David Colon : « La propagande est fille de la démocratie »

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Affiche de propagande chinoise de 1971

Affiche de propagande chinoise de 1971

David Colon est professeur agrégé d’histoire et chercheur permanent à Sciences Po, où il enseigne notamment l’histoire de la propagande, les techniques de persuasion et l’éthique de la communication. Son nouvel ouvrage intitulé Propagande et sous-titré La manipulation de masse dans le monde contemporain,  présente les fondements et les techniques de communication de masse dans notre époque. Son étude permet également de mieux cerner les ravages de la désinformation, hier comme aujourd’hui.

 

Dès la première page, le décor est planté : « La propagande est fille de la démocratie. L’expérience totalitaire d’une propagande poussée à son paroxysme, en conférant à ce mot une connotation péjorative, a longtemps masqué cette réalité. C’est dans la démocratie athénienne et la République romaine qu’est apparue la première forme de propagande – en tant qu’effort organisé pour propager une croyance ou une doctrine particulière -, c’est la Révolution française qui a posé les jalons de la propagande politique moderne, et ce sont les démocraties en guerre entre 1914 et 1918 qui ont inventé la propagande de masse, reprise ensuite par les régimes autoritaires et totalitaires ».

Nous devons comprendre que « la fin de la guerre froide et la victoire apparente des démocraties libérales ont signé, en même temps que la fin des idéologies, la relégation dans l’opinion publique de la notion de propagande au rang de propriété spécifique aux régimes totalitaires ». En réalité, et à bien y réfléchir, la propagande démocratique a parfaitement réussi son entreprise, car nous sommes peu à savoir que « la propagande est fille de la démocratie ».

Très souvent, nous entendons malheureusement le contraire. La propagande serait le propre des régimes durs qui l’auraient inventée pour étendre leur domination politique après avoir conquis le pouvoir grâce à son utilisation. L’auteur y insiste avec raison : « La propagande n’est donc pas le propre des régimes autoritaires et encore moins l’envers de la démocratie. Non seulement la propagande est née dans des régimes démocratiques, mais elle y a longtemps été perçue de façon positive ». Nul doute que ce soit encore le cas de nos jours.

De fait, les ambitions de l’auteur sont clairement exprimées : « Ce livre entend démontrer non seulement que la propagande et la manipulation de masse ne sont pas le propre des régimes autoritaires mais que leurs progrès suivent ceux des sciences et des techniques. L’histoire de la propagande est celle d’une science appliquée qui se nourrit à la fois des progrès du système technicien, qui dote les propagandistes d’outils de communication de masse, et de ceux des sciences humaines et cognitives, qui offrent les clés de la persuasion de chaque individu ».

En fin de compte, il convient de saisir « que ce à quoi nous assistons aujourd’hui, à l’ère du numérique, n’est pas le simple retour de la propagande, mais l’avènement d’une propagande d’un type nouveau, à la fois massive, individualisée et d’une efficacité redoutable ». Pour autant, nous ne sommes qu’au début de ce phénomène très inquiétant pour la sauvegarde de nos libertés, alors que le transhumanisme fait déjà plus que pointer le bout de son nez.

Il nous faut expliquer les raisons pour lesquelles « la propagande est indissociable de la démocratie. C’est parce que, depuis l’Antiquité, son essor est lié à celui de la participation politique : il s’agit d’obtenir l’adhésion du plus grand nombre à des valeurs, à des mythes politiques et à des idéologies ».  Pour se faire élire, il faut obtenir le plus de suffrages possibles et pour cela, les futurs élus sont prêts à tout : mensonge, corruption, démagogie et bien sûr propagande.

Il nous semble important de citer un des représentants des Lumières – qui n’ont jamais aussi mal porté leur nom – en la personne de Condorcet : « Quand on parle d’opinion, il faut en distinguer trois espèces : l’opinion des gens éclairés, qui précède l’opinion publique et qui finit par lui faire la loi ; l’opinion dont l’autorité entraîne l’opinion du peuple ; l’opinion populaire, enfin, qui reste celle de la partie du peuple la plus stupide et la plus misérable ».

Ainsi, comme le mentionne l’auteur à juste titre, les élites de la Révolution en France méprisaient bien souvent le peuple et « se méfiaient de la populace ». En conséquence, les révolutionnaires au pouvoir « ont mis en place des procédés de surveillance de ce qu’on appelle couramment l’esprit public, ainsi de limiter la liberté de la presse, qu’Edmund Burke a qualifiée, avec une dérision teintée de crainte, de quatrième pouvoir ».

Ce n’est pas tout, car cette peur de l’opinion publique « se traduit dès 1792 par la création au sein du ministère de l’intérieur d’un Bureau de la correspondance relative à la formation et à la propagation de l’esprit public, qui est la première officine moderne de propagande politique ». Cependant, la propagande ne s’utilise pas que pour la conquête du pouvoir. Une fois arrivé à la tête d’un pays ou d’un gouvernement, Colon stipule avec pertinence que « la propagande est, en même temps, indissociable de l’exercice du pouvoir, puisqu’il s’agit pour le chef d’obtenir le consentement, formel ou réel, à l’impôt, à la guerre et à toute autre décision lourde de conséquences ».

L’auteur cite Etienne Augé qui définit en termes très simples la propagande : « Elle est une stratégie de communication de masse, ayant pour objectifs l’influence de l’opinion et des actions d’individus ou groupes, au moyen d’informations partiales. » Augé précise que la « propagande peut se définir comme un effort cohérent et de longue haleine pour susciter ou infléchir des événements dans l’objectif d’influencer les rapports du grand public avec une entreprise, une idée ou un groupe ».

A ces deux définitions complémentaires, l’auteur ajoute le témoignage de Jacques Ellul qui écrit : « La propagande est l’ensemble des méthodes utilisées par un groupe organisé, en vue de faire participer activement ou passivement à son action une masse d’individus, psychologiquement unifiés par des manipulations psychologiques et encadrés par une organisation ».

Ces explications sont claires et précises. La propagande vise à manipuler autrui en vue d’un objectif à atteindre. Cependant, pour bien appréhender la nature profonde de la propagande, Colon définit les idées reçues, et donc fausses, à son endroit :

  • La propagande est l’apanage des régimes autoritaires
  • La propagande n’est que politique
  • La propagande a pour but de modifier les opinions du public cible
  • La propagande se fait à coups de mensonges et de désinformations
  • La propagande est un mal en soi
  • La propagande touche en priorité les milieux les moins instruits et les moins formés

Dans l’ouvrage, chaque point, parfois surprenant de prime abord, se voit parfaitement détaillé par une démonstration imparable. Par exemple, nous lisons avec intérêt que « selon une dernière idée reçue, la propagande toucherait les individus les moins instruits et les moins informés, l’éducation apparaissant comme le meilleur rempart aux propagandistes. Or tout indique au contraire que la propagande touche en priorité les milieux les plus cultivés et les plus à même d’accéder à l’information ».

Jacques Ellul posait en effet le constat suivant : « Pour que l’homme puisse être propagandé, il faut qu’il ait atteint un minimum de culture ». Néanmoins, il précise : « Cela ne signifie pas que les masses paysannes ne soient pas sujettes à la propagande et n’y soient pas sensibles, mais elles y sont moins exposées que les masses urbaines ». Les dernières élections européennes confirment cette analyse. Le parti présidentiel a réalisé ses meilleurs scores dans la capitale et les grandes agglomérations.

Ceci étant dit, Colon rappelle que « l’un des ressorts fondamentaux de la propagande est du reste le recours à l’émotion, qui vise à contourner ou affaiblir le jugement. La propagande agit davantage sur le subconscient ou l’inconscient que le conscient ». Il ajoute que « la propagande consiste plus souvent à conforter, renforcer et instrumentaliser une opinion préexistante – ou des préjugés – qu’à en faire changer et qu’il est même souvent contre-productif de chercher à convaincre quelqu’un qu’il a tort ». De même, et notre époque le prouve presque chaque jour, « la propagande a souvent pour but moins de convaincre que de détourner l’attention du public ».

Bien souvent, la propagande ne repose pas que sur un mensonge. Pour avoir l’apparence de la vérité, les propagandistes mélangent le vrai et le faux. Elle vise aussi à démoraliser l’adversaire ou à le décrédibiliser aux yeux de l’opinion. En définitive, avec l’explosion du numérique et des réseaux sociaux, la propagande ne se limite plus au champ politique. Elle envahit tous les aspects de notre vie en société, parce que tous les grands acteurs de notre époque – gouvernement, médias, grandes marques – usent et abusent du marketing, du storylling, du nudge, pour influencer nos choix et nos comportements.

Colon décrit à merveille les nombreux piliers de la propagande et cette fameuse « fabrique du consentement ». Il analyse l’impact des nouvelles technologies de l’information et de la communication sur la propagande ainsi que ses conséquences sur les publics visés. L’ouvrage se veut démonstratif et pédagogique. Il est également très percutant car il bouscule certaines certitudes établies… par la propagande. Il mérite d’être lu par le plus grand nombre afin de comprendre que « face au chaos que nous connaissons à l’ère de la post-vérité, la meilleure riposte est peut-être une communication éthique, visant en particulier à redonner de l’espace à une histoire partagée, à des discours fédérateurs et à des promesses crédibles d’avenirs meilleurs… ».

 

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