Discours du roi Mohammed VI en 2016 lors de la COP22 sur les changements climatiques. ©UNclimatechange

Discours du roi Mohammed VI en 2016 lors de la COP22 sur les changements climatiques. ©UNclimatechange

Dans un courrier du 30 juillet 2024 adressé à Mohammed VI, Emmanuel Macron a annoncé soutenir le plan marocain pour le Sahara occidental. En conséquence, son voisin algérien a rappelé son ambassadeur à Paris. Spécialiste en intelligence économique et consultant en sécurité et défense, Pierre d’Herbès revient sur cet épisode et ses conséquences pour la France.

 

Charles de Blondin : Quel est le contexte historique de la crise du Sahara marocain ?

Pierre d’Herbès : Cette crise est une conséquence de la fin du protectorat de la France au Maroc en 1956 et de la décolonisation espagnole à la mort de Franco. Le Sahara occidental est issu directement de la province du Sahara espagnol. Historiquement, cette province était liée via des liens tribaux à la monarchie marocaine. Le Sahara occidental, en soi, n’existe donc pas, car il s’agit d’une pure création coloniale espagnole. A partir de 1975, la République arabe sahraouie démocratique (RASD) va se constituer, dont sa branche armée, le Front Polisario. Elle cherche à obtenir son indépendance. En parallèle de cela, le Maroc lance la « Marche verte » : une grande marche initiée par le roi avec ses sujets pour aller prendre officiellement possession du Sahara. Une guerre s’ensuit jusqu’au cessez-le-feu de 1991, régulièrement violé jusqu’à aujourd’hui.

 

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CDB : Quel rôle joue les pays voisins comme l’Algérie ou la Mauritanie dans ce conflit ?

PDH : L’Algérie est depuis l’origine le principal soutien du Front Polisario, car elle voit sans le Sahara occidental un moyen d’obtenir une façade atlantique dont elle ne dispose pas, enfermée dans son désert méridional. Elle fournit des armes et un soutien politique à la RASD. A noter que le Sahara marocain n’est pas la seule querelle territoriale post-coloniale qui oppose Rabat et Alger. Un différend autour des régions de Tindouf et d’Hassi Beida avait donné lieu à la « Guerre des sables » en 1963 entre l’Algérie et le Maroc.

De son côté, la Mauritanie se bat dés 1975 pour obtenir une partie du Sahara occidental qu’elle revendique. Elle est tenue en échec par le Front Polisario et abandonne ses prétentions sur la région en 1979 avant de reconnaître la RASD comme seule représentante légitime du territoire et de sa population. Après leur départ, le Maroc occupe le territoire abandonné. Depuis, la Mauritanie ne joue plus vraiment de rôle dans cette région contrairement à l’Algérie qui reste en pointe sur ce dossier.

 

CDB : Le Maroc contrôle déjà de facto la majeure partie de ce territoire. Qu’est-ce que cela va réellement changer ?

PDH : La stratégie du Maroc depuis les années 2000 est de sortir de son isolement diplomatique sur la question. Dans cette optique, la décision de la France donne du crédit à Rabat sur la scène internationale et renforce sa légitimité vis-à-vis du Front Polisario.

Concrètement, le Maroc consolide ses positions et lui permet de poursuivre avec plus de sérénité sa politique d’aménagement du territoire et son exploitation économique. Indirectement, cette reconnaissance de la France va probablement renforcer la position de Rabat autour de la procédure judiciaire qui la vise à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) concernant les conditions d’exportation au sein de l’UE des denrées agricoles produites dans les provinces sahariennes.

 

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CDB : La France a-t-elle véritablement une voix importante dans la région ?

PDH : Oui. La France est l’ancienne puissance coloniale. C’est le premier investisseur étranger au Maroc et un investisseur important en Mauritanie. C’est un acteur militaire, économique et diplomatique de premier plan mondial. Sa voix est d’autant plus écoutée que depuis plusieurs années, elle était attendue par les Marocains sur ce dossier. Les réactions passionnées dans l’opinion publique marocaine, lors des tentatives de rapprochement entre Paris et Alger ces dernières années, prouvent en soit l’impact qu’à la voix de la France dans la région. Et inversement, la réaction virulente de l’Algérie à l’annonce de la reconnaissance du Sahara marocain par la France, le prouve également.

Globalement, ce tournant de la France sur ce dossier épineux est un vrai catalyseur même si in fine il est cohérent avec la position assumée depuis 2007 soutenant déjà le plan d’autonomie du Maroc comme une « base crédible ».

 

CDB : L’Algérie a accusé la France d’avoir « bafoué la légalité internationale ». Quel a été le discours des organisations internationales comme l’ONU sur le Sahara Occidental ?

PDH : Du point de vue de l’ONU, le Sahara occidental est considéré comme un territoire colonisé. Les associations qui se font le porte-voix du Front Polisario utilisent cette base juridique – et donc une certaine approche de la hiérarchie des normes – pour leurs actions de lobbying en Europe. Cependant, il y a d’autres approche du droit international : en 1975, la Cour internationale de Justice avait ainsi reconnu les droits du Maroc sur le Sahara.

 

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CDB : Le ministère des affaires étrangères algérien a dénoncé le fait « qu’aucun gouvernement français avant Emmanuel Macron n’avait franchi ce pas » et a rappelé son ambassadeur à Paris. Quelles conséquences pour la France dans les semaines qui viennent ?

PDH : Le pas n’était pas franchi officiellement, mais la tendance de la reconnaissance du plan marocain sur le Sahara occidental se profilait. La France est passée d’une « base sérieuse » il y a quinze ans à la « seule base » aujourd’hui. En parallèle, le Maroc a continué à investir dans la région et est devenu un fournisseur important des pays de l’Union européenne en produits miniers et agricoles. Les Algériens dramatisent donc volontairement la situation. Du reste, les incidents diplomatiques avec l’Algérie sont monnaie courante : pas de gros changement de ce point de vue-là.

Il n’en demeure pas moins que la nouvelle position de la France n’est pas anodine car elle a des conséquences sur la géostratégie du Maghreb. De facto, on assiste peut-être à un point de non-retour dans les mauvais rapports entretenus avec l’Algérie malgré les tentatives de rapprochement d’Emmanuel Macron depuis 2017. A contrario, la relation privilégiée entre Paris et Rabat s’en trouve confirmée ce qui constitue un avantage de poids pour le Maroc dans son bras de fer avec l’Algérie. C’est probablement la meilleure des postures. Les vaines mains tendues à l’Algérie se heurtent systématiquement au ressentiment mémoriel quasi-structurel du pays vis-à-vis de la France. En d’autres termes, la France a mis de l’ordre dans sa diplomatie régionale, sérieusement mise à mal ces dernières années par ses atermoiements algéro-marocains.

 


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