché planétaire. Contre un accès facilité à quelques gadgets électroniques conçus par des enfants payés au lance-pierre, nous avons renoncé à beaucoup de choses et nous avons tant perdu en matière de culture, de puissance économique, d’emploi et paradoxalement de pouvoir d’achat et de qualité de vie. Le marché est devenu fou. Et nos élites, qui continuent à en assurer la promotion font quotidiennement preuve de schizophrénie. On nous a vendu l’Europe comme un marché garanti dans lequel se hisseraient nos entreprises. On s’aperçoit aujourd’hui avec les velléités « communautaires » qu’il s’agissait juste d’un pédiluve vers d’autres marchés lointains.

Je vous conseille à ce sujet de regarder un documentaire qui s’appelle Au Nom de l’Europe, qu’a brillamment réalisé et produit Camille Adam. Les plus Européïstes de vos lecteurs s’ils s’aventurent à le visionner vont vite connaître un certain désenchantement. On nous parle à longueur de journée de durabilité, ce qui est comique. La proximité va revenir à la mode, et bientôt plus personne ne comprendra qu’on trouve des pommes argentines au supermarché ou des logiciels américains sur étagère.

 

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La course centrifuge des relations commerciales connaît un heureux infléchissement sous la forme d’un recentrage « centripète » sur les intérêts vitaux de nos nations. Et c’est là un motif de réjouissance ! De la mesure en toute chose. Le marché n’est pas un demi-dieu. Il est une modalité de transaction économique entre peuples, organisations, êtres humains. C’est pure folie que de travailler encore à sa croissance tumorale plutôt qu’à celle de l’épanouissement des nations, qui sont des familles de familles, et donc les seules vraies garantes du bonheur et de l’épanouissement humains.

 

CDB : Le vendredi 20 septembre, Souveraine Tech organise un colloque à Saint-Malo avec pour thème « Marchés et Souverainetés », quel est l’objectif de celui-ci ?

BLB : Nourrir toutes les personnes qui auront fait le déplacement, au plan intellectuel, au plan relationnel, au plan humain et aussi au plan gastronomique ! Ce sera un moment de grande convivialité, face à la mer et au Fort national, un jour de marée d’équinoxe. S’agissant du sujet, mon ambition est qu’au terme de cette journée, chacun reparte chez soi avec la conviction que bien loin de s’opposer, les réalités que constituent les nations souveraines et le marché… S’épousent !

Inscription au colloque de Souveraine Tech

 


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